Cela faisait longtemps que j’avais envie de revenir sur le parcours d’un artiste que j’admire, un génie capable de créer des intrigues toutes plus originales les unes que les autres, et dont on ne parle pas assez au regard de l’immense talent. Pourtant, rien ne destinait Shin’ichirō Watanabe à devenir une référence en matière d’animation. Jeune cinéphage influencé aussi bien par la Nouvelle Vague, que John Woo, George Romero ou Bruce Lee (à cette époque il visionne 500 films par an !), Watanabe rêve d’être réalisateur. Le problème, c’est que le cinéma japonais ne l’intéresse guère. Reste le monde de l’anime… et il y a déjà beaucoup d’animateurs virtuoses dans son pays. Qu’importe ! Il décide de se démarquer en apportant un soin particulier à la musique, son autre passion. C’est ainsi que le « bebop », le jazz d’improvisation, va rythmer Cowboy Bebop (1998), un étrange western de l’espace existentiel à la fois drôle et sombre, dans lequel des chasseurs de primes sillonnent le système solaire.
Une œuvre culte qui faillit ne jamais voir le jour. Le sponsor, Bandaï, comptait en effet vendre des jouets grâce à la série, expliquant à Watanabe que « du moment qu’il y avait un vaisseau spatial, il pouvait faire ce qu’il voulait ». Une liberté quasi absolue, lourde de conséquences… Au moment de découvrir le ton adulte et décalé de Cowboy Bebop, les cadres de Bandaï sont furieux, ils ont l’impression de s’être fait rouler dans la farine ! La firme se retire du projet. En guise de représailles, la chaîne publique TV Tokyo ne diffuse que les premiers épisodes, et seulement les moins violents, les autres étant retransmis sur la chaîne câblée Wowo, qui ne dépend pas de la publicité. Même si la situation demeure précaire, ce changement de diffuseur permet à Watanabe de s’affranchir totalement des contraintes mercantiles. Comme la série n’est jamais assurée d’être renouvelée, après chaque générique de fin les personnages teasent avec humour l’épisode suivant, en demandant aux spectateurs d’être présents la semaine prochaine ! Cowboy Bebop sera un triomphe mondial.
Dans Samouraï Champloo (2004), Watanabe change à nouveau d’univers avec les aventures (anachroniques) d’un trio voyageant dans le Japon de la période Edo. Le jazz de Cowboy Bebop cède la place à un hip-hop hypnotique qui rythme d’élégants combats au sabre.
Deux séries a priori différentes, mais un même cocktail « 80% de sérieux 20% d’ humour » dixit Watanabe. L’un des épisodes de Samouraï Champoo ose raconter la légende farfelue du premier match de base-ball entre marins américains et samouraïs… Au fil des ans, l’auteur va toujours plus loin dans ses expérimentations délirantes, jusqu’à inverser son fameux dosage « sérieux-humour » avec Space Dandy (2014), satire du space opera, du culte du héros et de l’Amérique, symbolisée par « l’empire Gogol » de (l’incapable) Amiral Perry. Le choix du nom du méchant est tout sauf un hasard, Perry étant le militaire qui a forcé le Japon à ouvrir ses frontières au XIXe siècle. Dans l’anime, son vaisseau est une statue de la liberté bâillonnée de façon… très particulière.
Synthèse beauf de Nicky Larson et Han Solo, Dandy est un chasseur d’aliens obsédé par les femmes et l’argent, susceptible de sacrifier son équipage pour sauver sa peau ! Là où l’auteur fait à nouveau preuve de génie, c’est qu’il décide de briser totalement la narration classique d’une série : chaque épisode est une histoire indépendante, les personnages peuvent très bien mourir et revenir la semaine suivante vivre une aventure drôle ou émouvante… ce qui confère au scénariste une liberté presque illimitée. Cette fois, c’est la disco qui est à l’honneur, avec un générique qui n’est pas sans rappeler Flash Gordon, Capitaine Flam et la délicieuse culture pulp.
La musique va prendre de plus en plus d’importance au sein des œuvres de Shin’ichirō Watanabe, capable de traiter de sujets plus graves avec pudeur. Dans son chef-d’œuvre Kids on the slope (2012), l’auteur raconte durant les années 60 la bouleversante histoire d’amitié de deux lycéens mélomanes que tout oppose : Sentarou, un batteur de jazz un peu voyou, et Kaoru, pianiste coincé issu d’un milieu favorisé. Dans ce récit poignant, Sentarou va apprendre à Kaoru l’art de l’improvisation, en musique comme dans la vie. On comprend peu à peu que ces adolescents sont plus complexes que ce que l’on pouvait imaginer de prime abord.
Dans toute l’œuvre de Shin’ichirō Watanabe, on retrouve l’idée qu’il ne faut pas se fier aux apparences, une thématique que l’artiste japonais aborde dans deux magnifiques épisodes d’Animatrix (2002) : Kid’s Story et A Detective Story. Des histoires qui rendent hommage à un cinéma occidental que Watanabe affectionne particulièrement.
Ainsi, dans Cowboy Bebop, le solitaire Spike rappelle autant le Clint Eastwood des films de Sergio Leone, que l’œuvre de Jean-Luc Godard (un épisode est intitulé en français Pierrot le fou) ou la mélancolie du tueur interprété par Alain Delon dans… le Samouraï, de Jean-Pierre Melville. Il n’est guère étonnant qu’un cinéaste tel que Denis Villeneuve ait choisi Watanabe pour réaliser le sublime Black Out 2022, l’un des anime qui introduit Blade Runner 2049.
Villeneuve parle de « respect » et « d’honneur » lorsqu’il évoque sa collaboration avec un artiste passé maître dans l’art de créer des marginaux attachants. Qu’ils soient cowboys, musiciens, ou guerriers errants, Watanabe a une tendresse pour les loosers magnifiques et mélancoliques hantés par les souvenirs, quand ils ne sont pas rongés par la culpabilité. Des duos dans lesquels apparait souvent la figure hubrique du bagarreur borderline et indomptable (Spike/Sentarou/Mugen), une âme fêlée qui devra, tôt ou tard, affronter ses démons, parce qu’on n’échappe pas à son destin.
On retrouve ce fatalisme dans Terror in Resonance, l’histoire de deux adolescents poseurs de bombes à Tokyo, une nouvelle critique adressée à l’Amérique, dont la bande originale a été inspirée par Sigur Rós, de l’aveu même de Watanabe. Si Terror in Resonance est la seule œuvre inaboutie au sein de cette impressionnante filmographie, Carole & Tuesday (2019) confirme une nouvelle fois le talent d’un immense conteur qui adore ses personnages, ici deux jeunes femmes qui rêvent d’être musiciennes.
Explorer la galaxie Watanabe, c’est découvrir des histoires touchantes peuplées d’antihéros inoubliables, mais aussi risquer d’être contaminé par un cinéphile mélomane à la passion communicative, capable de vous faire aimer le rap, le jazz ou la pop. Artiste protéiforme mais d’une sincérité rare, perfectionniste en constante recherche d’originalité, Shin’ichirō Watanabe fait partie du cercle très fermé des auteurs en quête de sens qui essaient de réaliser une œuvre à chaque fois plus ambitieuse que la précédente. Une démarche sans le moindre compromis commercial, d’une grande exigence, qui ne peut susciter que le plus profond des respects. Je n’aurai qu’un mot :
Je viens de voir la saison 1 de The Mandalorian, le moins que l’on puisse dire, c’est que cette série est un joyau ! Je retrouve enfin ce qui faisait cruellement défaut dans la dernière trilogie Star Wars : une équipe de scénaristes qui connaissent la saga sur le bout des doigts, de la cohérence, des personnages attachants, de l’émotion… et surtout de l’originalité. The Mandalorian est la preuve qu’on peut innover de façon radicale, sans pour autant trahir l’esprit des films. Ainsi, le premier épisode est un véritable western, dans lequel un chasseur de primes traque une cible peu ordinaire, le tout sublimé par la musique de Ludwig Göransson.
John Favreau et son trio de scénaristes n’ont pas manqué d’approfondir l’univers créé par George Lucas. On en sait plus sur la société mandalorienne et ses guerriers (qu’on voit enfin en action !), sans parler de l’implacable monde de la pègre avec un épisode 6 (« le Prisonnier ») absolument jouissif.
Je me demande bien quel tête tu as. T’es peut-être un Gungan ?
La grande force de cette série est son ambiance, qui n’est pas sans rappeler celle du jeu de rôle de la Guerre des Étoiles. L’intrigue s’éloigne de l’éternelle lutte Jedi-Sith, dévoilant un univers beaucoup plus nuancé dans lequel l’Empire est en ruines, tandis que la Nouvelle République peine à imposer sa loi sur les planètes en marge de la galaxie. Quel régal que de retrouver l’atmosphère un peu glauque et cruelle du début du Retour du Jedi ! L’humour noir est également de retour…
Dans cet environnement hostile, le mandalorien est presque aussi effrayant qu’un Predator, surtout avec un congélateur à carbonite !
« Mandalorien n’est pas une race, c’est un crédo ». Chaque épisode recèle une myriade d’idées, mais toujours dans le respect de l’œuvre de George Lucas : à plusieurs reprises, on a envie de se frotter les yeux, tant on l’impression que les véhicules, les armes et les créatures semblent tout droit sortis de la trilogie classique. Cette série est une déclaration d’amour à Star Wars, mais sans jamais tomber dans le piège de la nostalgie. On s’écarte très nettement d’un récit manichéen avec une intrigue toute en ombre et lumière (« Telle est la Voie »). Les antihéros ont de la bouteille, à mi-chemin entre ceux de Sergio Leone et d’Akira Kurosawa, mention spéciale à Kuiil et IG-11… Ce dernier a bénéficié d’une animation en stop-motion lorsqu’il est sur son speeder, un hommage à la technique utilisée par George Lucas sur l’Empire Contre-Attaque.
OVNI à 100 millions de dollars, The Mandalorian est une réussite totale qui laisse songeur quand on pense à ce qu’aurait pu être la dernière trilogie, si elle avait été confiée entre de bonnes mains. Ironie du sort, il est question de rédemption dans The Mandalorian… serait-ce le cas pour Disney ? Peu importe la réponse, vivement la saison 2…
Je viens de terminer le dernier épisode de la série télévisée OCS His dark materials : à la croisée des mondes, les larmes aux yeux et le cœur serré. Quelle fantasy douce-amère, à mi-chemin entre le monde des enfants et celui, bien plus cruel, des adultes… Servi par un générique flamboyant, une jeune actrice prodigieuse révélée dans Logan et des « Panserbjørnes » (ours en armures !) enragés, le cycle basé sur la trilogie de Philip Pullman ne ménage jamais le spectateur : personnages non manichéens, critique frontale du christianisme, enfance sacrifiée… Cet « anti-Narnia » doit donner des cauchemars aux dirigeants de Disney ! Et fait largement oublier le demi-échec du long-métrage (trop) familial de 2007, la Boussole d’Or.
La semaine dernière, une autre saga me faisait chavirer, celle de The Witcher, et c’est peu de le dire : moi qui n’avais pas accroché au jeu vidéo sur PlayStation 4, je n’ai désormais qu’une envie : rallumer ma console afin de retrouver Geralt de Riv et la sorcière Yennefer, LE personnage charismatique de cette magnifique série Netflix, inspirée des romans de Andrzej Sapkowski. The Witcher, c’est un peu le lointain héritier de Conan et de la culture pulp façon sword and sorcery: beaucoup d’action et d’humour, à des années-lumière du réalisme pessimiste de Game of Thrones, et c’est tant mieux, car il aurait été suicidaire d’imiter la recette du mythique programme d’HBO.
Comme si cela ne suffisait pas, j’ai aussi eu un coup de cœur pour Carnival Row, une série qui se déroule dans un monde urban fantasy inspiré de l’époque victorienne, les créatures féériques étant les victimes d’une ségrégation raciale. Loin d’être un copié-collé de la Grande-Bretagne du XIXe siècle, la série d’Amazon Prime dispose d’un gigantesque background : un univers à l’histoire très ancienne, une riche mythologie celtique, des rues qui grouillent de faunes, de kobolds et de trolls, des machines steampunks impressionnantes… et une Cara Delevingne qui obtient enfin un rôle intéressant.
Après avoir été émerveillé par toutes ces histoires, je me demande si nous ne sommes pas en train de connaître, vingt ans après le triomphe du film la Communauté de l’Anneau, un nouvel âge d’or de la fantasy tant je suis sidéré par la qualité d’écriture de ces trois séries féministes contemporaines. Des séries qui possèdent une profondeur abyssale en matière d’univers, à l’image du poétique prequel deDark Crystal : Le Temps de la résistance.
Alors que les deux trilogies de Peter Jackson n’ont pas engendré de mode cinématographique durable autour de la fantasy, il en va autrement du petit écran. Le succès mondial de Game of thrones a en effet convaincu les networks qu’il existe un vrai public amateur du genre. Avec les progrès des effets spéciaux, et la hausse des budgets*, ce qui relevait du domaine du rêve il y a encore quelques années devient une réalité sur Netflix, Amazon Prime, HBO ou la BBC. Il faut dire qu’adapter un roman en série télévisée est plus facile qu’au cinéma, il y a beaucoup moins de censure, et surtout une marge de manœuvre quasi infinie pour les scénaristes. Un livre nécessite une intrigue dense de dix heures avec des personnages fouillés ? Aucun problème, il suffit d’écrire une saison ! J’en viens presque à regretter que le futur Dune de Denis Villeneuve ne soit pas une série télévisée… Cerise sur le gâteau, toutes ces œuvres attirent une horde de réalisateurs à qui Disney Hollywood refuse de confier des longs-métrages, des artistes talentueux qui ont soif de cinéma, et qui se retrouvent aux commandes de programmes ambitieux comme le prochain Seigneur des Anneaux d’Amazon.
Si la Fantasy n’est plus un sous-genre de l’imaginaire gettoïsé réservée aux geeks adeptes de jeux de rôle, va-t-elle enfin prendre ses lettres de noblesse en France** ? En attendant d’obtenir la réponse à cette question, on ne peut que se réjouir d’une telle variété au niveau de ces shows de premier plan***. Cette situation me donne l’impression de redevenir un ado des années 90, quand n’importe quel fan de SF n’avait que l’embarras du choix entre Star Trek, Babylon V, Stargate et autre Farescape… bien que la qualité des scénarios et des CGI d’aujourd’hui soit sans commune mesure avec cette période faste. Quel bonheur de savoir que The Witcher serait le plus gros carton de l’histoire de Netflix !J’ai comme l’impression qu’il se passe en ce moment quelque chose d’incroyable en matière de Fantasy, un engouement planétaire qui me donne le sourire… et une envie folle d’écrire.
En conclusion, ce mème conçu par votre serviteur.
Bonus, cette magnifique reprise qui tourne en boucle sur mon ordinateur :
* On parle d’un budget d’un milliard de dollars pour les 5 saisons du Seigneur des Anneaux, soit 200 millions de dollars par saison… À titre comparatif, la dernière saison de GOT a coûté « seulement » 90 millions de dollars.
*** Sans parler du fait qu’une nouvelle génération de lecteurs découvre les romans de Philip Pullman et Andrzej Sapkowski, la preuve que différents médias ne sont pas forcément en concurrence.
Les super-héros existent, et l’envers du décor est loin d’être reluisant. Liés contractuellement à Vought International, une multinationale qui exploitent leurs images, les « supers » sont obligés de communiquer sur les réseaux sociaux afin de vendre un maximum de produits dérivés, et peuvent être licenciés s’ils perdent de leur popularité ou commettent des crimes… Mais existe-t-il encore une justice quand de riches stars immatures dotées de super-pouvoirs disposent d’une telle influence sur le monde ?
Nous sommes en train de vivre un nouvel âge d’or, celui des séries ! Alors que je viens à peine de terminer l’incroyable saison 2 de Mindhunter, réalisée par David Fincher en personne, voici que je découvre* avec stupéfaction The Boys, un monument de subversion drôle et angoissant, à faire passer Watchmen pour un inoffensif divertissement familial !
Inspiré d’un comics écrit par l’auteur de Preacher, Garth Ennis, The Boys n’est rien de moins qu’une attaque frontale de la machine Disney, avec cette idée absolument géniale : quel serait le business généré autour de vrais super-héros ? Loin de nous dépeindre une société plus sûre, les scénaristes nous propulsent dans une dystopie avec des divas plus préoccupées par leurs images médiatiques que par la lutte contre les injustices : la moindre déclaration, bagarre ou photo balancée sur Twitter est analysée par les conseillers en communication de Vought International, la multinationale qui gère les carrières de ces vedettes. En échange de contrats de plusieurs centaines de millions de dollars, les super-héros sont obligés de participer à des galas de charité, faire de la pub télévisée pour leurs produits dérivés, animer des émissions de télé-réalité ou porter des costumes sexy, enfin, surtout les femmes… Dans un système aussi pervers où les sondages décident de tout, pas étonnant que ces célébrités se comportent au mieux comme des enfants gâtées, au pire comme de violents criminels irresponsables au-dessus des lois !
Aux antipodes de l’univers Marvel, The Boys est une satire au vitriol d’une industrie hollywoodienne obsédée par son image, mais également une réflexion sur le populisme qui touche de plein fouet les Etats-Unis et le reste du monde. Le Protecteur, synthèse effrayante de Super-Man, Captain America et Donald Trump, est l’incarnation de cette dérive médiatique inquiétante, un homme aussi populaire que psychopathe qui ne cesse de répéter à ses admirateurs « c’est vous qu’on devrait applaudir », mais qui n’en pense pas un traître mot…
Quand on ne sait plus faire la différence entre politique, divertissement et démagogie, le totalitarisme n’est jamais très loin. Le star system n’est-il pas l’ultime déclinaison d’une propagande de plus en plus sophistiquée qui dépasse les frontières ? Un jour, un spécialiste de la manipulation des masses a écrit : « je suis convaincu que dans cinquante ans, les gens ne penseront plus en terme de pays ». Il s’agissait de Joseph Goebels…
Je le reconnais volontiers, Game of thrones est une série qui n’est pas parfaite. Les deux dernières saisons ont été trop rapides, ce qui a causé quelques invraisemblances, comme la survie improbable de Jamie Lannister en armure, sous l’eau… ainsi que des ellipses. Les armées se téléportent d’un point à un autre, alors que le lent déplacement des troupes et la météo jouaient un grand rôle dans la construction des campagnes militaires durant les précédentes saisons. Il y a une raison à cela : les scénaristes David Benioff et D.B. Weiss ne pouvaient rivaliser en imagination avec George R.R. Martin, passé maître dans l’art des sous-intrigues. Non pas à cause d’un manque de talent des deux showrunners, mais parce qu’ils ne disposaient pas assez de matière première pour s’inspirer, les deux derniers romans du Tolkien américain n’étant pas encore publiés. Dans ces conditions, difficile de fournir du contenu pertinent sans pouvoir piocher des idées dans des bouquins qui dépassent le millier de pages… surtout quand on sait que George R.R. Martin lui-même rencontre des difficultés ! On n’est même plus sûrs qu’il terminera un jour sa saga…
Comme si cela ne suffisait pas, les créateurs de la série la plus chère de l’Histoire ont été confrontés à un choix cornélien : conserver des saisons de dix épisodes, extrêmement coûteux* et sacrifier, faute de moyens, des scènes spectaculaire (c’est d’ailleurs un problème récurrent avec les loups géants, si difficiles à concevoir en numérique) ou bien raccourcir ces saisons afin de reconstituer des batailles dantesques, mais au risque de s’écarter un peu plus des livres. Il n’y avait pas de solution idéale, et pourtant il a fallu faire un choix douloureux, fermer tous les arcs narratifs, ce qui relevait du miracle avec tant de personnages. Alors certes, les esprits chagrins diront que nous avons perdu en subtilité, mais quelle fin flamboyante, dans tous les sens du terme ! Jamais on avait vu un tel lyrisme sur le petit écran, j’ai même regretté que l’ultime saison ne soit pas diffusée dans les salles obscures…
Il faut d’emblée rendre hommage au fabuleux travail effectué par Miguel Sapochnik : réalisateur depuis la saison cinq des quatre plus belles batailles de la série, les épisodes intitulés « Durlieu », « la Bataille des Bâtards », « la Longue Nuit » et « les Cloches » sont de véritables leçons de cinéma. Durant cette dernière saison, Sapochnik a livré des séquences épiques sublimées par la musique de Ramin Djawadi, des épisodes qui n’ont, osons le dire, pas d’équivalent sur le grand écran. Jamais on avait vu de blessures aussi réalistes que celles figurant dans la bataille de Port Réal. Il y a une volonté de montrer sans complaisance la cruauté des combats du Moyen-Âge, à des années-lumières du spectacle familial qu’est le Seigneur des Anneaux (que j’adore, soit dit en passant). À l’image de ce que fit Sam Peckinpah pour la Horde Sauvage, le spectateur-voyeur est pris à son propre jeu, écoeuré par cette violence supposée « glorieuse ». On se retrouve plongés dans un cauchemar sans concession à l’écho douloureusement universel, notamment lorsque les civils sont brûlés par les flammes du dragon. Un drame cataclysmique qui rappelle aussi bien la tragédie des bombardements des guerres modernes que l’incendie de Rome perpétré sous Néron, ou l’éruption du Vésuve à Pompéi.
Sur les réseaux sociaux, une armée d’internautes experts en stratégie ont longuement évoqué de supposées erreurs décelées lors de l’épisode « la Longue Nuit« , ce qui n’a pas manqué de me faire sourire : l’Histoire nous enseigne que les plus grands des généraux ont déjà commis des bourdes monumentales, il n’y a qu’à étudier les nombreuses boucheries inutiles du conflit 14-18… Les spécialistes en zombies qui ont critiqué la mémorable bataille contre le roi de la nuit (comme si les morts-vivants existaient pour de bon !) ont tendance à oublier qu’il y a parfois un gouffre entre les tactiques idéales décrites dans les manuels militaires, et la réalité du champ de bataille, surtout avec des cavaliers dothraki déchaînés qui ressemblent furieusement aux hordes mongoles ! La campagne de Russie de Napoléon qui anéantit la quasi-totalité de l’armée impériale, l’ordre d’Hitler de ralentir avant Dunkerque, les légions romaines de Varus qui traversent la forêt de Teutoburg sans être en formation de combat… les grossières erreurs de stratégie sont vieilles comme le monde, pour ne pas dire banales. Lors de ce fameux troisième épisode, il s’agit moins de maladresses que de choix artistiques aussi sublimes que terrifiants : montrer les innombrables lumières de la cavalerie s’éteindre en quelques instants relève d’une mise en scène crépusculaire, qui donne à l’obscurité le rôle principal.
On peut voir le verre à moitié vide, et s’attarder sur les scories, mais il est surprenant que les nombreux fans en colère n’aient pas été si attentifs que cela aux arcs narratifs. Le rôle d’Arya dans la mort du seigneur de la nuit a été décrié, pourtant cela fait huit saisons que la fille de Ned Stark s’entraîne avec des guerriers redoutables, depuis sa plus tendre enfance… pas étonnant qu’elle soit devenue l’un des assassins les plus craints de Westeros, capable d’infiltrer de stupides morts-vivants. Cela aurait été, pour le coup, une terrible facilité scénaristique que de traiter la bataille contre les zombis lors du dernier épisode, telle la conclusion d’une classique saga de fantasy. Depuis le début, le leitmotiv de la série est « les monstres ne sont pas ceux que l’on croit ». Cette huitième saison n’est rien de moins que l’aboutissement d’un drame shakespearien sur l’éternelle thématique « l’Homme est un loup pour l’Homme », qui n’est pas sans rappeler Machiavel et la Renaissance. L’épisode cinq est symptomatique de cette philosophie : alors que pendant huit ans, les fans attendaient avec impatience le triomphe de Daenerys, Internet est entré en ébullition lorsque le personnage joué par Emilia Clarck a réduit Port Réal en cendres. Beaucoup de spectateurs se sont insurgés devant tant de cruauté, certains ont même dénoncé un changement trop radical dans la psychologie de Daenerys… c’est oublier qu’elle était, dès la saison une, atteinte de folie ! Un personnage instable, fragile et impulsif, qui a grandi au sein d’une famille réputée pour sa démence et ses tares génétiques, les Targaryen. Leur devise est « Fire and Blood », devise que Daenerys finira par s’approprier.
Son père, le « Roi fou » (ça ne s’invente pas) est un despote incendiaire capable de faire brûler n’importe qui. Viserys, le frère de Daenerys, non content de la frapper régulièrement, lui avoue qu’il accepterait qu’elle subisse un viol collectif perpétré par l’armée dothraki si cela lui permettait de conquérir le trône de fer. Ambiance… Plus tard, Viserys sera victime du supplice de l’or en fusion, sans même que Daenerys n’intervienne pour le sauver. Vous me trouvez sévère avec la reine des dragons ? C’est que vous avez la mémoire courte : au fil des saisons, elle fait brûler vif des êtres humains, pille la ville de Qarth, crucifie les nobles de Mereen… alors que des conseillers sont là pour modérer ses ardeurs ! Pire, dans l’épisode 10 de la saison 2 elle a une vision de la salle du trône de fer détruite et recouverte d’un manteau de cendres, une hallucination inquiétante qui ressemble fort à une prophétie autoréalisatrice…
Dans l’épisode 4 de la saison 2, nous ne sommes même plus dans la suggestion, elle annonce clairement la couleur !
« When my dragons are grown, we will take back what was stolen from me and destroy those who have wronged to me. We will lay waste to armies and burn cities to the ground. »
(Quand mes dragons auront grandi, nous reprendrons ce qui m’a été volé et anéantirons tous ceux qui m’ont fait du tort. Nous détruirons les armées et réduirons les cités en cendres)
J’attire votre attention sur le fait qu’elle parle bien de cités au pluriel…
Ironie du sort, une partie des Bisounours fans de GOT n’ont tout simplement pas voulu prendre en compte ces funestes avertissements et ont cru le storytelling que la mère des dragons s’est elle-même racontée, celui d’une libératrice d’esclaves, une « briseuse de chaînes ».
Elle a essayé de s’en persuader mais, à mesure que ses proches sont morts ou l’ont trahie, et qu’elle s’est retrouvée face à elle-même, la réalité du pouvoir l’a rattrapée, au point de la rendre paranoïaque (autant dire qu’elle n’avait pas besoin de ça). Chacun sait qu’à Westeros, il est bien plus facile de conquérir le trône de fer que de régner. Arrivée sur un nouveau continent, le moins que l’on puisse dire, c’est que Daenerys n’a pas réussi à inspirer de la dévotion, ou même de la confiance, au peuple. Pour sa décharge, elle ne s’attendait pas à un accueil aussi froid… alors qu’elle a sacrifié la moitié de son armée, un dragon, et perdu l’indéfectible Jorah Mormont pour sauver le Nord ! On serait amers pour moins que ça. Si on ajoute la désillusion sentimentale qu’elle vit aux côtés de Jon Snow, il n’est pas compliqué de comprendre son état d’esprit lorsque les citoyens de la ville de Port Réal, hélas pris en otage, « refusent » de se rebeller contre Cersei. La violente réaction de la Khaleesi est tout sauf une surprise : sous l’Antiquité, une armée épargnait une cité assiégée uniquement si cette dernière rendait les armes avant la bataille. Non seulement Cersei a décidé de résister, mais en plus elle est responsable de la mort d’un dragon que Daenerys considérait comme son propre enfant, sans parler de la décapitation de Missandei, la dernière véritable amie de la Khaleesi. Autrefois, quand une ville choisissait de lutter et échouait à repousser l’ennemi, il ne servait à rien de demander grâce, le sac devenait inéluctable. Malheur au vaincu. C’est ce qui s’est passé avec Rome et Carthage, et c’est ce qui est arrivé fort logiquement à Port Réal. Comme elle l’a annoncé à Jon, Daenerys régnera désormais par la peur.
On peut enfoncer le clou en soulignant qu’il n’y a nul besoin d’être fou pour accomplir un acte aussi barbare. L’un des plus grands stratèges de l’Histoire, Alexandre le Grand, était également l’un des hommes les plus cultivés de son temps, puisqu’il fut éduqué par le philosophe Aristote en personne, un modèle de sagesse qui fut lui-même l’élève de Platon, disciple de Socrate. Cela n’a pas empêché Alexandre de réduire la population de Gaza en esclavage. Suite au siège de Tyr, on estime qu’entre 6000 et 8000 défenseurs furent tués. 2000 jeunes hommes furent crucifiés immédiatement après la prise de la ville, le reste des habitants furent réduits, comme ceux de Gaza, en esclavage. Persépolis, l’une des plus belles cités de l’Antiquité, sera elle aussi pillée et brûlée… Alexandre a même tué de sa main son ami d’enfance Cleithos (qui lui avait pourtant sauvé la vie lors de la bataille du Granique !), tout ça à cause d’une vulgaire dispute d’ivrognes lors d’un banquet un peu trop arrosé. Cela n’a pas empêché Alexandre de pleurer sa mort… N’en déplaise aux fans insatisfaits, l’Histoire nous montre que les « grands » de ce monde ne le sont que parce que les peuples sont à genoux, et surtout que tout est une question de point de vue. Napoléon a été longtemps célébré dans nos manuels scolaires, alors qu’il est perçu comme un tyran chez nos voisins européens. C’est pour cette raison qu’en écrivant le sombre destin de Daenerys, un destin anti-manichéen, les scénaristes ont fait preuve d’un courage inouï. En défendant l’idée qu’une femme puisse avoir autant de zones ombres qu’un homme, David Benioff et D.B. Weiss ont assumé jusqu’au bout une position résolument moderne : un personnage féminin n’a pas besoin d’être « fort » pour exister, il doit juste, comme n’importe quel personnage, être bien construit.
C’est pour cela que même Cersei réussit à m’émouvoir, parce que dans ses derniers instants elle n’est plus qu’une mère qui a peur de mourir. Elle est aussi humaine que n’importe qui.
Loin d’être incompréhensible, l’incendie de Port Réal n’est rien d’autre qu’un gigantesque bras d’honneur au manichéisme hollywoodien qui gangrène parfois le cinéma. Les fans souhaitaient qu’à la fin les « gentils » gagnent la bataille et triomphent du mal en tuant les « méchants » ? Eh bien à Port Réal la guerre est montrée sous son vrai jour : une horreur sans nom. Lorsque des civils se font massacrer, il n’y a ni vainqueurs, ni vaincus, seulement des victimes qui tentent de survivre, peu importe qui remporte ce foutu trône.
Ce constat vaut pour les « héros », eux aussi sont les victimes tragiques d’un destin ironique. La seule fois où le cynique Varys prend une décision courageuse, il le paye de sa vie. Le Limier périt dans les flammes qu’il redoutait tant, Jorah Mormont meurt pour défendre une femme qui ne lui a jamais rendu son amour, le régicide est tué à cause… d’une reine, tandis que Theon Greyjoy se sacrifie pour sauver Winterfel et les Stark qu’il a ardemment combattus par le passé. Jon Snow est un guerrier exceptionnel revenu d’entre les morts, mais il se retrouve complètement impuissant, à subir les événements.
Quand à Cersei, le donjon rouge, lieu où elle se sentait si protégée, deviendra son tombeau. Certains fans voulaient qu’elle souffre davantage, comme si une mort douloureuse rétablissait une certaine justice, mais perdre son dernier enfant, n’est-ce pas la pire punition qui soit pour une mère ? A fortiori quand il s’agit d’une souveraine toute puissante.
Seule Arya semble maîtresse de son destin, parce qu’à l’instar d’un samouraï, la mort est devenue pour elle une amie familière. C’est parce qu’elle n’a strictement rien à perdre qu’elle peut jouer les anges exterminateurs. Et pourtant, dans une scène poignante, en disant adieu au Limier, son père spirituel, elle comprend enfin que sa quête vengeresse est terminée, alors qu’elle n’est qu’à quelques pas de Cersei. N’est-ce pas la plus belle de toutes ces ironies ?
Pour toutes ces raisons, Game of thrones rentre désormais dans le cercle très fermé des œuvres mythiques telles que le Seigneur des Anneaux, trilogie dont GOT est l’exact opposé. Deux visions de la Fantasy radicalement différentes, mais une même fin, douce amer, dont en parlera encore dans cent ans. Privé des deux derniers romans de George R.R. Martin, l’ultime saison de Game of thrones ne pouvait être parfaite, mais elle est la meilleure possible au regard du travail incroyable qui a été réalisé à tous les niveaux. La conclusion de l’histoire ne sera pas l’happy end attendu par certains fans, et c’est tant mieux. Valar Morghulis.
EDIT : mention du compositeur Ramin Djawadi, que j’avais oublié, honte sur moi
* Il faut savoir que ces dernières années, l’essentiel du budget d’HBO passe dans la production de Game of thrones…
Prairie Johnson, une jeune fille aveugle adoptée, réapparaît brusquement sept ans après avoir été enlevée. La disparition de sa cécité ainsi que son silence provoquent bien des questionnements.
Cela fait plus d’une semaine que j’ai fini la série événement de Netflix, et je suis encore en état de choc. The OA est LE tsunami qui divise la geekosphère. Série fantastique ratée pour les uns, chef d’oeuvre expérimental pour les autres, en ce qui me concerne j’ai été très touché par cet OVNI porté par des personnages profondément attachants, mention spéciale à celui jouée par la charismatique Brit Marling, qui crevait déjà l’écran dans I Originset Another Earth.
Des personnages ordinaires qui sonnent vrai, confrontés à des événements extraordinaires, si loin des stéréotypes du cinéma hollywoodien. Et des idées toutes plus folles les unes que les autres sur fond d’expériences de mort imminente…
Alors c’est vrai qu’il y a ce fameux épisode 5, et ce passage un peu embarrassant dingue avec le « mouvement » (je ne peux pas en dire plus sans déflorer l’intrigue), mais la suspension de crédulité a fonctionné sur moi car j’ai immédiatement pensé aux moudras tibétains. En fait j’adore cette ambivalence entre fantastique et réalisme. Alors que bon nombre d’auteurs de séries et de films auraient massivement employé des effets spéciaux numériques, les créateurs de The OA ont préféré un registre plus intimiste, avec une touche fantastique très sobre pas si simple à mettre en œuvre. Pour l’anecdote, les acteurs ont réellement porté ces horribles casques remplis d’eau !
L’ambiance rappelle un peu Sense8, Man from earth ou encore Incassable de Shyamalan, avec des « super-héros » ordinaires qui s’illustrent moins par leurs pouvoirs que par le courage dont ils doivent faire preuve.
L’épisode final, émouvant et énigmatique, a laissé certains fans sur leur faim, mais il se suffit à lui-même et pourrait servir de belle conclusion si d’aventure il n’y avait pas de saison 2.
Quoi qu’il arrive, le monde se divise désormais en deux catégories : les fans de Sense8, et ceux de The OA. Pour ma part, j’ai choisi la facilité d’aimer ces deux expériences radicales. Après les réussites que sont House of cards, Stranger Things, Dardevil et The Get Down, Netflix rattrape le HBO de la grande époque, avec des séries originales plus géniales les unes que les autres.
C’est bien la première fois qu’une série m’enthousiasme… à partir du dernier épisode. Mais quel épisode !
J’ai commencé à la regarder suite à un article du Monde qui présentait Westworld comme la série qui allait détrôner Game of thrones… Sceptique, je me suis vite rendu compte que la comparaison n’était guère pertinente : excepté le fait d’être deux super-productions HBO, les deux shows n’ont pas grand chose en commun. Westworld est un parc d’attraction dans lequel de riches joueurs s’amusent à jouer aux cow-boys.
Le drame, c’est que les figurants sont des « hôtes » inconscients d’être des machines, des robots capables de saigner réinitialisés régulièrement. L’idée intéressante de la série, c’est d’avoir fait de ce parc un gigantesque GTA. Comme dans un jeu vidéo à monde ouvert, les « guests » (les invités) peuvent obtenir des quêtes auprès des hôtes pour accomplir des missions, mais aussi « juste » tuer, violer, et ainsi assouvir leurs fantasmes. C’est un peu le point noir des productions HBO, à chaque fois les scénaristes ne peuvent s’empêcher de tomber dans une surenchère de violence et de sexe qui n’apporte pas grand chose au récit. Mais passé ce constat, la série amène doucement des questions philosophiques intrigantes. Y a-t-il d’autres formes de conscience que la nôtre ? Avec les progrès de l’intelligence artificielle, ne sommes-nous pas en train de perdre notre humanité ? Une conscience émergente aura-t-elle tendance à nous considérer comme des dieux ?
En SF, ces questions ont déjà été abordées depuis longtemps mais la série a l’intelligence de nous faire partager le point de vue des robots, ainsi que leurs angoisses métaphysiques notamment, face à la question du libre-arbitre. Quelles en sont les limites ? C’est une interrogation d’autant plus intrigante que ces robots reviennent sans cesse à la vie et participent à des scénarios redondants, habilement filmés grâce à des points de vue différents. Par un effet de miroir troublant, cette problématique du libre-arbitre concerne également les êtres humains et leur désirs insatiables. Ne sommes-nous pas des machines biologiques ignorantes conditionnées par la colère, la peur et l’attachement, des consommateurs enfermées dans notre propre labyrinthe, celui du divertissement ?
C’est en substance ce qui rend l’opposition entre les deux scénaristes du parc passionnante. Alors que le vulgaire Lee Sizemore, directeur de la narration, souhaite des scénarios toujours plus violents et outranciers, le Docteur Robert Ford, le fondateur du parc, (Anthony Hopkins) réclame au contraire plus de subtilité, de réalisme et d’émotion dans les intrigues, afin que Westworld devienne pour les joueurs une expérience initiatique inoubliable leur permettant de découvrir leur vraie nature.
Anthony Hopkins, plus pervers que jamais
Série non dénuée d’un certain humour (le piano bastringue du saloon joue de la musique délicieusement anachronique), Westworld prend enfin son envol dans un dernier épisode glaçant digne de Blade Runner, avec un cliffhanger qui place la barre très haut. En espérant que la saison 2 confirme cette bonne impression et aille encore plus loin.
L’année dernière j’avais signé cet article désabusé, traumatisé par les destins atroces de certains personnages de la saison 5… Aujourd’hui, force est de reconnaître que je suis heureux d’être resté fidèle la série ! Cela ne veut pas dire que David Benioff et D. B. Weiss ont édulcoré le show, loin s’en faut, mais je trouve qu’il y a moins de surenchère et de violence gratuite. Plus important encore, j’ai retrouvé l’émotion qui faisait parfois défaut à Game of thrones, surtout depuis les Noces Pourpres de la saison 3 : quel plaisir de retrouver John et Sansa à Winterfel ! J’ai été ému par le sacre du nouveau « King of the north » même si, malheureusement, le clan Starck paie encore un lourd tribu (Rickon, mon pauvre Rickon… Mais quelle idée as-tu eu de courir tout droit ?).
J’ai été conquis par le plan séquence de la Bataille des bâtards, du jamais vu depuis Braveheart
séduit par la musique de Ramin Djawadi (et ce fabuleux morceau de piano de l’épisode 10, « Light of the sevens »)
touché par l’histoire d’Hodor, et choqué par le don incroyable de Bran, qui n’est pas sans conséquences : Bran peut donc altérer le passé, ce qui implique un univers cyclique… et linéaire (une idée qui m’emballe un peu moins pour le coup, car cela signifie que tout est joué d’avance). Bien sûr, la révélation ultime, c’est celle des origines de John Snow, une information qui aura des répercussions politiques majeures dans les Sept Royaumes…
Cerise sur le gâteau, les femmes gagnent de plus en plus de pouvoir : Arya, Daenerys, Cerseï, Sansa…. C’est vraiment jouissif de voir ces personnages forts peser sur l’intrigue.
Il va être difficile pour David Benioff et D. B. Weiss d’assurer la même qualité pour les deux années restantes mais qu’importe le dénouement, Game of thrones fera date dans l’histoire de la télévision. Après une saison 5 de tous les outrages, les scénaristes ont réussi à s’affranchir des livres de George R.R. Martin, et d’une pression phénoménale, pour livrer une saison 6 d’anthologie. Combien d’auteurs de séries peuvent-ils en dire autant ?
Je sais que ce billet est tardif mais il m’a fallu un mois pour recoudre mon cœur qui saigne me remettre du dernier épisode de la saison 5 de Game of thrones (comment les scénaristes ont-ils pu nous faire ça ? Je suis quasiment sûr que c’est interdit par laConvention de Genève). Comme chaque année, David Benioff et D. B. Weiss ont réussi leur coup (médiatique), mais je ne sais pas trop quoi penser de cette saison. Je l’avoue volontiers, j’ai adoré la bataille avec les morts-vivants de l’épisode 8, les effets spéciaux toujours plus somptueux. C’est simple : jamais une série télévisée orientée fantasy n’a bénéficié d’autant de moyens. Il y a parfois de (rares) séquences plus contemplatives comme le voyage de Jorah et Tyrion. Durant cette scène aussi courte que frustrante, on assiste à un vrai moment de poésie mélancolique à mesure que se dévoilent les somptueuses ruines de Valyria, vestiges d’un monde perdu.
La fameuse scène contemplative que j’aime tant
Avec de tels atouts, et des acteurs si talentueux, les scénaristes étaient-il obligés d’avoir recours à une surenchère de violence gratuite, comme s’il fallait brutaliser régulièrement le spectateur pour maintenir son intérêt ? Souvent, on est pas loin du « torture porn », notamment dans l’abominable épisode 9, quand la fille de Stanis meurt brûlée vive sur le bucher. Vous allez me dire que ce n’est pas de la violence gratuite puisque cet acte barbare (filmé hors-champ) nous fait prendre conscience que Stanis est prêt à tout pour s’asseoir sur le trône de fer. Le problème, c’est que cette séquence, ainsi que le viol de Sansa, ne figurent pas dans les livres… Au fil des saisons, cette débauche de sexe et de sang va crescendo, comme on le constate avec Arya et le meurtre sadique de Meryn Trant : à vouloir choquer pour choquer, c’est bien la première fois qu’une scène aussi sanguinolente me laisse de marbre.
Les scénaristes vont plus loin que George R.R. Martin, mais l’écrivain cautionne complètement la démarche de David Benioff et D. B. Weiss, donnant l’impression que les trois auteurs ont sombré dans l‘hubris. Ils ontenfanté un véritable monstre de Frankenstein, mais cette créature est-elle viable ? George R.R. Martin écrit des pavés de plusieurs milliers de pages difficilement conciliables avec une série orientée adultes qui doit assurer un minimum de suspens entre chaque saison, voir entre chaque épisode… Au final, je ne sais plus quoi penser de Game of thrones : ai-je encore envie de continuer à la regarder après la disparition de Jon Snow ? Pas sûr… mais je me sens à présent comme un type paumé dans un quartier mal famé qui se voit contraint de le traverser, comme bon nombre de fans je suppose.
En tant que fan des Gardiens de la Galaxie,mon grand coup de coeur ciné de l’été 2014, j’ai toujours apprécié les anti-héros fragiles, bien plus que les personnages invincibles dotés de super pouvoirs façon Avengers. Autant dire que j’ai été emballé par le virage pris par Marvel ces derniers temps sur le petit et grand écran. Plus qu’un virage, c’est peut-être à une révolution de palais que nous sommes en train d’assister. Et si les anti-héros avaient pris le pouvoir ?
Avec Sense8, la (violente) série Daredevil est pour moi l’une des plus belles surprises télévisuelles des années 2010, grâce notamment à Mat Murdock, un avocat torturé qui n’a pas d’équivalent dans l’univers Marvel, et un ton adulte. Enfant, Murdock a perdu la vue lors d’un accident. Dans un épisode 2 particulièrement émouvant, on apprend qu’il a été élevé par un père boxeur irlandais catholique qui a connu des démêlés avec la pègre.
Mat Murdock et son père, une relation fusionnelle
Le jour, Murdock est un ténor du barreau, mais la nuit il est Daredevil, un justicier capable de s’orienter et de se battre grâce à l’authentique technique de l’écholocalisation. Cette double vie est pour lui source de stress, puisqu’il est obligé de cacher à ses proches son activité afin de les protéger. Au fil de la saison 1, Murdock confesse à un prêtre ses angoisses sur les rapports qu’entretiennent justice, morale et éthique. Peut-on épargner un caïd malfaisant quand celui-ci brise les vies de nombreux innocents et qu’il corrompt toutes les institutions ? À quoi bon se battre contre le crime si cette lutte provoque des dommages collatéraux ? L’ambiance de la série est résolument cynique : dans une séquence mémorable, les malfrats discutent de la chute du prix de l’immobilier depuis la destruction de New York par les aliens Chitauri, et reconnaissent qu’ils sont bien chanceux d’être protégés par les Avengers ! Dans ce climat de corruption généralisé, les plus pauvres n’ont aucune chance d’être sauvés par Iron Man, Thor, Hulk ou Capitaine America, trop occupés à combattre des ennemis de plus grande envergure, ce qui rend la lutte quotidienne de Murdock d’autant plus désespérée.
Hanté par des questions morales, Daredevil symbolise la justice aveugle. Il respecte la vie… au sens strict. Lorsqu’un personnage lui reproche d’avoir jeté un malfrat du haut d’un immeuble, le plongeant dans le coma, Murdock a une réponse laconique : « il est vivant ». À vouloir suivre, de mauvaise grâce, les commandements de la Bible (« Tu ne tueras point »), Murdock se retrouve dans des situations périlleuses car il affronte à armes inégales des criminels dénués de scrupules. Lors de combats au dénouement incertain (mention spéciale au fabuleux plan séquence de l’épisode 2, du jamais vu sur le petit écran), on tremble pour le justicier. Aveuglé par sa morale judéo-chrétienne, il se prend régulièrement des raclées car dans le sinistre quartier de Hell’s Kitchen, faire preuve d’humanité constitue une faiblesse. New York est un personnage à part entière, un environnement sombre très influencé par les comics de Franck Miller. Les rares héros qui osent s’élever contre les injustices sont impitoyablement broyés par la police corrompue du magnat des affaires Wilson Fisk, sans doute le méchant le plus charismatique des films/séries Marvel. Un monstre à visage humain superbement interprété par Vincent D’Onofrio, l’ombre parfaite de Daredevil.
Wilson Fisk s’apprête à commettre un meurtre terrifiant
Capable de commettre des violences inédites dans une oeuvre Marvel (on parle quand même d’une décapitation à l’aide d’une portière de voiture…), Fisk est fragile, émotionnellement parlant. Ce géant aux pieds d’argile a connu une enfance traumatisante et s’est retrouvé contraint de tuer pour survivre dans la jungle urbaine et gagner une respectabilité de façade.
À terme, les scénaristes ont prévu pour les saisons futures que Daredevil rencontre le Punisher, un autre anti-héro atypique… à l’image d’Ant-Man.
Dans ce film de cambriolage, Scott Lang n’est au départ qu’une petite frappe qui, à sa sortie de prison, se voit offrir une seconde chance par le docteur Hank Pym. Ce savant a élaboré un costume capable de faire rétrécir son possesseur et ainsi combattre n’importe quelle menace.
Autant dire qu’on est clairement dans une comédie, avec de surprenantes séquences un peu gores : le méchant prend un malin plaisir à réduire ses victimes à l’état cellulaire avant de les écrabouiller ! Un humour noir familial qu’on avait pas vu depuis les Gremlins de Joe Dante. Puisqu’on parle des années 80, le personnage le plus intéressant ici est celui interprété par Michael Douglas, Hank Pym, un Ant-Man de la Guerre Froide qui cherche un héritier. Cette passation de pouvoir est une belle mise en abyme du Marvel d’aujourd’hui, entre respect du mythe et modernisation avec des effets spéciaux hallucinants, une relecture jouissive du cultissime Chérie j’ai rétréci les gosses. Les scènes d’action sont bourrées d’humour avec un duel au sommet d’anthologie qui se déroule… dans une chambre d’enfants remplie de jouets.
Si les deux premiers volets des Avengers ne font pas partie de mes films préférés pour les raisons évoquées au début de l’article, je suis en revanche enthousiasmé par le fait que ce monde imaginaire ne cesse de se développer, avec des crossovers et des personnages décalés largement inspirés des années 80. Qu’ils soient drôles ou tourmentés, Rocket Raccon, Daredevil et Ant-Man sont des anti-héros modernes qui amènent un brin de subversion au cinéma et à la télévision et laissent espérer des histoires plus excitantes que les insipides remakes hollywoodiens des blockbusters Total Recall, Robocop et autres Mad Max (du moins insipides à mes yeux). Anecdote amusante, James Gunn, réalisateur des Gardiens de la Galaxie, a adoré Ant-Man comme il le dit lui-même sur sa page Facebook :
“Honnêtement, le film est une bombe totale ! J’étais tellement heureux après l’avoir vu. Ce n’est pas ennuyant une seule seconde, et c’est drôle et chaleureux tout au long. Il ne reste pas que dans la science-fiction comme beaucoup de films ces derniers temps, il est simple et élégant. Il fait partie de l’univers Marvel sans en suivre les règles. »
« Ne pas suivre les règles »… Quand je vous disais qu’une révolution couvait chez Marvel !
« Les Gardiens de la Galaxie est la version sale et barrée d’Avengers », aurait dit James Gunn…