
Afin de canaliser le syndrome de l’imposteur, avec mon atelier d’écriture sakado nous allons nous initier à la plus succincte des littératures, celle des haïkus, des poèmes qui possèdent un lien profond avec la spiritualité japonaise, notamment la pensée zen, elle-même influencée par le taoïsme.
Un haïku est composé de trois vers (5/7/5) et de 17 syllabes, c’est un poème qui célèbre le moment présent, la photographie instantanée d’un événement anodin. De par son format court, l’haïku va à l’essentiel et suscite une sensation, une émotion, à la manière d’une peinture impressionniste qui va suggérer plus que montrer. Dans le premier poème que je vais vous présenter, le moine Ryokan rentre chez lui et découvre qu’il a été cambriolé.
Le voleur a tout pris
Il ne reste que la Lune
À la fenêtre
Ce qui est intéressant chez Ryokan, c’est le sentiment de sidération qui se dégage de son poème, ainsi que l’humour qu’il éprouve face à ce cambriolage, un aléa de la vie qui invite au lâcher-prise. Ryokan a tout perdu et pourrait souffrir de son attachement aux choses matérielles, mais en réalité il conserve intact son bien le plus précieux : sa capacité à s’émerveiller. Ce haïku enseigne une leçon : accepter l’impermanence, le changement inévitable qui s’opère dans une existence.
J’ai retrouvé ce matin
Mes dessins d’enfant préférés
Quelle déception !
Anonyme
Dans les haïkus on retrouve aussi les paradoxes des énigmes zen, les fameux koans.
C’est décidé
Je vais de ce pas m’enrhumer
Pour voir la neige !
Sampû
Quand je vois mon chien
Manger ses croquettes
Je me régale !
Anonyme
Une plage immense
Un tout petit crabe
Une très grosse peur !
Anonyme
Je marche sur le sable en silence
Le goéland s’envole
En entendant mon regard
Anonyme
Parmi toutes ces belles chaussures
Qui vont me faire mal aux pieds
Lesquelles choisir ?
Anonyme
Après mon spectacle
Trois cents mains applaudissent
J’entends celles de maman
Anonyme
La pomme tombée dans l’herbe
Le jeune enfant essaie
De la remettre dans l’arbre
Anonyme
Les mésanges ont fait leur nid
Dans ma boîte aux lettres
Quelle bonne nouvelle !
Anonyme
Le saule
Peint le vent
Sans pinceau
Saryû
Un événement a priori anodin peut conduire à une intense prise de conscience sur le sens de l’existence, dans une approche non intellectuelle : c’est l’éveil spirituel, le satori. Le zen est un courant qu’on qualifie de subitiste parce que dans le zen, l’Éveil s’atteint plutôt « subitement » et non graduellement comme dans d’autres voies bouddhistes. Le haïku est la métaphore de ce satori qui nous invite à redevenir l’enfant émerveillé par la contemplation du monde.
Au bout du doigt du bébé
Suspendu
Un arc-en-ciel
Hiro Sôjo
Souvent, les vers du haïku ne possèdent, en apparence, aucun lien entre eux, ce qui procure un sentiment de vide, la fameuse vacuité propre au zen, mais le vide est, paradoxalement, ce qui unit les êtres et les phénomènes, car rien n’a d’existence intrinsèque, d’indépendance, tout est lié.
Courte nuit d’été.
Une goutte de rosée
Sur le dos d’une chenille velue
Yosa Buson
Ici, la nuit d’été, la goutte de rosée et la chenille forment trois mondes aux échelles différentes, le monde macroscopique (la nuit d’été), le monde des insectes et le monde microscopique (la goutte de rosée). Comme on peut le constater, l’auteur du haïku n’hésite pas à changer de point de vue et d’échelle pour amener contraste et subtilité au poème.
Dans cette goutte de rosée, on contemple le reflet de l’univers tout entier. Cette image fait penser au célèbre poème de William Blake :
Voir le monde dans un grain de sable
Et le paradis dans une fleur sauvage
Tenir l’infini dans le creux de sa main
Et l’éternité dans une heure.
Dans le bouddhisme zen, les liens entre les phénomènes et les êtres forment ce qu’on appelle l’interdépendance. Le poète Issa l’illustre jusqu’à l’absurde avec cet amusant haïku :
Avec moi elle lutte
A qui fermera les yeux le premier
La grenouille
Comme je le disais au début de cet article, le zen a été profondément influencé par la philosophie taoïste et la notion de wuweï, le non-agir : ne pas interférer avec la Nature pour la laisser s’exprimer, et ainsi en saisir toute la subtile sagesse.
Oh une luciole qui vole
Je voulais crier « regarde ! »
Mais j’étais seul
Taïgi
Le petit chat
Plaque au sol un instant
La feuille entraînée par le vent
Issa
Le wuweï est une véritable invitation à la contemplation des saisons avec en premier lieu le printemps :
Même pourchassé
Le papillon
Ne semble jamais pressé
Garaku
L’été n’est pas en reste grâce au sensorium :
La citrouille grossit
Je maigris
Quelle chaleur !
Toun
Ici il est question de chaleur. Un auteur de haïkus n’hésite pas à utiliser les cinq sens afin de mieux faire comprendre au lecteur ce qui l’a touché ou ému. Exemple :
Grasse matinée
L’odeur des lardons de grand-mère
Je me lève immédiatement
Anonyme
Quand elle n’est pas là
Je mets l’écharpe grise de maman
Qui a gardé son parfum
Anonyme
On peut également suggérer le mouvement :
Le vent de la montagne
Effleure les pousses de riz
Sur mon chemin
Bashô
La saison automnale symbolise l’impermanence avec ce haïku que j’aime beaucoup :
Rien ne dit
Dans le chant de la cigale
Qu’elle est près de sa fin
Bashô
Soir d’automne
Il est un bonheur aussi
Dans la solitude
Buson
Nuit d’automne
Le papier troué d’une cloison
Joue de la flûte
Issa
L’hiver est traditionnellement associé à la mort, mais aussi à la régénération invisible induit par le cycle de la Nature.
Jour gris dans le cimetière
Le vent souffle entre les tombes
Le parfum des fleurs
Anonyme
Je ne cesse de tousser
Personne
Pour me taper dans le dos
Santoka
Pourtant, l’hiver n’exclut pas l’humour :
Première neige
Un sacré trésor
Ce vieux pot de chambre !
Issa
Mon ami venait m’emprunter quelques sous
Il s’en retourne
Les épaules couvertes de neige
Takuhoku
Dans la neige devant ma porte
Il est bien droit le trou
Que j’ai fait en pissant
Issa
En dehors des saisons, les haïkus possèdent bien évidemment un bestiaire illimité pour peu qu’on sache observer la Nature.
Les miettes de pain
Sèment des chants d’oiseaux
Dans le jardin
Françoise Naudin
Pieds nus dans le liseron vert
Le héron et moi
Disputons un match d’immobilité
Thierry Cazals
Poisson rouge du coiffeur
Que connaît-il du monde à part
Les cheveux qui tombent ?
Thierry Cazals
Toile de rosée
L’araignée a tissé
La lumière du matin
Françoise Naudin
Du dos de l’index
Caresser le cou tendu
D’un chaton qui ronronne
Jean-Hugues Malineau
La patte de mon chat
Posée sur mes genoux
On écoute les oiseaux
Anonyme
Dans le terrain de golf
Une dizaine de lapins
Creusent quelques trous de plus
Anonyme
Enfin, je terminerai avec ce dernier conseil : ne pas hésiter à utiliser l’humour comme dans le haïku de cet enfant :
Une très mauvaise note
Maman fait des frites quand même
Je ne lui ai rien dit…
Quelques techniques pour commencer à composer des haïkus
– Ayez toujours un carnet sur vous pour aller à la chasse aux haïkus et ainsi noter les émotions et les sensations. N’ayez pas peur des ratures, il est normal de retravailler un haïku et d’y accorder du temps, comme un sabre qu’on ne cesse de polir.
– Lisez énormément de haïkus.
– N’essayez pas de respecter à tout prix la formule 5/7/5 syllabes, l’essentiel étant que les 3 vers soient brefs (une dizaine de syllabes maximum par ver, si possible un second ver plus long). Supprimez le superflu comme les articles et les adjectifs, quand c’est possible, afin d’obtenir des vers épurés. Utilisez l’exclamatif (« Oh ! ») pour exprimer l’émerveillement. L’esprit du haïku consiste à aller à l’essentiel, mais aussi à être précis : parler d’un corbeau plutôt que d’un oiseau, ou d’un saule plutôt que d’un arbre permet de mieux personnaliser l’haïku, de lui donner du caractère. Dans l’idéal, l’émotion intervient au troisième ver, comme la chute d’une nouvelle.
– Privilégiez une expérience vécue personnellement dans la vie de tous les jours, afin de rechercher l’authenticité, une expérience qui s’est déroulée en un instant. L’émotion n’a pas besoin d’être intense ou dramatique, bien au contraire : on peut être ému par la présence d’un insecte… ou avoir le sentiment d’être soi-même un insecte perdu dans l’immensité du monde.
– Devenez zen, prenez le temps de vous balader sans but, à contempler ce qui vous entoure, dans l’instant présent, comme si vous étiez en vacances. Prenez du temps pour vous.
– Testez vos haïkus en les lisant à des amis.
Consigne d’écriture
Composez un haïku en rapport avec la nature ou votre quotidien urbain.
Bibliographie
Mon livre de haïkus, Janik Coat et Jean-Hugues Malineau, Albin Michel Jeunesse
Les séances précédentes du sakado
Séance 1 : huit milliard d’imposteurs

Quel régal, ces haïkus ! J’en faisais avec mes petits-enfants, dès qu’ils commençaient à écrire, et c’était des superbes moments. Je vais recommencer avec Sasha, la petite dernière de Thomas, 4 ans et demi… Merci, Jean-Sebastien ! Quel beau travail tu fais ! Je t’embrasse fort Raphaele
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Merci Raphaele ! Je suis heureux si cet article te donne envie de poursuivre avec Sasha… Gros bisous à toi et à la famille !
[…] Pour toutes ces raisons, je proposerais de temps en temps sur ce blog des articles en rapport avec le sakado. Il y aura un vrai programme, avec des consignes d’écriture ludiques… L’idée étant de s’amuser ! Ce programme sera à la fois destiné aux grands débutants avec des pratiques préliminaires pour gagner de la confiance en soi, ainsi qu’aux auteurs confirmés qui souhaitent aller plus loin dans leurs connaissances de la narratologie… J’ai hâte de partager tout cela avec vous !EDIT : si vous voulez suivre le sakado depuis mon blog, c’est possible ! Voici les séances :Séance 1 : huit milliards d’imposteursSéance 2 : zen et taoïsme dans la poésie japonaise […]
[…] de la dernière séance de mon atelier d’écriture sakado, nous avons appris à écrire des haïkus, et découvert qu’en seulement trois lignes nous pouvons susciter de l’émotion, une […]
[…] atelier d’écriture, nous avons découvert que nous n’étions pas des imposteurs, que nous pouvions faire vivre des émotions en seulement trois lignes et que le lecteur a besoin de se sentir en immersion… mais savons-nous répondre à la question […]