
Plus d’un an sans écrire un article sur ce blog… autant dire une éternité, mais en l’espace de 12 mois j’ai eu une vie digne d’un roman, avec des hauts et des bas. J’ai donc appelé cette série de trois articles « Triomphes et désastres »… avec un premier billet positif.
Je ne pensais pas que c’était possible, mais je ne sais pas le dire autrement : il y a un an, je suis tombé fou amoureux d’un métier.
En revenant de Géorgie, je désirais absolument trouver un travail qui me permette de sortir de mon quotidien d’auteur-seul-dans- son-coin, et en janvier 2022 j’ai eu le bonheur d’être recruté dans une médiathèque en tant que bibliothécaire (enfin, « médiathécaire »)… Et là, vous êtes en train de vous dire « on parle quand même de vieillards aigris qui passent l’essentiel de leur temps à lire des livres poussiéreux dans une bibliothèque sombre et mal éclairée en exigeant de parler moins fort »… En fait, rien n’est plus faux.



Travailler en médiathèque, c’est vraiment une expérience, un voyage dans un monde aussi méconnu qu’exaltant, avec des personnes formidables, passionnées par le polar, l’Histoire, le manga ou la littérature de l’imaginaire. Ici, tout le monde a sa spécialité, mais dans le même temps, tout est pluridisciplinaire, parce que nous travaillons en équipe. Karma oblige, j’ai atterri en « Sciences et Société », je suis responsable des rayons philosophie, religion, psychologie, langues, sans oublier le domaine le plus cool de la médiathèque : ésotérisme et occultisme ! Lorsque je présente à un usager cette section, j’ai l’impression d’être un Egon Spengler tout droit échappé de Ghostbusters à mesure que je déblatère sur un ton monocorde mon laïus: « ici vous trouverez tout ce qui est en rapport avec le spiritisme, les fantômes, l’alchimie

… à ceci près que je dois constamment respecter un équilibre. Il faut en effet contenter le grand public friand de ce genre de livres tout en veillant à suivre une démarche sérieuse : même si nous ne sommes pas une bibliothèque universitaire ultra spécialisée, nous nous devons d’acheter des bouquins un minimum crédibles, éviter les ouvrages de charlatans et/ou complotistes.
Dans cette médiathèque, il existe des outils incroyables, comme le bibliobus qui permet d’amener les livres dans des quartiers populaires où la population a des difficultés à accéder à la culture.


Il parait qu’il existe même, dans la Meuse, un bibliobus équipé d’un Fablab ainsi que d’une antenne satellite permettant de capter Internet, de jouer aux jeux vidéos ou même de regarder des films ! J’ai également découvert un lieu impressionnant, la réserve, munie de vastes et lourds rayons mobiles qu’on actionne avec des leviers et dont il faut se méfier, afin d’éviter de se retrouver écrasé entre deux rayons.



Dans certaines salles de la médiathèque, il est possible d’enregistrer des podcasts et autres audiobooks, d’utiliser des fonds verts si, par exemple, un auteur donne une interview. C’est ainsi que j’ai eu l’idée de faire lire à Fabien Cerutti une nouvelle qu’il a écrite spécialement pour Thionville, et qui sera bientôt en ligne !


L’atmosphère ici est stimulante et créative. Des vernissages et des concerts ont lieu régulièrement. Une rencontre improbable m’a particulièrement marqué : dans une ambiance oniro-poétique qui rappelle les films de Michel Gondry, de jeunes comédiens ont fait irruption dans nos locaux administratifs pour nous inviter à tester leur spectacle, « la souvenirothèque », un lieu imaginaire dans lequel sont entreposés des souvenirs de personnes âgées, ce qui a donné lieu à un spectacle émouvant. L’instant magique, c’est lorsqu’à la fin les comédiens nous ont demandé, anxieux, notre avis : il s’agissait de leur toute première représentation face à un public !
Un autre jour, j’ai également été touché par le spectacle d’artistes ukrainienes qui chantaient des airs folkloriques, émotion garantie.

Des étoiles dans les yeux, j’ai rapidement repris le travail, un travail conséquent et pour cause : être bibliothécaire, c’est accomplir plusieurs métiers. Il faut acheter des livres qui ont retenu notre attention, constamment mettre en avant les titres en rapport avec l’actualité et les besoins, mais aussi équiper les ouvrages, c’est-à-dire les couvrir. Moi qui ne suis pas à la base très manuel, je suis devenu un pro en la matière (au point de m’occuper des livres d’école de mon fils).

Je suis désormais, au sein de l’univers « Sciences et Société », le type qui veut à tout prix réparer les livres, y compris les cas les plus désespérés ! J’utilise de la colle caoutchouc pour les reliures

ainsi que les fameuses « araignées » (des élastiques)

mais aussi la massicot, une machine dotée d’un rayon laser et de lames dangereuses qui permettent de couper les extrémités usées des pages d’un livre afin de lui redonner une seconde jeunesse.




Au fil du temps j’ai acquis la confiance de mes collègues qui me confient volontiers leurs « malades » car nous économisons ainsi de l’argent au lieu d’envoyer des ouvrages au « pilon »…
Hélas, parfois, quand un livre n’est plus emprunté depuis des années il faut « désherber »… Un moment difficile pour moi, mais heureusement, avant d’être pilonnés les livres orphelins sont vendus à une foire de la dernière chance…
Pour désherber, j’utilise la méthode IOUPI :
I comme Incorrect
O comme Obsolète
U comme Usé
P comme Périmé
I comme Inadéquat
Le désherbage est nécessaire parce qu’il permet également de faire de la place pour se procurer de nouveaux livres, parce que la bibliothèque est comparable à un organisme vivant qui doit se régénérer au fil des ans. Nous sommes au service d’un objectif social vital : permettre à l’ensemble de la population d’accéder au savoir.
Ce ne sont pas de vains mots ! J’ai en effet été très touché d’observer un brassage incroyable au niveau du public : la médiathèque est l’un des rares endroits où l’on peut retrouver dans un même espace une grand-mère amatrice de polars et un ado fan de mangas. J’ai moi-même fait une belle rencontre avec un jeune d’un quartier populaire qui venait emprunter… Blade Runner, de Philip K. Dick, un auteur qui me passionne. Notre bref échange m’a permis de lui expliquer qui était cet auteur, et de lui faire découvrir Carbonne Modifié, de Richard Morgan, qu’il était ravi de découvrir… Quel bonheur que de se sentir utile !
Travailler dans une médiathèque, ce n’est pas seulement aimer les livres, c’est également donner du sens. Certaines personnes vont pouvoir utiliser gratuitement Internet, parce qu’elles n’ont pas les moyens de se payer un abonnement. Dans l’univers « Images et sons », le mercredi et le samedi nous permettons aux gosses de jouer à la PS5, la X-Box, la Switch… et même à d’anciens jeux comme Mario, Mortal Kombat 2 !


Cerise sur le gateau, nous disposons même de lecteurs CD et vinyle qui permettent de diffuser de la musique. C’est ainsi que j’ai fait découvrir à des jeunes mon groupe préféré, Radiohead. À l’inverse, qu’elle ne fut pas ma déception lorsque des adolescents demandèrent aux collègues de la sécurité si je ne pouvais pas un peu baisser le volume lorsque je passais du Nirvana ! #faitesdesgosses.
Puisqu’on parle des jeunes, je suis aussi le médiathécaire qui bougonne « on ne court pas » aux jeunes… des jeunes qui m’apprécient. Lors d’un événement, je les ai invités à un « voyage dans le temps » sur des consoles antédiluviennes comme la Megadrive ou la Super Nintendo… Ils ont adoré Prince of Persia !
Comme nous sommes un service public, nous nous devons de prendre le temps d’échanger avec les usagers, de les aider, sans être animés par une quelconque logique de rentabilité. Responsable des méthodes d’apprentissage des langues, j’ai plusieurs fois accueilli des réfugiés ukrainiens qui cherchaient à apprendre le français, mention spéciale à cet adolescent à qui j’ai fait visiter la médiathèque en lui disant « tu es chez toi ici », et qui m’a remercié, les larmes aux yeux. J’ai attendu qu’il parte pour craquer à mon tour…
Nous sommes là pour servir le public… autant dire que nous n’avons jamais le temps de lire !#lecordonnierleplusmalchaussé
Il faut aussi s’occuper de la médiation culturelle, inviter des artistes comme l’auteur de Yojimbot qui a eu droit à son vernissage, organiser des événements.


J’ai ainsi animé plusieurs tables de jeux de rôle, des ateliers d’écriture, joué du didgeridoo dans le cadre d’un spectacle sur le folklore australien, et même créé un rayon méditation ainsi qu’une table pour mettre en valeur cette pratique.

J’en arrive au seul point négatif de ce métier : nous sommes tout le temps dérangés dans notre travail, car nous avons 1000 tâches à accomplir.
Il me reste à vous raconter une dernière anecdote. Ma prédécesseuse, Fernande, une bibliothécaire partie à la retraite et que je remplace, a eu la gentillesse de me rendre visite pour me parler de mes rayons, et du très sérieux et mondialement connu système Dewey : tout le savoir de l’Humanité est rangé de 0 à 1000.
À mesure que Fernande me parlait avec amour des livres qu’elle avait passé des années à patiemment rassembler, je me rendis compte que nous avions énormément de passions communes, comme par exemple Mircea Eliade, l’ami de mon grand-père qui était spécialiste des religions. À un moment donné, Fernande me parla de la nécessité de bien séparer relaxation et méditation… que nous pratiquons en fait tous les deux.
— Je suis vraiment honoré d’être ton successeur, dis-je, ému.
— Et moi je suis fier que ce soit toi, me répondit-elle.
J’avais les larmes aux yeux.
Fernande est partie en me laissant son numéro de téléphone si j’avais besoin d’aide, rassurée d’avoir transmis le travail d’une vie à une personne qui l’appréciait.
Quand je suis revenu à mon bureau, une collègue de travail m’a dit :
— Hé ! Ton roman vient d’être emprunté ! Et devine par qui ? Fernande !
C’est à ce moment-là que j’ai souri.
Hello ! Content de te relire. Je venais régulièrement faire un tour sur ton blog en me demandant quand j’aurai le plaisir de lire un nouveau billet. C’est chose faite. Beau témoignage, bravo pour ce métier passionnant.
Joseph (Sardequin)
Oh merci Joseph, c’est adorable ! Quelle patience ! Merci pour ta fidélité, et meilleurs vœux 🙂
Oui, meilleurs vœux à toi, on est encore dans les délais. Et surtout bonne chance dans cette nouvelle aventure. 🙂
Meilleurs vœux à toi aussi et encore bravo pour cette nouvelle aventure. Joseph
Merci Sardequin !
Quel plaisir de voir ton blog se parer d’un nouvel article et quel article ! La fin est très émouvante et conclut magnifiquement cet article. Heureux que tu aies trouvé un métier qui t’aille si bien ! ❤
Merci Fred ! Oui, j’ai la chance incroyable d’avoir un métier qui a du sens, du moins à mes yeux… Ça n’a pas de prix.
Oh, c’est déjà super d’avoir de tes nouvelles mais en plus voilà des nouvelles qui font plaisir ! Waw carrément des jeux vidéos dans ta médiathèque, la classe, chez nous on a beau être dans une petite ville c’est tout juste si on a internet mdr
ps : c’est pas sur concours pour être bibliothécaire ? bravo !
signé : marguerite
Merci Marguerite ! Ça me fait plaisir de te retrouver ! Non, pas besoin de concours pour les catégories C, qui sont stagiairisés, puis titularisés… En tout cas, c’est la procédure ici.
Je voulais justement t’appeler pour avoir de tes nouvelles, et les voilà, superbes, touchantes et qui font bien plaisir. Tu as vraiment une belle façon de vivre et de raconter !!! Bonne continuation sur ce passionnant chemin.
Merci, ce que tu dis me touche beaucoup. J’espère que de ton côté tout va bien, à bientôt j’espère !
Wow, quel retour ! J’ai adoré ce récit et cette plongée dans TA médiathèque. 😍
Merci ! C’est vrai que chaque médiathèque est différente, de la même façon que mon regard est forcément plus « frais » que ceux de collègues qui travaillent depuis des années. La charge de travail est conséquente, mais au moins on ne s’ennuie pas ^^
Bravo pour cette entrée dans un métier qui a l’air d’une grande richesse 🙂
Merci ! Oui, c’est passionnant, j’ai du mal à croire qu’il s’est déjà écoulé un an. J’ai à la fois appris beaucoup de choses… et il me reste encore beaucoup à apprendre 🙂
Oh Sébastien,
Tu me donnes l’envie de demander ma mutation dans une Médiathèque…
Amitiés.
Denis
Héhé ! 😉
Très bel article sur le métier et les rencontres que l’on peut y faire. C’est très touchant aussi.
Merci pour ce petit voyage dans Puzzle.
A bientôt
Sandra