Joker, naissance d’un mythe

La descente aux enfers d’Arthur Fleck, un malade souffrant d’un syndrome neurologique prodromique, une pathologie rare provoquant des rires spasmodiques incontrôlables…

Que peut-on dire de plus sur le Joker ?
C’est la question que je me suis posée en apprenant qu’un film allait être consacré à la nemesis de Batman. J’avoue avoir frémi lorsque le réalisateur, Todd Phillips, a annoncé (à tort) ne pas s’être inspiré des comics… jusqu’au moment où le long-métrage a été récompensé à la Mostra de Venise, festival réputé pour son exigence. Passé le choc de la découverte (il m’a fallu plusieurs jours pour me remettre de la projection et écrire cet article), force est de constater que le Lion d’or décerné est totalement mérité tant le film est digne du Nouvel Hollywood de la fin des années 70 (Un après-midi de chienSerpico…), et s’inscrit dans un cinéma sans concessions extrêmement politisé. Joker n’est pas du tout un blockbuster de super-héros.

 

Le prix récolté à Venise n’a pas empêché un scandale aux États-Unis, ce qui est souvent le cas avec les longs métrages intelligents tels que Orange Mécanique ou Fight Club. À l’image de ces œuvres marquantes, cette histoire de clown triste au destin tragique n’est absolument pas un film qui légitime les incels comme j’ai pu le lire, mais une réflexion nuancée permettant de comprendre les racines de la violence : qu’elle soit familiale, urbaine, ou terroriste, elle est symptomatique d’une société agonisante qui échoue à protéger les plus faibles, comme le montre la scène de l’assistante sociale : alors qu’Arthur Fleck est plus désemparé que jamais, elle lui annonce que c’est leur dernière entrevue, les politiques ayant taillé dans le budget des services sociaux :

– ils n’ont rien à foutre des gens comme vous… et ils n’ont rien à foutre des gens comme moi, avoue-t-elle, impuissante.

Le génie du réalisateur est d’avoir su (un peu) se détacher des comics originaux pour livrer sa vision du Joker, mais une version crédible, pour ne pas dire complémentaire de celle du Dark Knight : si on y réfléchit bien, dans le film de Christopher Nolan le clown ne cesse de mentir sur son passé en racontant des histoires à chaque fois différentes ! Le Joker de Todd Philipps est lui aussi un subtile patchwork basé sur de nombreuses sources d’inspiration.

En lisant le cultissime comics The Killing Joke (« Souriez ») d’Alan Moore (Watchmen, From Hell), on découvre un comique raté reconverti dans le crime, qui a perdu sa femme enceinte de six mois, à cause d’un stupide accident domestique.

Dans le magnifique Arkham Asylum, l’un des plus beaux (et dérangeants) comics qu’il m’ait été donné de lire, bien que les origines du Joker restent mystérieuses, David McKean fait ressentir la démence des personnages avec un mélange de peintures, de photos et de collages anxiogène au possible… Lorsqu’on le feuillette, le livre est organique, presque menaçant ! Une véritable plongée dans la folie.

Ce point de vue très immersif est largement adopté dans l’œuvre de Todd Philipps, avec d’autres idées-clefs. Ainsi, dans The Dark Knight Returns, on retrouve la fameuse scène de l’émission télévisée recyclée dans le film.

Une séquence également influencée par la Valse des Pantins de Martin Scorsese.

Le réalisateur s’inspire de tous ces éléments subversifs pour donner à son intrigue une atmosphère encore plus réaliste que celle du long-métrage de Nolan ! Il faut en effet saluer l’audace avec laquelle le réalisateur nous amène à porter un regard peu flatteur sur le père de Bruce Wayne, un riche industriel qui vit dans sa tour d’ivoire. On est saisi par l’ironie dramatique qui se dégage de cette tragédie, surtout quand on connaît la haine de Batman envers le Joker suite à l’assassinat de ses parents dans des circonstances assez troubles… Quand s’achève la vengeance et quand commence la folie ? C’est la question qui hante le spectateur à mesure qu’Arthur Fleck est confronté à l’injustice. Peut-on parler de démence quand une société aussi schizophrénique que dysfonctionnelle nous pousse à la méchanceté ? Dispose-t-on d’un réel libre arbitre lorsqu’on n’a jamais connu la stabilité ? Autant d’interrogations qui amènent un éclairage tragique sur ce comique désespéré qui passe son temps à collectionner dans son carnet les meilleures blagues, sans véritablement les comprendre, parce que sa vie elle-même n’est qu’une cruelle plaisanterie. On ne peut qu’éprouver de la compassion pour cette victime, qui va inexorablement se transformer en bourreau dans un Gotham City déliquescent, magnifié par la musique de Hildur Guðnadóttir, la violoncelliste islandaise qui a composé la bande-originale de la série Chernobyl.

Fable incendiaire sur la faillite morale de nos sociétés modernes qui n’est pas sans rappeler le Taxi Driver de Martin Scorsese et le V pour Vendetta d’Alan Moore, conte crépusculaire anarchisant porté par un Joachin Phœnix habité par son rôle, Joker est la preuve que les films DC Comics ne sont jamais aussi bons que lorsqu’ils se distinguent du cinéma Marvel. Du scénario plus que des effets spéciaux, une réflexion plus que de l’action, est-ce le début d’une nouvelle ère pour DC ? Je l’espère de tout cœur, tant il s’agit pour moi du film de l’année, et même le chef d’œuvre iconique de cette fin de décennie. Smile !

Published in: on octobre 14, 2019 at 10:11  Comments (10)  
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Midsommar

Dani et Christian sont sur le point de se séparer quand la famille de Dani est touchée par une tragédie. Attristé par le deuil de la jeune femme, Christian ne peut se résoudre à la laisser seule et l’emmène avec lui et ses amis à un festival estival qui n’a lieu qu’une fois tous les 90 ans dans un village suédois isolé…

Je dois l’avouer, je ne suis pas très film d’horreur : je trouve que la réalité est déjà assez cruelle sans qu’on soit obligé d’assister à des scènes éprouvantes… Mais parfois, il y a des longs-métrages qui forcent le respect et transcendent le genre : Alien, Psychose, Shining, The Thing, Misery, le Dracula de Coppola… autant de films qu’il faut impérativement avoir vu. Je crois qu’on peut désormais ajouter à cette liste Midsommar, un chef d’oeuvre difficile à résumer. Avant toute chose, je tiens à signaler que ce film est seulement interdit au moins de douze ans, ce qui me parait un peu léger. Non pas qu’il s’agisse d’un torture porn façon Saw ou Hostel, loin de là car, encore une fois, je n’aime pas la violence gratuite. Midsommar est moins un film dérangeant qu’une œuvre atypique donnant l’impression d’avoir été scénarisée par un ethnologue, en l’occurence le jeune réalisateur Ari Aster, qui avait déjà sévi sur Hérédité. Avec un soin méticuleux, Aster a imaginé une communauté « païenne » perpétuant d’ancestrales traditions suédoises, il a même été jusqu’à créer un alphabet runique imaginaire, des fresques ainsi qu’une langue, l’affekt !

Là où Aster touche au génie, c’est qu’il utilise pour son thriller une photographie… blanche, dans un magnifique cadre bucolique qui n’a, a priori rien, d’horrifique. Une idée formidable, en phase avec l’intrigue puisque dans certaines régions de Scandinavie, l’été le soleil ne se couche pas… ce qui va, bien sûr, contribuer à désorienter les personnages. Que cache ce paisible festival ? C’est la question que l’on se pose lorsque l’intrigue démarre, alors qu’on tombe sous le charme de cette communauté et de ce cadre idyllique. Au début de ce voyage initiatique, on a presque envie d’être avec les protagonistes, de participer à ces inoffensifs rites folkloriques qui célèbrent la Nature dans ce qu’elle a de plus sacrée.

Là encore, il s’agit d’un procédé absolument génial : alors que dans la plupart des films d’horreur, il y a clairement une frontière morale entre les personnages principaux et les monstres, ici les barrières sont de plus en plus poreuses à mesure que nous nous retrouvons, comme les héros, piégés, car confrontés à nos propres contradictions. Qu’est-ce qui différencie la civilisation de la barbarie ? Qu’est-ce qui définit une famille ? Possédons-nous la légitimité nécessaire pour juger certaines sociétés traditionnelles, alors que nous abandonnons nos anciens dans des maisons de retraite ? Lors de rites complexes, les membres de cette communauté tribale se livrent à un impressionnant mimétisme émotionnel en reproduisant les cris de joie ou de peine. N’est-ce pas la preuve que, dans ce type d’organisation il règne une plus grande empathie que dans nos sociétés dites « modernes », sociétés dans lesquelles il est délicat de parler ouvertement de mort et de deuil sans provoquer un malaise ?

À plusieurs reprises, le spectateur est, à l’image des protagonistes, un papillon attiré par l’étrange poésie qui se dégage de cette communauté qui interpelle notre morale judéo-chrétienne. Film d’horreur lyrique amoral, mais certainement pas immoral, jamais Midsommar ne tombe dans le manichéisme. À chacun de se faire son idée sur cette fin qui ne laissera personne indifférent…

Bien que cette œuvre soit très clivante (les spectateurs adorent ou détestent), on ne peut que se réjouir de l’arrivée d’un nouveau cinéma, le thriller horrifique indépendant. Après les expérimentaux Get Out, Us et Hérédité, l’horreur lorgne de plus en plus vers le cinéma d’auteur, non sans un certain brio. À tout juste trente-trois ans, et avec seulement deux réalisations à son actif, Ari Aster entre dans le cercle très fermé des jeunes réalisateurs surdoués à surveiller de près.

Bonus, la bande-annonce de Midsomar.

Published in: on août 9, 2019 at 9:41  Comments (7)  
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Yesterday

Jack Malik est un auteur-compositeur qui peine à percer dans le monde de la musique. Tout bascule le jour où il est renversé par un bus. À son réveil, il découvre qu’il vit dans un univers où les Beatles n’ont jamais existé. Et s’il en profitait pour lancer sa carrière ?

« Il y a des films qui ont le don de reposer sur une idée géniale », c’est la pensée que je me suis faite en regardant la bande-annonce du dernier long-métrage de Danny Boyle (Transpotting, la Plage, 28 jours plus tard, Sunshine, Slumdog Millionnaire, 127 heures…), une œuvre plus complexe que ne le laisse présager le trailer. Drôle et touchant, Yesterday est une délicieuse métaphore du syndrome de l’imposteur que rencontrent tôt ou tard les auteurs. Un artiste doit-il être légitime ? Où commence le plagiat, et où s’arrête l’inspiration ? Ces questions vont obséder le personnage tragi-comique interprété avec brio par Himesh Patel. Le film fonctionne à merveille, en grande partie grâce à cette ironie dramatique sublime : qui n’a jamais rêvé d’être génialement inspiré ? Les scènes sont plus hilarantes les unes que les autres, mention spéciale aux parents de Jack Malik, pas très mélomanes…

Et pourtant Yesterday n’est pas qu’une comédie romantique fantastique, mais aussi une uchronie à l’étrange nostalgie, qui suscite le désir de vivre ce que les jeunes des années 60 ont connu : l’espoir d’un monde meilleur, un réenchantement, une communion qui dépasse les frontières, mais aussi une certaine insouciance…

Je ne vais pas en dire plus car la meilleure séquence, très émouvante, n’est heureusement pas dans la bande-annonce, mais si vous avez un film à voir durant le mois de juillet, c’est bien celui-ci !

 

Published in: on juillet 12, 2019 at 9:36  Comments (2)  

Tolkien

Il y a des films qui sont de véritables cris d’amour, des oeuvres qui vous donnent l’impression d’être dans l’esprit d’un artiste. Après Dans l’ombre de Mary (la genèse de Mary Poppins) et Neverland (l’histoire de l’auteur de Peter Pan), il faut désormais compter sur ce poignant Tolkien, biopic qui retrace la jeunesse d’un poète hors du commun passionné par les langues et les arbres. Un écrivain à la lente maturation, dont les premières années n’ont été qu’une succession de deuils : le départ de l’idyllique campagne de Sarehole, et surtout la perte d’une mère aimante à l’imagination débordante. Il y a une mélancolie tangible dans la vie de Tolkien, un désir de rêver à tout prix, malgré la fumée des usines, les horreurs de la guerre et une société édouardienne qui étouffe ses poètes. Dans un univers si matérialiste, écrire devient un acte de résistance, une forme de courage qui n’a de sens qu’au sein d’une communauté fraternelle de jeunes artistes qui rêvent ardemment de changer le monde.

Quand on a lu le Seigneur des Anneaux, on ne peut qu’être ému par les subtiles références aux sources d’inspiration de Tolkien : son bougonnant mentor, spécialiste des langues anciennes nordiques, qui n’est pas sans rappeler Gandalf lorsqu’il marmonne des mots incompréhensibles, l’héroïque Sam qui va accompagner Tolkien dans les tranchées du « Mordor » et, bien sûr, Edith, sa muse elfique, sa Lúthien.

Seul petit regret : l’absence de C.S. Lewis, l’auteur du Monde de Narnia, qui fut un ami proche de Tolkien, mais qu’il ne rencontrera qu’en 1926, ce qui explique sa disparition dans le biopic.

Tout comme Frodon, Tolkien reviendra de la guerre, mais il existe des blessures invisibles dont on ne guérit jamais. Histoire d’amitié bouleversante, mais aussi magnifique romance à la résonance actuelle, Tolkien est un film définitivement lyrique, l’hommage d’une époque révolue, quand les derniers chevaliers, sabre au poing, furent terrassés par les impitoyables mitrailleuses du monde moderne.

Heilheimer !

Published in: on juin 26, 2019 at 11:56  Comments (7)  

Captive State

Dix ans après le premier contact avec des extra-terrestres, l’Humanité a capitulé. Les gouvernements ont donné le pouvoir à des créatures venues exploiter les ressources de la Terre, « les Législateurs », et collaborent activement à un programme politique appelé l’Unité. Officiellement, le chomage, la pauvreté et la violence ont été éradiqués tandis qu’une puce organique est implantée dans chaque être humain afin de les surveiller. Mais au sein de la population des anonymes tentent de résister…

Quelle belle surprise que ce Captive State ! Filmé dans un registre réaliste qui n’est pas sans rappeler le très politique District 9 et la série V, ce long-métrage nous dépeint un futur oppressant dans lequel les envahisseurs aliens contrôlent le moindre échange d’informations numériques.

Pour communiquer en toute sécurité, les résistants n’ont pas d’autre choix que de revenir à des solutions low-tech, comme les pigeons voyageurs ! Une technologie archaïque qui contraste avec celle des Légisateurs : les rebelles piratent des dispositifs organiques pour les détourner, faisant de ce film une véritable oeuvre bio-tech… Après trente ans de cyberpunk au cinéma (Blade Runner, Akira, Ghost in the shell, Matrix), il s’agissait d’un pari risqué, mais le réalisateur s’en sort admirablement bien, avec des créatures au style très original. L’intrigue elle-même bénéficie d’un traitement particulier avec un rythme lent, et de nombreux personnages. On a parfois l’impression d’être dans un recueil de nouvelles se situant dans le même univers, tandis qu’on suit le parcours de ces héros de l’ombre, prêts à donner leur vie pour une cause qui les dépasse. Dans cette société paranoïaque, le simple fait de parler à sa famille ou ses amis peut coûter cher, comme sous les pires régimes dictatoriaux… à moins que ce futur fictif ne soit le nôtre ? À travers une séquence surréaliste, celle où les spectateurs du stade de foot de Chicago se réunissent pour acclamer les Législateurs, le réalisateur se livre à une critique féroce du populisme qui menace la planète. Lorsqu’une démocratie fait des compromis avec ses principes, la dictature n’est plus très loin, et ce film résonne cruellement avec la répression policière qui touche actuellement des pays comme la France. La SF n’est jamais aussi pertinente que lorsqu’elle traite des problèmes actuels telle que la propagande : avec une subtile ironie dramatique, un message télévisé rappelle plusieurs fois « la chance » qu’ont certains citoyens de rencontrer les Législateurs. Un ersatz de démocratie qui utilise les éléments de langage omniprésents dans la communication des hommes politiques… et relayés avec complaisance dans certains journaux. 

Le régime de Captive State est une dictature qui ne dit pas son nom, un régime dans lequel les collabos sont au service de mystérieux aliens qui amènent sur Terre une architecture fascinante et envahissante, difficilement compréhensible pour un esprit humain, et donc une source d’angoisse constante.

Ashton Sanders stars as Gabriel in Rupert Wyatt’s CAPTIVE STATE, a Focus Features release. Credit: Focus Features

Ces étranges constructions géothermiques évoquent celle des termites qui exploitent au maximum leur environnement. Un design audacieux, qui marque une rupture avec ce que propose habituellement le cinéma. Dans le même ordre d’idée, la texture rocheuse des vaisseaux rappelle Oumuamua, le curieux astéroïde qui a traversé notre système solaire.

Avec une audace folle, le réalisateur réussit à donner au spectateur le sentiment que ces extra-terrestres n’ont rien à voir avec ceux qu’on imaginait, ce qui n’amène que plus de réalisme. Comme dans Alien, les silhouettes des créatures sont suggérées, elles ne sont jamais montrées totalement. Un procédé efficace qui stimule grandement l’imagination.

Ma seule réserve vient de la caractérisation de ces envahisseurs : on oscille entre des créatures un peu « sauvages » et des entités plus avancées que nous, est-ce le signe qu’il est très difficile de comprendre les motivations d’une civilisation exotique ? On peut se demander si ces aliens sont réellement hostiles. Peut-être emportent-ils des ressources minérales et des êtres humains sur un autre monde afin de préserver ce qui peut encore l’être avant que nous nous auto-détruisions ? Jamais nous n’aurons la réponse à cette troublante question.

Véritable (c’est le cas de le dire) OVNI cinématographique, Captive State fait partie de ces films indépendants exigeants, pas consensuels pour un sou, qui divise. Un long-métrage radical, mais qui amène une formidable bouffée de fraîcheur à la SF, avec un John Goodman qui décroche au passage l’un de ses meilleurs rôles au cinéma. Chapeau bas…


Published in: on avril 12, 2019 at 9:42  Comments (5)  
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Spider-Man : New Generation

Pas facile de changer de lycée quand on a toujours vécu à Brooklyn sous l’égide d’un père policier autoritaire ! Miles Morales habite à New York, une ville marquée depuis des années par la présence de Spider-Man. Extrêmement populaire, le super-héros génère un véritable merchandising de comics et de produits dérivés. Tout bascule le jour où Miles Morales est piqué par une araignée bizarre qui lui confère d’étranges pouvoirs… Mais comment pourrait-il y avoir deux Spider-Man dans une seule et même réalité ?

La trilogie culte de Sam Raimi, les mauvais films de Marc Webb, la rafraîchissante version Home Coming de John Watts… Spider-Man méritait-il un nouveau long-métrage après toutes ces adaptations ? C’est la question que je me suis posé après avoir découvert cette sublime bande-annonce, très intrigante*.

Au cinéma, mon cerveau a mis plusieurs minutes à s’habituer à l’animation particulière de ce film**, avec cette impression de se retrouver dans les cases d’un vieux comics imprimé sur du papier des années 60 ! Passé ce temps d’adaptation, j’ai été littéralement happé par l’histoire de cet adolescent banal confronté à des événements dramatiques. Un héros humain, des dilemmes moraux… les réalisateurs ont eu l’intelligence de conserver la recette d’un bon Spider-Man, tout en se livrant à une mise en abyme vertigineuse à travers une question : qui est l’Homme-Araignée ?

Tout au long de son aventure, Miles Morales va rencontrer des versions absolument géniales du tisseur, donnant lieu à des situations loufoques, mais aussi émouvantes, mention spéciale à Peter Benjamin Parker…. En décidant d’opter pour un film post-modern, les auteurs du génialissime l’Aventure Lego ont réalisé une synthèse de 50 ans de pop-culture, que ce soit avec le hip-hop ou le tag. Miles Morale est moins l’énième incarnation de Spider-Man que l’éternel retour d’un mythe transgenerationnel célèbrant New York dans toute sa diversité, avec ses héros ordinaires. Une ville, un personnage, mais une histoire indissociable, comme le montre la scène où Miles Morales tombe la tête la première dans le vide, discret hommage au Falling Man.

Capture d’écran 2018-12-19 à 10.35.06.png

Intelligent et attachant, ce Spider-Man est largement à la hauteur des films de Sam Raimi, et même bien plus que ça. À voir absolument au cinéma !

* Ne regardez pas les autres, elles divulgâchent beaucoup trop le scénario.

** Il s’agit d’une animation en 2 secondes (soit 12 images par seconde au lieu de 24), ce qui explique le style saccadé.

Published in: on décembre 18, 2018 at 5:28  Comments (4)  

L’Homme qui tua Don Quichotte

L'Homme Qui Tua Don Quichotte

Oyez, oyez ! Le chevalier Terry Gilliam est enfin venu à bout de son projet maudit ! L’Homme qui tua Don Quichotte aura été un véritable serpent de mer, la genèse de ce film ressemblant à une interminable série télévisée de 25 saisons. Considéré comme le cinéaste le plus malchanceux du Septième Art, Terry Gilliam avait pourtant bien failli parvenir à ses fins au début des années 2000, avec Jean Rochefort dans le rôle-titre, et Johny Deep en Sancho Panza. Las ! Le sort en décida autrement, ce qui donna lieu à un documentaire célèbre, Lost in la mancha, qui retrace le destin tragi-comique de ce tournage sans précédent : inondation, bruits d’avion pendant les dialogues, double hernie discale de Jean Rochefort… l’univers entier aura conspiré pour empêcher le réalisateur britannique de tourner ce projet qui lui tenait tant à coeur.

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Au fil des ans, Terry Gilliam a tenté à plusieurs reprises de conjurer le mauvais sort, non sans une chkoumoune impressionnante. Don Quichotte et Sancho Panza ont failli être interprétés par Robert Duvall et Ewan McGregor (projet 2008-2010), Robert Duvall et Owen Wilson (2011-2012), John Hurt et Jack O’Connell (2014-2016), Michael Palin et Adam Diver (2016)… Après de multiples rebondissements (et la mort du regretté John Hurt) c’est finalement au duo Jonathan Pryce/Adam Diver à qui il revient la lourde tâche d’incarner les personnages principaux, et ainsi mettre fin à plusieurs décennies d’infortune.

Nonobstant les froides critiques des journalistes, j’ai décidé d’aller au cinéma sans attente particulière, la projection de ce film maudit relevant déjà du miracle. Cela n’a pas échappé au facétieux Terry Gilliam : peu après une mise en garde judiciaire (!)*, le générique plein d’humour prévient que tout commence « après 25 ans de dure besogne et de foire d’empoigne ».

On comprend alors que cette œuvre sera moins une adaptation littérale du livre de Cervantès, qu’un film-somme, une mise en abyme de la carrière de l’auteur de Brazil. Le long-métrage démarre avec Toby (Adam Diver), réalisateur blasé, occupé à tourner une publicité évoquant… Don Quichotte ! En décidant de faire d’Adam Diver son alter ego, un cinéaste en crise, Gilliam a une idée de génie : utiliser ce Sancho Panza des temps modernes pour se livrer à une critique féroce du cinéma hollywoodien : opportunisme, cruauté, cynisme, argent-roi… Autant de moulins à vent à combattre, dans une bataille perdue d’avance puisqu’au final tout est appelé à péricliter : les rêves de la belle Angelica, les ambitions artistiques d’un jeune réalisateur, ainsi que l’idéalisme chevaleresque de Don Quichotte. Un idéalisme indissociable de la folie, l’élément central du récit. Cette folie est le moteur qui permet à l’artiste d’affronter des géants, même si les moulins de la réalité ont presque toujours le dernier mot. Le rêve qui nait de la grisaille du quotidien, une allégorie poétique à la lisière du fantastique dans la lignée des Aventures du baron de Münchhausen.

Capture d’écran 2018-05-23 à 14.54.32.pngCe pessimisme mélancolique, récurent dans la filmographie de Terry Gilliam (Brazil, Fisher Kingl’Armée des douze singes) questionne sans cesse notre rapport à la réalité, ainsi que nos préjugés : les marginaux que croisent les héros sont-ils des terroristes ou de simples migrants ? Loin d’être confus, le scénario de l’Homme qui tua Don Quichotte est bien au contraire un vin qui s’est bonifié au fil du temps, au gré de multiples réécritures. On sent que Terry Gilliam a remué ciel et terre pour porter à l’écran le fameux roman de Cervantès, sans pour autant oublier l’humour au dixième degré des Monty Pythons, omniprésent. Ainsi, lors d’une séquence savoureuse, les producteurs se demandent s’ils vont pouvoir faire jouer l’assurance pour sauver le tournage, une scène qui n’est pas sans rappeler celle du documentaire Lost in la mancha ! En louvoyant entre réalité et fiction, Terry Gilliam ne fait que s’inspirer du réalisme magique du roman de Cervantès, un style qui a influencé Emir Kusturica (Underground) et même certaines œuvres de Fellini. La fin, émouvante, donne l’impression que tout le cinéma de Terry Gilliam est résumé en un seul film qui, hélas, risque fort de connaître un bide retentissant tant il est à des années-lumières des blockbusters d’aujourd’hui**

Le type tout seul au fond qui verse une larme à la fin, c’est moi.

Oeuvre incomprise par une bonne partie des critiques, l’Homme qui tua Don Quichotte est le film-testament d’un grand cinéaste, un artiste héroïque qui a sublimé des années de galère pour nous livrer un magnifique conte philosophique, baroque et tragique, jusqu’à mettre sa propre santé en péril*. Une bien poétique façon de nous signifier que si les hommes meurent, les mythes, eux, demeurent éternels.

 

* Aussi rocambolesque que cela puisse paraître, il faut savoir que l’un des producteurs a tout fait pour empêcher la sortie du long-métrage, autorisé in extremis à être exploité en salle. C’est la raison pour laquelle, au tout début du film, un message informe que « la projection de « The man who killed Don Quixote » lors de cette séance ne préjuge en rien des droits revendiqués par Alfama et Paulo Branco sur ce film à l’encontre de Terry Gilliam et des producteurs mentionnés au générique, qui font l’objet de procédures judiciaires en cours ». Comme si cela ne suffisait pas, Terry Gilliam a été victime d’un AVC dix jours avant de venir au festival de Cannes, tandis qu’Amazon annonçait qu’il se retirait du projet… Gilliam a finalement réussi à se rendre à l’avant-première cannoise.

** C’est pour cette raison que je vous conseille, si vous souhaitez le voir, de ne pas perdre de temps. Il est fort probable qu’il ne reste qu’une seule semaine à l’affiche, les salles sont loin d’être remplies, comme vous pouvez le constater sur ma triste photo…

Published in: on Mai 23, 2018 at 12:59  Comments (4)  
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Du livre au film : Ready Player One (attention, révélations)

 

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L’été dernier, mon ami Fred* m’a fait découvrir Ready Player One, un page turner d’Ernest Cline que j’ai lu en à peine quelques jours.

Dans un futur déprimant, les gens échappent à la grisaille du quotidien en se réfugiant dans un MMORPG : l’OASIS. Un univers persistant dédié à la pop culture des années 80 : jeux vidéos, musique, cinéma, romans… Absolument tout est accessible pour les joueurs qui se connectent à l’OASIS, un monde virtuel qui a même développé une économie réelle. Tout bascule le jour où son concepteur, le milliardaire James Halliday, décède. Son testament révèle que le riche excentrique a décidé d’organiser une chasse au trésor : le joueur qui arrivera à retrouver un easter egg héritera de sa fortune, ainsi que du contrôle du jeu. Une multinationale, Innovative Online Industries, est prête à tout pour remporter cette ultime compétition et ainsi monétiser l’OASIS.

ATTENTION, JE RÉVÈLE BEAUCOUP D’INFORMATIONS SUR LE LIVRE ET LE FILM, SI VOUS VOULEZ ÉVITER LES DIVULGÂCHIS, FUYEZ PAUVRES FOUS.

Ready Player One est l’un de ces livres impossibles à lâcher. Véritable délice pour les vieux de la vieille dont je fais partie, c’est une aventure qui réunit deux générations, et pour cause : les jeunes joueurs de 2044 sont obligés de connaître sur le bout des doigts la culture des années 80, quitte à terminer des jeux d’arcade comme Pac-Man avec une seule vie… ou apprendre par coeur les répliques du film Sacré Graal ! Ready Player One célèbre une époque révolue, celle des jeux vidéos VRAIMENT difficiles, quand les sauvegardes n’existaient pas. Fort heureusement le livre est bien plus qu’un trip nostalgique, puis que la technologie VR n’a jamais été autant d’actualité. L’auteur se base sur les casques virtuels d’aujourd’hui pour s’interroger sur notre futur : que se passerait-il si le Web était remplacé par une galaxie de mondes persistants ? L’économie imaginée par Ernest Cline est pour le moins angoissante, puisque les personnes endettées auprès d’Innovative Online Industries sont appréhendées par sa police privée et contraints de pratiquer le farming, c’est-à-dire de miner dans l’OASIS ! Autant dire que le contraste entre monde réel et virtuel est saisissant, surtout quand le héros, lors d’une déconnexion, prend conscience que son corps est amaigri. Le malaise de ces jeunes qui se réfugient dans l’utopie des années 80 est une mise en abyme de ce que les geeks quadragénaires traversent actuellement. Une génération paradoxale, très critique en ce qui concerne les dérives d’Internet, mais pourtant nostalgique des années Amstrad. Des adulescents un peu paumés qui ont grandi avec « la guerre » Atari-Amiga, les consoles de jeux 8 et 16 bits, Donjons et Dragons… Bref, la génération Stranger Things !

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Plus on avance dans le roman et plus la régression devient jouissive : dans cet univers sans limites il est tout à fait possible de piloter le Faucon Millenium ou même de visiter l’immeuble de la Tyrell Corporation, bien connu des fans de Blade Runner

A la fois dystopique et résolument optimiste, Ready Player One a soufflé un vent de fraicheur sur la SF, même si, vous l’aurez compris, ce roman parlera surtout aux fans de Matthew « Wargames » Broderick.

Lorsque j’ai appris que Steven Spielberg allait adapter un tel monument, j’étais impatient de voir le résultat final. Était-ce seulement envisageable de montrer sur le grand écran toute la richesse d’un tel univers ? D’obtenir des licences aussi couteuses que celle de Star Wars ? Comme toujours, il est très difficile de tirer d’un best-seller un long-métrage susceptible de plaire aux fans de l’œuvre originale. Aidé par l’auteur du bouquin, Spielberg a été contraint de simplifier l’intrigue, de supprimer de nombreux passages et d’inventer de nouvelles épreuves, quitte à perdre en nuance : il existe désormais une rébellion, qui s’oppose frontalement à Innovative Online Industries, ce qui donne au scénario une ambiance un peu plus manichéenne. Les personnages principaux, notamment Art3mis, gagnent en importance, mais au détriment de la noirceur puisqu’il y a moins de morts que dans le roman. Fait notable, dans le livre les héros sont rivaux et ne se connaissent que virtuellement, mais à force de jouer ensemble ils apprennent à se faire confiance et tissent des liens… alors que dans le long-métrage ils se rencontrent très vite dans la vraie vie, ce qui là encore modifie sensiblement l’histoire. De manière générale, j’ai trouvé l’atmosphère du film moins oppressante que celle du livre, plus « grand public », avec pas mal de bons sentiments à la fin, mention spéciale au traitement du méchant, Nolan Sorrento… mais heureusement, Steven Spielberg est aux commandes ! Un cinéaste au crépuscule de sa carrière qui n’a pourtant rien perdu de son génie comme le prouve l’incroyable hommage à Shinning, qui vaut son pesant d’or… Les clins d’oeil sont hilarants : Freddy, Jason, Chucky, Hello Kitty, les Gremlins… difficile de repérer toutes les stars de la pop culture, on a parfois envie de mettre le film en pause juste pour admirer les avatars présents dans le long-métrage !

Freddy

Si l’adaptation ne peut rivaliser en inventivité avec le roman, il n’en demeure pas moins que c’est un régal de retrouver toutes ces références des années 80, non sans une certaine nostalgie : le James Halliday vieillissant fait furieusement penser à Steven Spielberg, jusqu’à sa coupe de cheveux. À bien des égards, Ready Player One est le testament cinématographique d’un réalisateur de 71 ans resté adolescent.

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Un créateur de mythes en quête de sens, qui s’interroge sur la notion même de divertissement. Si la fabuleuse séquence de la course, remplie de monstres, est un vibrant hommage de Steven Spielberg au cinéma de genre qu’il affectionne tant, elle représente aussi une volonté de briser les frontières entre les médias : de King Kong au tyrannosaure de Jurassic Park, de Retour vers le Futur à Akira, c’est toute la culture populaire qui est célébrée, qu’elle appartienne au cinéma, aux jeux vidéos ou à l’animation. À défaut de livrer une adaptation fidèle, Steven Spielberg fait preuve de générosité pour nous offrir un film feel good qui donne envie de relire le chef d’œuvre d’Ernest Cline, c’est déjà beaucoup…

* Au fait Fred, il y a quelques mois tu n’avais pas parlé de créer ton blog ? Je dis ça je dis rien…

Published in: on mars 29, 2018 at 8:29  Comments (19)  
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The Fountain, deux œuvres, un film

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Mother ! m’a donné envie de revoir une œuvre majeure dans la carrière de Darren Aronofsky : The Fountain. J’ai toujours aimé les films de SF mystiques comme Cloud Atlas, The Tree of Life,  ou 2001 Odyssée de l’Espace, et The Fountain s’inscrit clairement dans cette lignée.

Au XVIe siècle un conquistador part en quête de la légendaire fontaine de jouvence, censée offrir l’immortalité.
De nos jours, un scientifique cherche désespérément le traitement capable de guérir le cancer qui ronge son épouse.
Dans un futur lointain, un cosmonaute voyage à travers l’espace et prend peu à peu conscience des mystères qui le hantent.

La vie, l’amour, la mort, tel est le propos de ce film bouleversant qui a bien failli ne jamais voir le jour. La genèse de ce long-métrage mériterait à elle-seule un documentaire ! Ce que peu de cinéphiles savent, c’est qu’il existe deux versions de cette histoire.

À l’origine, The Fountain devait être un blockbuster à 75 millions de dollars… un budget colossal au début des années 2000. En 2002, alors que les décors sont prêts, Brad Pitt annonce à sept semaines du tournage qu’il abandonne le film à cause d’une divergence artistique. Le projet est annulé, ce qui plonge Darren Aronofsky dans une profonde dépression, d’autant plus que sa mère lutte contre un cancer… cruelle ironie pour un réalisateur obsédé par le thème de l’immortalité et de la fontaine de jouvence.

Sachant que The Fountain ne sera probablement jamais tourné, Darren Aronofsky décide de confier l’adaptation du roman graphique au peintre Kent Williams qui s’inspire de la première version du film (bien que l’édition de ce livre soit épuisée, j’ai pu me procurer cette semaine un exemplaire). Au fil des pages on découvre qu’initialement, l’histoire de The Fountain commençait par une scène à grand spectacle, une bataille sur une pyramide, avec des conquistadors affrontant une armée maya.

 

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Pendant que Kent Williams travaille sur cette adaptation du synopsis original, Aronofsky tente de faire le deuil de son ancien projet :

Au fur et à mesure que le boulot avançait, j’avais de plus en plus de mal à dormir. Une nuit, je finis par sauter de mon lit, excédé. Dans mon bureau, j’épluchais toute la documentation dont j’avais eu besoin pour écrire The Fountain. Il devenait clair que je n’arriverais pas à me sortir l’histoire des tripes si je ne la réalisais pas moi-même.  Il me vint alors une idée. Quand j’avais commencé à faire des films, j’écrivais les scénarios avec en tête un budget minimum, un budget de film indépendant. Pourquoi diable avais-je placé celui-là d’emblée dans la catégorie des films de studio ? Je décidais de tout recommencer. De faire de mon histoire un scénario de film indépendant. C’était un vrai défi, ça me plaisait bien. Du coup, si je ne dormais plus, c’était pour écrire. Et ça faisait longtemps que je n’avais plus écrit pour le plaisir. Deux semaines plus tard, j’avais terminé. La même histoire, mais cette fois-ci le film avait une chance de se faire. Pendant des mois, avec Kent (Williams, l’auteur du roman graphique), on a parié qu’on serait le premier à terminer, lui l’album, moi le film. Et bien, c’est match nul. Et c’est impeccable. Avec les mêmes géniteurs, et la même histoire, l’album et le film réunissent l’exploit d’être uniques, chacun dans leur genre.

(The Fountain, postface de l’édition française du roman graphique)

Tandis que Kent Williams termine l’adaptation du premier scénario, Darren Aronofsky se décide à travailler sur une nouvelle version de The Fountain avec un budget divisé par deux. Une approche plus intimiste qui va, contre toute attente, servir le film. Cate Blanchett et Brad Pitt laissent la place à Rachel Weiz et Hugh Jackman, qui forment à l’écran un couple émouvant, magnifié par la caméra d’un cinéaste amoureux… Rachel Weiz étant la femme de Darren Aronofsky !

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Alors que le premier script commençait avec une (coûteuse) bataille entre conquistadors et Mayas, dans la nouvelle version on se retrouve propulsé dans le futur au milieu d’une magnifique séquence spatiale psychédélique. Crâne rasé, l’astronaute interprété par Hugh Jackman est enfermé avec un arbre dans une mystérieuse bulle.

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Pour mettre en images cette séquence contemplative, le responsable des effets visuels, Dan Schrecker, délaisse le numérique et utilise des micro-clichés de minuscules réactions chimiques dans des boîtes de Pétri… de simples collages photos qui ne sont pas sans rappeler les sublimes effets artisanaux de Douglas Trumbell sur The Tree of Life.

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Comme pour Pi et Requiem for a dream, Darren Aronofsky confie la musique à Clint Mansell, accompagné du Kronos Quartet et du groupe rock Mogwai. L’équipe livre une bande-originale mémorable, à la fois épique et mélancolique, tout en sensibilité, qui sert de trait d’union entre les deux versions, que j’ai d’ailleurs réécoutée en feuilletant les pages de l’album.

Au final, impossible de nourrir une quelconque amertume en fantasmant sur ce qu’aurait pu être la première version de The Foutain. Ce que le film a perdu en spectaculaire, il l’a gagné en émotion avec une histoire plus simple que celle du premier script, riche en symboles. L’arbre de vie de l’Ancien Testament est aussi l’arbre de la Bodhi, permettant d’atteindre l’éveil spirituel, la mort n’étant qu’une porte pour accéder à cette illumination. De la même façon, l’inquisiteur qui met à feu et à sang l’Espagne est également la métaphore du cancer qui est en train de tuer Izzi…

Film aussi expérimental que radical, The Fountain fait aujourd’hui partie des œuvres SF qui ont profondément divisé la critique… et les cinéphiles. La marque des oeuvres visionnaires.

Published in: on octobre 17, 2017 at 9:32  Comments (9)  
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Blade Runner 2049

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Avec 2001 Odyssée de l’Espace, Blade Runner est l’un des rares longs métrages de Science-Fiction à être respecté par les critiques hostiles à l’Imaginaire, au point d’être considéré comme un chef d’oeuvre du Septième Art. Film d’auteur visionnaire, Blade Runner est le mètre-étalon de la SF dystopique de ces 35 dernières années : Terminator, Robocop, Total Recall, Akira, Ghost in the shell, Strange Days, Dark City, le Cinquième Élément, Matrix, A.I., Avalon, l’Attaque des Clones, Minority Report, Ex Machina, Arès… difficile de citer tous les films qui ont, de près ou de loin, une filiation avec le long-métrage mythique de Ridley Scott, qui avait déjà sévi en 1979 avec l’iconique Alien. L’héritage de Blade Runner est tel qu’il déborde largement la sphère du cinéma pour toucher aussi les séries avec Real humansWestworld, et même le monde du jeu vidéo avec des titres comme Final Fantasy VII ou Deus Ex.

C’est peu dire que Blade Runner possède une aura de film indépassable.

Et puis, il y a quelques années, j’ai appris qu’une suite allait voir le jour… J’ai alors ressenti une immense méfiance en réalisant qu’Hollywood allait (encore) exploiter une oeuvre culte. Comment pouvait-on agir ainsi avec un film si proche de la perfection ? Il est vrai que la fin était ouverte, mais à la manière d’Inception, cette fin faisait tout l’intérêt de l’intrigue, notamment sur la question de savoir si Deckard est un réplicant ou pas. De plus, Ridley Scott n’est plus au mieux de sa forme : pour un Seul sur Mars réussi, il a fallu subir les infâmes Prometheus, Cartel et Alien Covenant…

Dans ces conditions, j’étais peu intéressé par ce sacrilège projet de suite, jusqu’au jour où Denis Villeneuve est arrivé et a livré le fabuleux Premier Contact, véritable « film d’auteur de SF ». Lorsque j’ai découvert que le réalisateur canadien allait réaliser Blade Runner 2049, j’ai repris espoir. Je ne m’attendais pas à un chef d’oeuvre, mais je savais que Villeneuve était l’un des rares cinéastes à pouvoir supporter une telle pression, parce qu’il s’agit d’un vrai artiste, intègre et sincère dans sa démarche.

Cette sincérité éclate dès les premières secondes du film à mesure qu’on découvre un univers hallucinant de beauté, qui a évolué dans sa propre ligne temporelle puisque l’action ne se situe plus en 2019, mais en 2049, trente ans plus tard. Bien que très perfectionnée, la technologie garde une touche rétro « années 80 » du précédent film, surtout quand les personnages sont obligés de consulter les « vieilles » archives de 2019… ce qui ne manque pas de donner aux deux films une délicieuse saveur uchronique, la science de ce monde parallèle évoluant beaucoup plus rapidement que la nôtre !

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Pendant tout le film, Villeneuve se livre à un incroyable numéro d’équilibriste : respecter l’oeuvre de Ridley Scott, tout en proposant une nouvelle histoire, avec sa propre identité. Ce souci de cohérence se retrouve particulièrement dans la musique de Hans Zimmer, qui rappelle fortement celle de Vangelis, les chants orientaux en moins. Doucement, on oublie le premier Blade Runner pour s’immerger dans un monde fascinant de vacuité, dans lequel un robot peut entretenir une histoire d’amour avec une I.A. Là où Ridley Scott révolutionnait la SF en remettant en question la nature de son protagoniste principal, Villeneuve a une démarche plus transhumaniste en donnant à un réplicant assumé le rôle le plus important ! Comme dans l’adaptation de Ghost in the shell, on observe une humanité désenchantée qui a de plus en plus de mal à se différencier des machines, preuve en est avec le personnage de Jared Letto, effrayant.

Aussi lent que le premier opus, Blade Runner 2049 est l’antithèse du blockbuster, un film d’auteur qui tourne en ridicule la notion d’action, notamment avec la scène de la « non-bagarre » dans le casino, sur fond d’Elvis Presley… Une façon pour Denis Villeneuve de dire qu’il ne sera pas question d’aller dans la facilité. Pour cette raison, Blade Runner 2049 va forcément diviser car il s’agit avant tout d’un film expérimental, une suite qui se termine, elle aussi, sur une fin ouverte, mais avec un dénouement très émouvant qui donnera le frisson aux fans de la première heure. J’avoue que le scénario m’a bluffé, on sent qu’il a été travaillé. Ryan Gosling, monolithique à souhait, est parfaitement à l’aise dans son rôle, de même que l’ensemble du casting.

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Film sincère, authentique, intègre, respectueux mais audacieux, Blade Runner 2049 n’a probablement pas la force visionnaire du premier film, mais sa réussite incontestable est un vrai miracle. Comme toujours, on regrettera amèrement ces satanées bandes-annonces qui en montrent beaucoup trop… mais peu importe, car comme le dit Roy Batty

tous ces moments se perdront dans l’oubli comme les larmes dans la pluie.

Published in: on octobre 4, 2017 at 6:34  Comments (29)  
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