La machine d’Anticythère et les fabuleux mécanismes de l’Antiquité

à 09.51.53

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans cet article sur mes fouilles archéologiques en Jordanie, j’expliquais comment l’Antiquité m’avait influencé dans la création de mondes imaginaires, surtout au niveau de la technologie. Il est amusant de constater combien nous sommes marqués par une vision linéaire de l’Histoire, comme si le progrès technique s’était régulièrement opéré de la préhistoire jusqu’à nos jours en suivant une diagonale… Rien n’est plus faux ! J’adore jouer avec cette idée dans mes univers fictifs, il faut dire que l’Histoire est une source d’inspiration infinie.

Lorsque des scaphandriers grecs trouvent en 1900 l’épave d’un navire romain revenant de Grèce, ils sont loin d’imaginer que leur découverte va bouleverser notre connaissance de l’Antiquité. Et pour cause : à l’intérieur du bateau a été mise au jour un mécanisme doté d’engrenages, d’aiguilles, de cadrans…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Autre élément étonnant, la présence de signes astronomiques basés sur le cycle lunaire. Pour comprendre la machine il faut étudier aussi bien l’astronomie que les mathématiques… et garder en tête que ce genre d’engin n’apparaît qu’à l’époque de la Renaissance ! Il s’agit donc d’une découverte de premier plan qui amène bien des questions… Est-ce une machine unique ? Qu’est-ce qu’elle nous apporte d’un point de vue historique ? Ces questions sont intéressantes à plus d’un titre, car elles bousculent quelque peu notre vision classique de l’Antiquité.

Un objet complètement inconnu ?

Pas vraiment. Cicéron raconte qu’il a hérité de sa famille d’une machine étrange, et qu’un de ses amis en avait élaboré une autre. [1,14] XIV.

Ce que je vous dirai, reprit Philus, n’est pas nouveau… Gallus fit apporter cette fameuse sphère, seule dépouille dont l’aïeul de Marcellus voulut orner sa maison après la prise de Syracuse, ville si pleine de trésors et de merveilles. J’avais souvent entendu parler de cette sphère qui passait pour le chef-d’œuvre d’Archimède, et j’avoue qu’au premier coup d’oeil elle ne me parut pas fort extraordinaire. Marcellus avait déposé dans le temple de la Vertu une autre sphère d’Archimède, plus connue du peuple et qui avait beaucoup plus d’apparence. Mais lorsque Gallus eut commencé à nous expliquer, avec une science infinie, tout le système de ce bel ouvrage, je ne pus m’empêcher de juger qu’il y avait eu dans ce Sicilien un génie d’une portée à laquelle la nature humaine ne me paraissait pas capable d’atteindre. Gallus nous disait que l’invention de cette autre sphère solide et pleine remontait assez haut, et que Thalès de Milet en avait exécuté le premier modèle; que dans la suite Eudoxe de Cnide, disciple de Platon, avait représenté à sa surface les diverses constellations attachées à la voûte du ciel ; et que, longues années après, Aratus, qui n’était pas astronome, mais qui avait un certain talent poétique, décrivit en vers tout le ciel d’Eudoxe. Il ajoutait que, pour figurer les mouvements du soleil, de la lune et des cinq étoiles que nous appelons errantes, il avait fallu renoncer à la sphère solide, incapable de les reproduire, et en imaginer une toute différente; que la merveille de l’invention d’Archimède était l’art avec lequel il avait su combiner dans un seul système et effectuer par la seule rotation tous les mouvements dissemblables et les révolutions inégales des différents astres. Lorsque Gallus mettait la sphère en mouvement, on voyait à chaque tour la lune succéder au soleil dans l’horizon terrestre, comme elle lui succède tous les jours dans le ciel ; on voyait par conséquent, le soleil disparaître comme dans le ciel, et peu à peu la lune venir se plonger dans l’ombre de la terre, au moment même où le soleil du côté opposé … (Cicéron, de La République, Livre I, Chapitres XI-XV).

Selon les dernières analyses remontant aux années 2000, et les scanners appliqués sur les 82 fragments, il y a 2200 caractères évoquant un texte ésotérique en rapport avec des divinités et le zodiaque, ainsi qu’un manuel d’utilisation.

 

 

 

 

 

 

 

Quatre cadrans indiquaient les positions du Soleil et de la Lune. Il est possible qu’une manivelle actionnait le mécanisme, comme on le voit sur la reconstitution. L’appareil affichait le (moderne) calendrier égyptien ainsi que les signes du zodiaque. Une aiguille indiquait les jours d’éclipse ! Il s’agissait donc d’une calculatrice astronomique. Cette merveille de technologie remet en perspective nos connaissances de l’ingénierie antique.

L’école d’Alexandrie

On sait peu de choses sur les ingénieurs de l’Antiquité, car visiblement l’art mécanique était méprisé. On les retrouve essentiellement à Alexandrie, haut-lieu de la connaissance. Le fait qu’il ait existé au moins trois machines de type Anticythère prouve que la science des mechanopoioi, appelés aussi machinatores était avancée. Si pour l’instant, aucun autre mécanisme antique n’est parvenu jusqu’à nous, on a cependant des témoignages écrits d’engins perfectionnés. Ainsi Ctésibios d’Alexandrie (IIIe siècle avant J.-C.) aurait inventé des canons à eau tellement puissant qu’ils auraient pu propulser des projectiles et défendre une ville. Il élabore des automates, un monte-charge hydraulique, ainsi que le premier orgue de l’Histoire, l’hydraule.
 
 

 
 

Les archéologues ont découvert que l’aqueduc de Barbegal, qui apportait de l’eau aux moulins, alimentait quotidiennement tous les habitants d’Arles en farine !

Cette fameuse école d’Alexandrie prospère durant plusieurs siècles, et influence largement le monde romain. Entre le Ie et le IIe siècle après J.-C., un génie digne de Leonard De Vinci voit le jour : Héron d’Alexandrie. Cet ingénieur est l’inventeur de l’éolipyle, une chaudière fermée qui fait tourner une sphère, une petite « machine à vapeur » archaïque.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ce dispositif ne peut activer de puissants mécanismes, car pour Héron ce n’est qu’une simple expérience pratique. Beaucoup d’historiens et de romanciers se se demandent ce qu’il se serait produit si le savant avait réalisé l’importance de cette découverte, mais il ne faut pas oublier que ce mécanicien ne se contente pas d’inventer une seule machine à vapeur. Il créé des portes de temple, actionnées automatiquement. Un réservoir chauffé par le feu, transforme l’eau contenue dans une sphère en vapeur. Lorsque l’eau revient, les portes colossales se referment ! Héron est doté d’un esprit si brillant que rien ne semble l’arrêter, comme on le constate avec ces inventions destinées aux temples. Aussi incroyable que cela puisse paraître, il imagine un distributeur… d’eau bénite ! Lorsqu’on insère une pièce dans le mécanisme, de l’eau coule devant les fidèles éberlués… Héron n’hésite pas à créer un appareil imitant la voix d’un dieu pour rendre des oracles ! Il s’agit en fait d’un oiseau mécanique qui chante ou reste silencieux. Lorsqu’une question est posée, le prêtre enclenche discrètement un levier qui actionne « l’animal » si celui-ci doit gazouiller… Sur le plan militaire, Héron créé le polybolos, une baliste à culasse mobile qui tire des rafales de projectiles tel un canon mitrailleur gatling du XIXe siècle.

 

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Des machines pour abuser les crédules, des armes… Les inventions de cet ingénieur ne sont pas toutes recommandables ! Mais Héron s’illustre aussi dans le domaine des arts avec un théâtre mécanique doté d’automates en bois. Des sons reproduisent même le bruit du tonnerre. Selon Aulu-Gelle, Archytas de Tarente (Ve-IVe siècle avant J.-C.) aurait inventé quelque chose d’encore plus surprenant : un oiseau volant ! C’est ce qui est décrit dans Les nuits attiques, livre dix :

Cependant il est un prodige, opéré par Archytas, philosophe pythagoricien, qui n’est pas moins étonnant, et dont on conçoit davantage la possibilité. Les plus illustres des auteurs grecs, et entre autres le philosophe Favorinus, qui a recueilli avec tant de soin les vieux souvenirs, ont raconté du ton le plus affirmatif qu’une colombe de bois, faite par Archytas à l’aide de la mécanique, s’envola. Sans doute elle se soutenait au moyen de l’équilibre, et l’air qu’elle renfermait secrètement la faisait mouvoir. Je veux, sur un sujet si loin de la vraissemblance, citer les propres mots de Favorinus :  » Archytas de Tarente, à la fois philosophe et mécanicien, fit une colombe de bois qui volait. Mais, une fois qu’elle s’était reposée, elle ne s’élevait plus; le mécanisme s’arrêtait là.

En définitive, la machine d’Anticythère a confirmé le fait que les prodigieux mécanismes décrits dans les ouvrages grecs et romains n’étaient pas que des cathédrales de l’esprit. À l’aide de théories audacieuses, des ingénieurs ont élaboré pendant plusieurs siècles des machines sophistiquées. Une précieuse connaissance s’est transmise au moins à partir de Thalès, pour ensuite se perdre avec la fin du monde païen. Alors que les Byzantins et les Arabes ont tenté de préserver les traités antiques, l’Europe de l’Ouest a presque complètement oublié ce savoir inestimable. S’il est vrai qu’on a trop souvent dénigré le Moyen-Âge, on ne doit cependant pas minimiser la « science » antique, et admettre l’idée que l’Humanité n’a pas progressé selon une courbe exponentielle idéale telle qu’on l’imagine. Aussi brillantes soient-elles, les civilisations pré-colombiennes n’ont jamais utilisé la roue. L’Antiquité greco-romaine, véritable âge d’or de l’ingénierie, n’a pas fini de nous surprendre… et de nous inspirer.

Sources : Itinera Electronica
Pour aller plus loin, un magnifique documentaire sur Héron d’Alexandrie et ses machines

EDIT : Dans cet article, Timetraveler m’a signalé l’existence d’un « sismographe » chinois datant du IIe siècle après J.-C. ! Des machines fabuleuses à l’époque de la dynastie Han, voilà un beau roman à écrire…

 

Published in: on octobre 10, 2014 at 9:46  Comments (17)  
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17 commentairesLaisser un commentaire

  1. Très intéressant merci ! Comme toi j’aime bien l’idée que l’Histoire ne suit pas une courbe du progrès en diagonale. C’est parfait pour des uchronies et des romans de SFF :D. J’avais déjà entendu parler de cette machine grâce au documentaire que tu as partagé. article très instructif !

    • Merci Zeb ! 😉 Pour rebondir sur l’idée de progrès, on le voit bien avec les philosophes et mathématiciens de l’Antiquité qui parvenaient à effectuer des calculs complexes de tête, l’architecture raffinée d’un site archéologique comme Puma Punka en Amérique du sud… On a encore beaucoup à apprendre de notre passé !

  2. Ah merci pour cet article ! La machine d’Anticythère est présentée (en vidéo) au Comuputer History Museum de Palo Alto, comme un des premiers « computers » (machines aidant l’humain à compiler, compter, analyser). Ce qui me frappe particulièrement dans ton article est la justesse de l’observation relative au mépris affiché pour la mécanique… c’est vrai que l’on a tendance à ne pas parler des sciences et avancées techniques. La faute à notre complexe de supériorité, sans doute, qui fait l’on se croit par essence plus « intelligent » que nos prédécesseurs.

    • De rien 😉 Oui, toujours ce complexe de supériorité vis-à-vis de nos ancêtres ou des animaux… On progresse sur certains points, mais on régresse largement sur d’autres !

  3. Le progrès n’est pas linéaire…bla, bla, bla…
    C’est le temps qui n’est pas linéaire, et cette technologie antique a été importée par des voyageurs venus du futur, c’est une évidence ! 😉

    • Une théorie audacieuse, mais venant d’un voyageur du temps tel que vous, je n’en attendais pas moins 😀

  4. Pour avoir reconstruit cette fameuse machine , je vous le dis, c’est incroyable de complexité , d’autant que la maîtrise des couples d’engrenages n’était pas parfaitement maîtrisé à l’ époque

    Il est émouvant de constater que le planétarium était de conception géocentrique , mais d’une grande précision

    Tout simplement incroyable ,

    • Quelle chance ! Merci pour ce témoignage, vous êtes chercheur ? ingénieur ?

      • Non, rien de tout ça, simplement un viel homme maintenant (75 balais quand même…aie aie ! ) émerveillé devant tant d’intelligence et d’ingénuosité .
        Archimède, le Syracusien serait peut-être à l’origine de la conception de cette machine., deux siècles avant J.C

        Là, encore ,,il est émouvant de voir que cet effroyable génie ne concevait pas l’héliocentrisme du système solaire, et s’opposait à Aristaque de Samos à ce sujet, autre prodigieux génie .

        Reste le problème des engrenages et leur fabrication.
        Avec les outils d’aujourd’hui et les logiciels à notre disposition, (imprimante 3D) etc, j’ai été amené à reconstruire cette machine à l’échelle deux fois plus grande,

        Et même à cette échelle, les engrenages se voilaient, et là encore ai-je dû les épaissir presque tous .

        Il faut s’imaginer ces artisans d’une habileté incroyable sous le soleil des iles grecques ,il y a deux mille ans……………quel voyage !

        Moi, je dis, que toute proportion gardée, Rosetta et le saut technologique incroyable dont on nous rebat les oreilles ( c’est vrai que c’est prodigieux ) c’est de la gnognote …………enfin j’exagère un peu.

        De nouvelles fouilles sont pen cours à Anticythère ,…………., et si nous pouvions trouver les engrenages manquants ………..,…………..soyons réalistes, exigeons l’impossible.

        Si je pouvais modestement faire partager ce rêve éveillé…………………!

        Anticythèrement vôtre.

        .

  5. Je partage votre enthousiasme, c’est vrai que cette machine fait rêver. La première fois que j’en ai entendu parler, c’était lorsque je n’étais encore qu’un enfant, pour moi c’était de la Science-Fiction… Vous avez raison de vous émerveiller devant « tant d’intelligence et d’ingéniosité », il est émouvant de constater que les anciens étaient capables de prouesses qui nous laissent pantois… Merci pour votre commentaire !

  6. Je n’avais pas encore eu le temps de lire cet article, passionnant. J’ai appris plein de choses ! Merci.

    • De rien ❤ C'est rigolo que tu l'aies lu maintenant, car le prochain article sera la suite de ce billet ! 🙂

      • C’est de la télépathie, je ne vois que ça… XD

        • C’est clair ! 😀

  7. […] la plupart d’entre vous, j’aime lire du steampunk, mais dans cet article sur la machine d’Anticythère et les mécanismes de l’Antiquité, nous avions vu que bien avant l’ère de la vapeur, il existait des engins sophistiqués. En […]

  8. […] la plupart d’entre vous, j’aime lire du steampunk, mais dans cet article sur la machine d’Anticythère et les mécanismes de l’Antiquité, nous avions vu que bien avant l’ère de la vapeur, il existait des engins sophistiqués. En […]

  9. Pour l’avoir construite cette fabuleuse machine,je peux vous assurer que ce n’était pas une mince affaire
    Je reste abasourdi d’une telle maîtrise de nos ancêtres lointains, et je dois avouer que j’ai mis du temps à la comprendre dans ses moindres rouages , en particulier l’anomalie lunaire ,laquelle seule permet une précision des éclipses et phases lunaires tout à fait étonnantes.
    Ayant également réalisé son planétarium , je reste subjugué par la rétrogradation des planètes ,avec un système complexe tout à fait ingénieux,relativement simple à appréhender une fois compris.

    Avec mes erreurs,des problèmes de toutes sortes, j’ai mis près d’un an pour la réaliser.

    De plus, elle est belle , et comme me disait un ami :  » Elle échappe au commun . »

    C’est un vrai bonheur que cette merveille avec son histoire fabuleuse toute pleine de mystère.

    Merci à Michael .Wright,et Mogi Vicenti concepteurs de modèle , ainsi qu’à Yanis Bitsakis pour leur gentillesse et infini patience.


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