Me voici de retour après plusieurs mois d’absence. Dans son livre la rivière du sixième jour (adapté au cinéma sous le titre Et au milieu coule une rivière), Norman Maclean écrit :
Ceux avec qui nous vivons, qui nous sont proches, et que nous sommes censés connaître le mieux, sont ceux qui nous échappent le plus (…) En fait, si on pense à la vie humaine, on voit bien que la plus grande partie se passe à marcher pesamment au fond de l’eau pour un bref moment d’envol, trop tôt et déjà trop tard.
C’est ce que j’ai pensé quand mon beau-père nous a quittés soudainement, il y a trois mois. Pendant près de quinze ans, il fut mon père de substitution, jamais avare d’encouragements pour mes projets, mais aussi un grand-père affectueux. Nous partagions la même passion de l’Histoire, nous nous intéressions aux héros anonymes, au point de nous rendre un jour ensemble en voiture à Bastogne juste parce que nous avions été touchés par la série Band of brothers. Romain avait beau être un grand gaillard, il était en effet très sensible, il adorait le film Cheval de guerre.
Perdre un tel pilier a été particulièrement douloureux. Ces moments pénibles m’ont poussé à me détacher des réseaux sociaux, à récupérer beaucoup de temps pour l’écriture. À mieux me connaître aussi, j’ai découvert quantité de choses insoupçonnées sur mon mode de fonctionnement.
Paradoxalement, je suis dans une période d’euphorie créative suite à une (r)évolution dans mon écriture, grâce notamment aux ateliers que j’anime. Ils me permettent de sortir de ma zone de confort, de progresser dans mes techniques via la nouvelle, que je maitrise de mieux en mieux. Je ne me suis jamais senti aussi libre en matière de narration. En fait, après trois romans publiés, j’ai l’impression que je commence seulement maintenant à « écrire ».
Vous vous en souvenez peut-être, après le tome trois des pirates de l’Escroc-Griffe j’avais travaillé sur un roman historique se déroulant pendant l’Antiquité… puis j’ai réalisé que mon synopsis n’était pas assez abouti. Je l’ai laissé mijoter et je me suis lancé dans l’écriture d’une trilogie fantasy se situant sept siècles après les pirates, une histoire très sombre qui se déroule sous terre. J’ai terminé le manuscrit du tome 1, il a été lu et même très apprécié par une bêta-lectrice expérimentée… mais, à mon sens, il manque encore quelque chose à ce roman dans lequel je ne me retrouve pas complètement. Après cette période de confinement et de deuil, cet été j’avais soif de légèreté et de lumière, de grands espaces, de soleil et d’océan. J’avais besoin de ce vent romanesque qui donne envie de naviguer à l’autre bout du monde… et non que mes lecteurs deviennent claustrophobes !
J’en suis alors arrivé à la conclusion que si mon inspiration était toujours bien là, mon imaginaire, lui, ne voulait pas plus d’un roman exclusivement historique que d’une trilogie fantasy trop sérieuse. Créer un univers peut me prendre des années, or je sentais qu’une part de moi aspirait à un processus à la fois différent et similaire, plus court, et surtout plus immersif, mais jusqu’à cet été j’ignorais comment y parvenir.
C’est en écrivant une nouvelle historique se situant en plein désert que j’ai réalisé que cela faisait bientôt près d’une décennie que je lisais, pour le plaisir, quantité d’articles sur l’Asie Centrale. Coïncidence, après différents tests génétiques j’ai découvert que j’avais moi-même des origines orientales significatives du côté de ma mère (pourtant italienne). J’en suis heureux, car j’ai toujours été passionné par les philosophies asiatiques, le désert du Gobi et les grands espaces, quels qu’ils soient. Quand je participais à des fouilles archéologiques en Jordanie, j’adorais contempler le coucher de soleil sur le Wadi Rum, un dédale de canyons, d’arches naturelles, de falaises et de grottes qu’on retrouve dans Lawrence d’Arabie, Dune et Indiana Jones. Depuis les hauteurs de Pétra, lorsque je prenais des photos telles que celle-ci, j’imaginais les caravanes ramener d’Orient les épices si convoitées.
J’avais le sentiment d’être aux portes d’un monde insoupçonné, aussi lointain que mystérieux. Si un voyageur de notre époque parvenait en effet à remonter le temps jusqu’au Moyen-Âge, et qu’il atterrissait en Asie Centrale, il se croirait sur une autre planète. Il traverserait d’innombrables petits royaumes isolés du reste du monde, rencontrerait des peuples aux coutumes étranges, des pèlerins exaltés adeptes de dieux oubliés. Il visiterait les ruines de cités aujourd’hui englouties par le sable…
À la lumière de ce constat, je me suis rendu compte que j’avais moins besoin d’inspiration, que de rendre hommage à ces cultures disparues dont on parle rarement dans les romans, les films ou les séries. Pourquoi créer un univers de fantasy aride à la Dark Sun, alors que tout était là depuis toujours, au plus profond de moi ?
Après la mer, inconsciemment je crois que je rêvais de retrouver les océans de sable de ma jeunesse qui s’étendaient à perte de vue. C’est ainsi que ce qui devait être une courte nouvelle s’est transformée cet été en un roman d’aventures initiatique avec un soupçon de réalisme magique, un récit influencé par la philosophie orientale et la route de la Soie. Vampirisé par cette histoire, j’ai passé des nuits blanches à voyager sur des cartes, à taper frénétiquement sur mon clavier, comme si j’avais vécu à cette époque, et que ma vie en dépendait. Jamais je n’ai eu autant de plaisir à écrire un roman depuis les pirates… et j’espère que ce récit vous plaira également ! Si tout va bien, je devrais terminer son écriture pour Noël. Cerise sur le gâteau, ce projet m’a donné envie de reprendre plus tard l’autre roman historique en sommeil dont je vous parlais au début de cet article, celui qui se déroule sous l’Antiquité. Plutôt qu’écrire une trilogie ou un cycle, je me dis que ces deux romans autonomes auront des thématiques communes, l’un sera un lointain écho de l’autre…
Dernière satisfaction mais non des moindres, cet été j’ai ressorti du tiroir un vieux projet d’urban fantasy délirant que je devais écrire avec l’autrice qui partage ma vie, Anne-Lorraine. J’ai compris ce qui ne fonctionnait pas dans le synopsis initial. J’ai soumis à Anne-Lorraine une nouvelle version détaillée, qui lui a plu. Elle s’est empressée d’écrire le premier jet, qu’elle pense terminer le 29 décembre. Je reprendrai alors son texte, puis ce sera à son tour d’ajouter son grain de sel, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’on arrive à une version satisfaisante. En 2021, ce ne sera donc pas un mais deux manuscrits qui partiront enfin en soumission éditoriale, deux romans que j’aime profondément, pour différentes raisons. Le temps aura été long, et pourtant je ne regrette pas que ce processus créatif se soit déroulé ainsi. Après avoir écrit trois romans, je n’avais pas seulement besoin de temps, je devais également laisser mon imaginaire s’abreuver de la pluie…
Aujourd’hui, j’ai hâte de partager ces histoires avec vous !