Les sciences prodigieuses de l’Empire byzantin, manifeste pour un nouveau steampunk

Comme la plupart d’entre vous, j’aime lire du steampunk, mais dans cet article sur la machine d’Anticythère et les mécanismes de l’Antiquité, nous avions vu que bien avant l’ère de la vapeur, il existait des engins sophistiqués. En tant qu’auteur, j’adore l’idée de pousser la technologie dans ses derniers retranchements, et pas seulement celle du XIXe siècle.

Le Moyen-Âge constitue un cadre idéal, avec une civilisation considérablement en avance sur l’Occident d’un point de vue technique : l’Empire byzantin. Franchement, pourquoi les auteurs n’exploitent pas davantage cette période ? De nombreux documents attestent d’une supériorité technologique pour le moins effarante. Ainsi, au Xe siècle, l’ambassadeur Liutprand de Crémone rapporte un récit digne d’une histoire de science-fiction :

Devant l’empereur se trouvait un arbre de bronze recouvert d’or dont les branches étaient garnies d’oiseaux de bronze, qui imitaient les cris des vrais oiseaux. Le trône impérial était fabriqué de telle façon qu’il paraissait d’abord très bas, puis plus haut et à un autre moment complètement en l’air. Des lions dorés, de bois ou de bronze, semblaient le garder ; ils frappaient le sol de leur queue tandis qu’un rugissement sortait de leur bouche ouverte où ils roulaient la langue. J’approchai de l’empereur et j’accomplis trois fois la proskynèse (prosternation par terre).

De toute évidence, les Byzantins ont conservé la science des automates, d’inoffensives machines déjà mentionnées par les auteurs grecs de l’Antiquité. Ces automates rappellent ceux de Philon de Byzance, l’inventeur de Pan et le cerf assoiffé, d’oiseaux hydrauliques, ainsi que de la fameuse servante (un « robot » rudimentaire)

Si vous rêvez d’écrire une roman médiéval qui se déroule à Constantinople et que vous avez besoin d’informations sur la science byzantine, confrontée à l’obscurantisme religieux, je suis votre homme.

nom de la rose

Le fanatisme donne une vilaine peau

 Minute ! C’est quoi la différence entre Byzance, Constantinople, et Istanbul ?

En géographie, pratiquement aucune. Byzance est une riche cité grecque de l’Antiquité. Plus tard, à l’époque de l’Empire romain, l’empereur Constantin fait reconstruire une nouvelle capitale pour remplacer Rome, car les frontières à l’Est sont menacées par les barbares. C’est ainsi que Constantinople nait en 330 après J.-C. Son histoire est étroitement liée à celle d’Alexandrie, et à la « chute de l’Empire romain » qui intervient officiellement en 476 après J.-C., date de l’abdication de son dernier empereur fantoche, le jeune Romulus Augustule… dans l’indifférence la plus totale. Aujourd’hui la plupart des historiens sont d’accord pour dire qu’il n’y a pas de chute brutale de l’Empire romain. Quelques scientifiques remettent même en cause l’idée d’une décadence et préfèrent parler de continuité. Ils n’ont pas tort : si l’Empire romain a décliné, les choses se sont gâtées bien avant 476. En 410, les Goths (je parle des barbares, hein, et non des gens en noir qui écoutent de la musique triste) pillent Rome, et prouvent que les ignorants n’ont pas attendu Daesh pour s’attaquer à la culture. Le sac de Rome est un véritable crime contre l’Humanité car les archives impériales sont détruites, les bibliothèques brûlées, les professeurs assassinés. Cette catastrophe civilisationnelle a des répercussions au niveau universitaire, dans toutes les disciplines. Alors que Constantinople résiste (et prouve qu’elle existe), en Occident, il n’y a désormais plus de cadre intellectuel fertile favorisant les ingénieurs. Le sac de Rome n’est malheureusement pas un événement tragique isolé.

Bon, c’est moche, mais quel rapport avec Constantinople et Alexandrie ?

Ironie du sort, c’est depuis Constantinople que le monothéisme va porter un autre coup terrible à la science antique. En 380, le tristement célèbre empereur Théodose, un fanatique chrétien homophobe avec qui je n’aurais pas aimé partir en vacances, proclame le christianisme religion officielle et interdit le polythéisme. Concrètement, cela signifie qu’on empêche aux « païens » d’acceder à leurs lieux de culte et qu’on supprime toutes leurs cérémonies. Les temples sont détruits ou consacrés en églises, les statues des divinités brisées. Sans surprise, la bibliothèque d’Alexandrie est incendiée en 391, au grand dam de la philosophe, mathématicienne et astronome Hypathie, dont les travaux disparaissent dans les flammes (si vous avez l’occasion, regardez le beau film qui lui est consacré, Agora).


Bon nombre de recherches scientifiques sont perdues à jamais. On estime que moins de 10% des livres antiques, nous ont été transmis, et le plus souvent sous une forme remixée christianisée. Ainsi, en philosophie, l’étude de Platon n’est tolérée que dans une optique monothéiste. Il faudra attendre le XIXe siècle pour retrouver une bibliothèque de la taille de celle d’Alexandrie. Dans le domaine de la mécanique, les recherches sur les éolipyles, les premières machines à vapeur, vont subir un coup d’arrêt de plus d’un millénaire. Les travaux ne reprennent officiellement qu’en 1551, avec le polymathe arabe, Taqi al-Din.

Les philosophes deviennent des cibles de choix pour les fanatiques chrétiens : quelques années après l’incendie de sa bibliothèque, la malheureuse Hypathie est amenée de force dans une église. Déshabillée, elle est frappée à coups de tessons, puis les restes de son corps démembré sont trainés dans la rue. Par la suite, les derniers intellectuels tels que Étienne d’Alexandrie (philosophe, mathématicien, astronome, et alchimiste) se voient contraints de migrer à… Constantinople, qui va profiter de cette diaspora. Ironie du sort, l’intolérance de Théodose provoquera l’arrivée de bon nombre de philosophes dans sa propre cité !

La mort de Théodose en 395, le dernier vrai psychopathe empereur d’envergure, marque la fin de l’Empire romain tel qu’on le connait. Ses deux fils se partagent l’Empire romain d’Occident et l’Empire romain d’Orient, à l’intérieur duquel on parle grec plutôt que latin. Plus jamais l’Empire romain antique ne sera réuni.

empire

Ce partage territorial et administratif a une grande importance. Tandis que l’Europe subit les invasions barbares, et que le foyer intellectuel d’Alexandrie meurt à petit feu, Constantinople demeure le garant d’un art de vivre, d’une certaine « romanité ». Ses habitants se considèrent comme les seuls ressortissants de l’Empire romain, « l’Empire romain d’Orient » (vous suivez toujours ?).

Ses savants vont assurer la transmission du savoir antique, de la science et de l’ingénierie de façon spectaculaire. Ainsi, lors des sièges, pour ne pas manquer de farine, le général Bélisaire invente les moulins à roues à aubes qui seront utilisés jusqu’au XIXe siècle.

À la différence de Rome, la Constantinople de l’empereur chrétien Justinien résiste aux envahisseurs barbares pendant tout le VIe siècle, et reprend même de nombreux territoires : l’Italie, l’Afrique du Nord, le Sud de l’Espagne, le Proche-Orient, les Balkans…

 

 

L’apogée de l’Empire, en jaune les conquêtes de Justinien

Attendez, tout n’était pas rose ! Sous le règne de Justinien, l’école néoplatonicienne d’Athènes est interdite, les païens et les juifs sont proscrits… 

Je vous le concède… mais ces répressions, aussi révoltantes soient-elles, ne doivent pas occulter les formidables avancées accomplies durant cette période. L’antique basilique de la Sagesse Divine de Constantin est reconstruite et devient la basilique Sainte-Sophie, le dernier chef d’oeuvre de l’Antiquité. Sainte-Sophie restera pendant près de mille ans la plus grande église du monde. Des aqueducs et des murailles cyclopéennes sont érigés. Les égouts et fontaines de Constantinople, qui reposent sur la science hydraulique des Grecs, émerveillent les voyageurs. Avec Justinien, l’Antiquité vit son crépuscule. Après sa mort en 565, l’Empire ne conserve que les Balkans, l’Asie Mineure et le Sud de l’Italie. Les ingénieurs orientaux doivent inventer les armes les plus efficaces pour aider l’armée contre ses multiples ennemis, il en va de la survie de Constantinople. C’est à cette époque que nait le trébuchet à traction, une redoutable machine à projectiles capable de démolir des fortifications.

trebuchet byzantin

Sur les mers, les « Romains » utilisent contre les Arabes et les Turcs une invention terrifiante, le feu grégeois (le « feu grec »), dont le secret de fabrication est jalousement conservé par les alchimistes.

Le « feu grec » ?

En fait cette substance est connue sous de nombreux noms différents : feu liquide, romain, de guerre, explosif… Son origine remonte, comme les automates, à l’Antiquité. Il s’agit d’un mélange tellement inflammable qu’il brûle même dans l’eau, mais la composition de ce feu chimique est aujourd’hui perdue. On raconte que des siècles plus tard, un savant de Louis XV a réussi à trouver à nouveau la recette. Horrifié, le roi aurait détruit la formule !

Plus de mille ans avant l’invention du napalm au Vietnâm, la flotte de Constantinople emploie le feu grégeois de différentes manières. En mer, des tubes, véritables lance-flammes avant l’heure, arment les navires byzantins. Les simples explosions ne manquent pas de donner un avantage psychologique certain. Au niveau du mécanisme, une pompe est activée, et propulse le terrible liquide. La chaleur est telle que les siphonarios, les soldats responsables de la machine, doivent se protéger derrière des écrans thermiques en fer ! Il existe d’autres inconvénients : la portée, ainsi que les conditions atmosphériques. Le mauvais temps interdit tout simplement l’utilisation de cette arme.

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Aussi incroyable que cela puisse paraître, il existe une version « portable » de ce lance-flammes, le cheirosiphōn, « siphon à mains », que l’on utilise pendant les sièges. Ses effets sont dévastateurs comme l’atteste Jean de Joinville lors de la Septième Croisade de Saint-Louis :


Il était aussi large en avant, comme un tonneau de vinaigre, et la queue de feu qui traînait derrière était grosse comme une grande lance, et il fait un tel bruit, comme il est venu, qu’il sonnait comme le tonnerre du ciel. Il ressemblait à un dragon volant dans les airs. Une telle lumière vive avait-elle brillé, que l’on pouvait voir tout sur le camp comme s’il faisait jour, en raison de la grande masse de feu, et l’éclat de la lumière versée. Trois fois cette nuit-là ils lancèrent le feu grec contre nous.

 

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Autre arme connue, toute aussi dévastatrice, la grenade, projetée par des catapultes qui peuvent atteindre leurs cibles à plus de 400 mètres de distance. Elle est utilisée pour incendier les bateaux ennemis.

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Même si les habitants de l’Empire continuent de s’appeler les Rhomaioi (« Romains »), les historiens ne parlent plus d’Empire romain d’Orient mais d’Empire byzantin. Si malgré plusieurs incendies, la bibliothèque de Constantinople permet de transmettre un précieux savoir, à Alexandrie la science antique, elle, n’est déjà plus qu’un lointain souvenir. Le constat est d’autant plus cruel quand on lit ce texte d’un moine chrétien égyptien du VIIe siècle, Jean de Nikiou, à vous glacer le sang. Vous vous souvenez de la pauvre Hypatie, la  philosophe, mathématicienne et astronome dont je vous parlais plus haut ? Voilà ce que ce sympathique moine a retenu de la mort de sa compatriote, un peu plus de deux siècles après son supplice à Alexandrie… :

En ces temps apparut une femme philosophe, une païenne nommée Hypatie, et elle se consacrait à plein temps à la magie, aux astrolabes et aux instruments de musique, et elle ensorcela beaucoup de gens par ses dons sataniques. Et le gouverneur de la cité l’honorait excessivement ; en effet, elle l’avait ensorcelé par sa magie. Et il cessa d’aller à l’église comme c’était son habitude… Une multitude de croyants s’assembla guidée par Pierre le magistrat — lequel était sous tous aspects un parfait croyant en Jésus-Christ — et ils entreprirent de trouver cette femme païenne qui avait ensorcelé le peuple de la cité et le préfet par ses sortilèges. Et quand ils apprirent où elle était, ils la trouvèrent assise et l’ayant arrachée à son siège, ils la trainèrent jusqu’à la grande église appelée Césarion. On était dans les jours de jeûne. Et ils déchirèrent ses vêtements et la firent traîner (derrière un char) dans les rues de la ville jusqu’à ce qu’elle mourût. Et ils la transportèrent à un endroit nommé Cinaron où ils brûlèrent son corps. Et tous les gens autour du patriarche Cyrille l’appelèrent  » le nouveau Théophile », car il avait détruit les derniers restes d’idolâtrie dans la cité.

Cela en dit long sur le recul du savoir antique en seulement deux cent ans…

Fort heureusement, alors que beaucoup d’oeuvres « païennes » sont vouées aux gémonies par l’Église catholique, les Byzantins contribuent à préserver la culture occidentale en conservant des textes philosophiques majeurs, comme ceux d’Aristote. En médecine, pendant plusieurs siècles l’Occident fait n’importe quoi se base sur Gallien, tandis que les Byzantins préfèrent Hippocrate, et surpassent les connaissances chirurgicales des Francs à l’époque des Croisades.

Ceux qui se font appeler « Romains » ne sont pas seulement les dépositaires du savoir antique, ils l’enrichissent considérablement aux contact des civilisations arabes et perses. La géographie grecque est complétée par le biais d’atlas, en partie grâce au comptoir égypto-byzantin de l’île de Dioscoride, au large du Yemen : les Byzantins commercent avec Kerala, au sud de l’Inde !

En 1054 l’Église chrétienne subit le schisme, la « séparation » : l’Église orthodoxe du patriarche de Constantinople se détache de l’Église catholique du pape de Rome, ce qui aura, là aussi, des conséquences scientifiques. À la différence de leurs homologues de l’Occident catholique, jamais les astronomes byzantins ne sont persécutés.

Il n’est donc guère étonnant que Constantinople possède une avance intellectuelle considérable sur l’ensemble de l’Europe médiévale. À mon grand regret, ce sujet est peu abordé car pendant longtemps en Occident on a méprisé cette civilisation (d’où l’expression « administration byzantine » pour désigner quelque chose d’inutilement compliquée). Pourtant, ces sciences techniques, loin d’être anecdotiques, témoignaient d’une culture brillante, raffinée et humaniste. Fille de Rome et d’Alexandrie, Constantinople aura une influence durable sur l’architecture de son temps, preuve en est avec la basilique à coupoles de Saint Marc à Venise, les mosquées ottomanes, la cathédrale de Kiev, la mosquée de Damas, le dôme du Rocher… La prise de Constantinople en 1453 par les Turcs, et ce qu’on appellerait aujourd’hui la « fuite des cerveaux » vers l’Occident, marqua un renouveau spectaculaire. Une période de prospérité quasiment sans précédent en Europe. Plus qu’un retour vers l’Antiquité… une Renaissance.

Si vous voulez aller plus loin, je vous conseille un excellent site qui a en partie inspiré mon article, celui du musée des technologies des Grecs de l’Antiquité.

Published in: on février 27, 2016 at 11:45  Comments (11)  

La machine d’Anticythère et les fabuleux mécanismes de l’Antiquité

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Dans cet article sur mes fouilles archéologiques en Jordanie, j’expliquais comment l’Antiquité m’avait influencé dans la création de mondes imaginaires, surtout au niveau de la technologie. Il est amusant de constater combien nous sommes marqués par une vision linéaire de l’Histoire, comme si le progrès technique s’était régulièrement opéré de la préhistoire jusqu’à nos jours en suivant une diagonale… Rien n’est plus faux ! J’adore jouer avec cette idée dans mes univers fictifs, il faut dire que l’Histoire est une source d’inspiration infinie.

Lorsque des scaphandriers grecs trouvent en 1900 l’épave d’un navire romain revenant de Grèce, ils sont loin d’imaginer que leur découverte va bouleverser notre connaissance de l’Antiquité. Et pour cause : à l’intérieur du bateau a été mise au jour un mécanisme doté d’engrenages, d’aiguilles, de cadrans…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Autre élément étonnant, la présence de signes astronomiques basés sur le cycle lunaire. Pour comprendre la machine il faut étudier aussi bien l’astronomie que les mathématiques… et garder en tête que ce genre d’engin n’apparaît qu’à l’époque de la Renaissance ! Il s’agit donc d’une découverte de premier plan qui amène bien des questions… Est-ce une machine unique ? Qu’est-ce qu’elle nous apporte d’un point de vue historique ? Ces questions sont intéressantes à plus d’un titre, car elles bousculent quelque peu notre vision classique de l’Antiquité.

Un objet complètement inconnu ?

Pas vraiment. Cicéron raconte qu’il a hérité de sa famille d’une machine étrange, et qu’un de ses amis en avait élaboré une autre. [1,14] XIV.

Ce que je vous dirai, reprit Philus, n’est pas nouveau… Gallus fit apporter cette fameuse sphère, seule dépouille dont l’aïeul de Marcellus voulut orner sa maison après la prise de Syracuse, ville si pleine de trésors et de merveilles. J’avais souvent entendu parler de cette sphère qui passait pour le chef-d’œuvre d’Archimède, et j’avoue qu’au premier coup d’oeil elle ne me parut pas fort extraordinaire. Marcellus avait déposé dans le temple de la Vertu une autre sphère d’Archimède, plus connue du peuple et qui avait beaucoup plus d’apparence. Mais lorsque Gallus eut commencé à nous expliquer, avec une science infinie, tout le système de ce bel ouvrage, je ne pus m’empêcher de juger qu’il y avait eu dans ce Sicilien un génie d’une portée à laquelle la nature humaine ne me paraissait pas capable d’atteindre. Gallus nous disait que l’invention de cette autre sphère solide et pleine remontait assez haut, et que Thalès de Milet en avait exécuté le premier modèle; que dans la suite Eudoxe de Cnide, disciple de Platon, avait représenté à sa surface les diverses constellations attachées à la voûte du ciel ; et que, longues années après, Aratus, qui n’était pas astronome, mais qui avait un certain talent poétique, décrivit en vers tout le ciel d’Eudoxe. Il ajoutait que, pour figurer les mouvements du soleil, de la lune et des cinq étoiles que nous appelons errantes, il avait fallu renoncer à la sphère solide, incapable de les reproduire, et en imaginer une toute différente; que la merveille de l’invention d’Archimède était l’art avec lequel il avait su combiner dans un seul système et effectuer par la seule rotation tous les mouvements dissemblables et les révolutions inégales des différents astres. Lorsque Gallus mettait la sphère en mouvement, on voyait à chaque tour la lune succéder au soleil dans l’horizon terrestre, comme elle lui succède tous les jours dans le ciel ; on voyait par conséquent, le soleil disparaître comme dans le ciel, et peu à peu la lune venir se plonger dans l’ombre de la terre, au moment même où le soleil du côté opposé … (Cicéron, de La République, Livre I, Chapitres XI-XV).

Selon les dernières analyses remontant aux années 2000, et les scanners appliqués sur les 82 fragments, il y a 2200 caractères évoquant un texte ésotérique en rapport avec des divinités et le zodiaque, ainsi qu’un manuel d’utilisation.

 

 

 

 

 

 

 

Quatre cadrans indiquaient les positions du Soleil et de la Lune. Il est possible qu’une manivelle actionnait le mécanisme, comme on le voit sur la reconstitution. L’appareil affichait le (moderne) calendrier égyptien ainsi que les signes du zodiaque. Une aiguille indiquait les jours d’éclipse ! Il s’agissait donc d’une calculatrice astronomique. Cette merveille de technologie remet en perspective nos connaissances de l’ingénierie antique.

L’école d’Alexandrie

On sait peu de choses sur les ingénieurs de l’Antiquité, car visiblement l’art mécanique était méprisé. On les retrouve essentiellement à Alexandrie, haut-lieu de la connaissance. Le fait qu’il ait existé au moins trois machines de type Anticythère prouve que la science des mechanopoioi, appelés aussi machinatores était avancée. Si pour l’instant, aucun autre mécanisme antique n’est parvenu jusqu’à nous, on a cependant des témoignages écrits d’engins perfectionnés. Ainsi Ctésibios d’Alexandrie (IIIe siècle avant J.-C.) aurait inventé des canons à eau tellement puissant qu’ils auraient pu propulser des projectiles et défendre une ville. Il élabore des automates, un monte-charge hydraulique, ainsi que le premier orgue de l’Histoire, l’hydraule.
 
 

 
 

Les archéologues ont découvert que l’aqueduc de Barbegal, qui apportait de l’eau aux moulins, alimentait quotidiennement tous les habitants d’Arles en farine !

Cette fameuse école d’Alexandrie prospère durant plusieurs siècles, et influence largement le monde romain. Entre le Ie et le IIe siècle après J.-C., un génie digne de Leonard De Vinci voit le jour : Héron d’Alexandrie. Cet ingénieur est l’inventeur de l’éolipyle, une chaudière fermée qui fait tourner une sphère, une petite « machine à vapeur » archaïque.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ce dispositif ne peut activer de puissants mécanismes, car pour Héron ce n’est qu’une simple expérience pratique. Beaucoup d’historiens et de romanciers se se demandent ce qu’il se serait produit si le savant avait réalisé l’importance de cette découverte, mais il ne faut pas oublier que ce mécanicien ne se contente pas d’inventer une seule machine à vapeur. Il créé des portes de temple, actionnées automatiquement. Un réservoir chauffé par le feu, transforme l’eau contenue dans une sphère en vapeur. Lorsque l’eau revient, les portes colossales se referment ! Héron est doté d’un esprit si brillant que rien ne semble l’arrêter, comme on le constate avec ces inventions destinées aux temples. Aussi incroyable que cela puisse paraître, il imagine un distributeur… d’eau bénite ! Lorsqu’on insère une pièce dans le mécanisme, de l’eau coule devant les fidèles éberlués… Héron n’hésite pas à créer un appareil imitant la voix d’un dieu pour rendre des oracles ! Il s’agit en fait d’un oiseau mécanique qui chante ou reste silencieux. Lorsqu’une question est posée, le prêtre enclenche discrètement un levier qui actionne « l’animal » si celui-ci doit gazouiller… Sur le plan militaire, Héron créé le polybolos, une baliste à culasse mobile qui tire des rafales de projectiles tel un canon mitrailleur gatling du XIXe siècle.

 

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Des machines pour abuser les crédules, des armes… Les inventions de cet ingénieur ne sont pas toutes recommandables ! Mais Héron s’illustre aussi dans le domaine des arts avec un théâtre mécanique doté d’automates en bois. Des sons reproduisent même le bruit du tonnerre. Selon Aulu-Gelle, Archytas de Tarente (Ve-IVe siècle avant J.-C.) aurait inventé quelque chose d’encore plus surprenant : un oiseau volant ! C’est ce qui est décrit dans Les nuits attiques, livre dix :

Cependant il est un prodige, opéré par Archytas, philosophe pythagoricien, qui n’est pas moins étonnant, et dont on conçoit davantage la possibilité. Les plus illustres des auteurs grecs, et entre autres le philosophe Favorinus, qui a recueilli avec tant de soin les vieux souvenirs, ont raconté du ton le plus affirmatif qu’une colombe de bois, faite par Archytas à l’aide de la mécanique, s’envola. Sans doute elle se soutenait au moyen de l’équilibre, et l’air qu’elle renfermait secrètement la faisait mouvoir. Je veux, sur un sujet si loin de la vraissemblance, citer les propres mots de Favorinus :  » Archytas de Tarente, à la fois philosophe et mécanicien, fit une colombe de bois qui volait. Mais, une fois qu’elle s’était reposée, elle ne s’élevait plus; le mécanisme s’arrêtait là.

En définitive, la machine d’Anticythère a confirmé le fait que les prodigieux mécanismes décrits dans les ouvrages grecs et romains n’étaient pas que des cathédrales de l’esprit. À l’aide de théories audacieuses, des ingénieurs ont élaboré pendant plusieurs siècles des machines sophistiquées. Une précieuse connaissance s’est transmise au moins à partir de Thalès, pour ensuite se perdre avec la fin du monde païen. Alors que les Byzantins et les Arabes ont tenté de préserver les traités antiques, l’Europe de l’Ouest a presque complètement oublié ce savoir inestimable. S’il est vrai qu’on a trop souvent dénigré le Moyen-Âge, on ne doit cependant pas minimiser la « science » antique, et admettre l’idée que l’Humanité n’a pas progressé selon une courbe exponentielle idéale telle qu’on l’imagine. Aussi brillantes soient-elles, les civilisations pré-colombiennes n’ont jamais utilisé la roue. L’Antiquité greco-romaine, véritable âge d’or de l’ingénierie, n’a pas fini de nous surprendre… et de nous inspirer.

Sources : Itinera Electronica
Pour aller plus loin, un magnifique documentaire sur Héron d’Alexandrie et ses machines

EDIT : Dans cet article, Timetraveler m’a signalé l’existence d’un « sismographe » chinois datant du IIe siècle après J.-C. ! Des machines fabuleuses à l’époque de la dynastie Han, voilà un beau roman à écrire…

 

Published in: on octobre 10, 2014 at 9:46  Comments (17)  
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