Ghost of Tsushima

Japon, XIIIe siècle, bataille de Komoda. Les samouraïs de l’île de Tsushima sont impitoyablement massacrés par l’armée mongole du Khan. Tous sauf un : Jin Sakai. Blessé, esseulé, mais néanmoins vivant, Jin n’a plus qu’un objectif : délivrer l’île de cette invasion, coûte que coûte. Dans sa quête, il devra recruter d’autres survivants possédant un lourd passé. Mais comment suivre le code du samouraï face à un ennemi qui ne respecte aucune règle ?

Adolescent, j’ai souvent rêvé du jeu ultime, celui qui bénéficierait de graphismes photo-réalistes si aboutis que j’aurais du mal à distinguer la fiction de la réalité… mais jamais je n’aurais pensé vivre une telle expérience vidéoludique. Dès les premières secondes de jeu, Ghost Of Tsushima annonce la couleur : vous êtes désormais dans le Japon du XIIIe siècle. Mes captures d’écran ne sont pas des montages, le jeu est VRAIMENT ainsi, sans même parler de l’animation, d’une fluidité exemplaire ! N’hésitez pas à cliquer sur mes images. 

Il n’y a donc plus de différences entre les scènes cinématiques et les scènes d’action. Même en ayant fini Ghost of Tsushima, j’avoue avoir encore du mal à me remettre de cette leçon de cinéma réalisme. J’ai tellement été subjugué par cet univers que pendant les fêtes de fin d’année, j’ai effectué plus de 700 captures d’écran, autant de photos de voyage !

On pourrait imaginer que la beauté des graphismes vient du fait que j’ai la chance de posséder une PS5, mais un ami m’a confirmé que la résolution n’était pas en reste sur sa PS4 Pro*. Ghost of Tsushima présente une esthétique raffinée grâce à d’innombrables détails qui, là encore, favorisent l’immersion. Ainsi, certaines légendes sont racontées à l’encre de Chine, accompagnées d’une bande originale qui m’a fait chavirer, mention spéciale à cette musique qui donne la chair de poule… 

Non seulement les concepteurs du jeu sont allés à Tsushima enregistrer des sons d’oiseaux, mais ils ont poussé le réalisme jusqu’à recruter un conseiller pour s’assurer que l’ancien japonais parlé dans le jeu ne soit pas anachronique ! Les acteurs eux-mêmes amenant énormément d’émotion dans le doublage, ne pas jouer avec la version originale sous-titrée relève du sacrilège…

Une telle réussite artistique serait déjà honorable, mais c’est sans compter sur l’autre prouesse des développeurs : proposer un scénario bouleversant digne d’une série télévisée historique, qui met à mal les cœurs les plus endurcis ! D’entrée de jeu, l’intrigue nous fait vivre un épisode méconnu de l’Histoire du Japon, la bataille de Komoda. C’est d’ailleurs pour cette raison que le générique de fin rend ainsi hommage aux « âmes qui ont perdu la vie à Tsushima » face à une armée mieux équipée, les Mongols maitrisaient en effet la poudre explosive. Un texte, le Hachiman Gudōkun, amène un témoignage précieux :

Chaque fois que les soldats (mongols) prenaient la fuite, ils envoyaient des bombes en fer contre nous, ce qui nous donnait le vertige et nous plongeait dans la confusion. Nos soldats étaient effrayés par les déflagrations ; ils devenaient sourds et aveugles, de sorte qu’ils pouvaient à peine distinguer l’est de l’ouest.

Comme si ce n’était pas suffisant, le code de l’honneur imposait aux samouraïs de mener sur le champ de bataille des combats singuliers en se présentant à l’adversaire ! Les Mongols, eux, combattaient groupés sans se préoccuper de leur écrasante supériorité numérique…

Une source historique rapportant la bataille de Komoda abonde dans ce sens :

Avec 80 samouraïs à cheval et leur suite, Sukekuni a affronté une force d’invasion de 8 000 guerriers embarqués sur 900 navires. Les Mongols ont débarqué à 2 heures du matin le 5 novembre, et ont ignoré les tentatives de négociation japonaises, ouvrant le feu avec leurs archers et les forçant à battre en retraite. Le combat a été engagé à 4 heures. La petite force de garnison a été rapidement défaite, mais selon le Sō Shi Kafu, un samouraï, Sukesada, a abattu 25 soldats ennemis en combat individuel. Les envahisseurs ont vaincu une dernière charge de cavalerie japonaise vers la tombée de la nuit. Après leur victoire à Komoda, les forces Yuan ont brûlé la plupart des bâtiments autour de Sasuura et ont massacré la plupart des habitants. Elles ont pris les jours suivants le contrôle de Tsushima.

Dans un documentaire de 45 minutes disponible sur l’édition spéciale de Ghost of Tsushima, l’historien japonais Kazuto Hongo, enseignant-chercheur à l’université de Tokyo, confie avoir eu les larmes aux yeux lorsqu’il a découvert la finition des armures. À la question « qu’est-ce qu’il faudrait pour que le jeu soit plus réaliste ? », il répond : « rien ! Voilà à quoi ressemblait le Japon féodal ! ».

Chris Zimmerman, le co-fondateur du studio Sucker Punch qui a conçu le jeu avoue que : « l’objectif est de vous emmener dans un endroit où vous n’avez été (…) et de vous faire sentir comme si vous y étiez réellement. »

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la mission est réussie tant j’ai retrouvé ce que j’ai tant aimé dans mes voyages au Japon : les balades en forêt dans les sanctuaires shintoïstes, l’atmosphère épurée des temples bouddhistes, sans parler de l’ambiance zen, présente jusque dans le gameplay.

En effet, plus vous êtes détendu et concentré, plus vous êtes efficace dans la gestion du sabre ! Même au niveau des commandes, le jeu est pensé pour que vous traitiez les combats avec l’esprit zen appelé mushin no shin, « pensée sans pensées ».

 

Non seulement il est possible de se spécialiser dans un style de combat, mais le réalisme est tel que le jeu permet d’adopter les tactiques du plus célèbre samouraï de l’Histoire, Miyamoto Musashi : vous souhaitez harceler l’ennemi en courant constamment, sauter d’un toit, changer la garde de votre sabre en plein combat pour mieux déstabiliser l’adversaire, mener une guérilla ? Tout cela est faisable ! Jin Sakai peut progressivement devenir une véritable légende, le « fantôme » capable de terrifier l’armée mongole.

Et pourtant, paradoxalement, l’âme du jeu réside dans des scènes contemplatives, notamment en visitant les sanctuaires shinto au sein desquels il est possible de laisser des offrandes aux kamis, des esprits de la nature qui vous aideront indirectement à mener à bien votre quête.

Tout au long de ce parcours initiatique, il est question de spiritualité et d’impermanence, de débats moraux avec des moines bouddhistes, ou des samouraïs désabusés qui s’interrogent sur le sens de la vie, de la mort… et du bushido.

 

Vous pouvez même composer des haïkus ou jouer de la flute lors de séquences d’une poésie rare. Le jeu est conçu pour que vous preniez le temps de vous perdre dans la nature, de vous ressourcer en vous baignant devant le spectacle paisible d’une rivière.

 

Ghost of Tsushima est une véritable machine à remonter le temps qui vous amène à découvrir par vous-même la période Kamakura, quelque part entre le guide de voyage Lonely Planet, le documentaire Arte et une série Netflix particulièrement addictive.

Vous l’aurez deviné, il m’est difficile de trouver des défauts à ce Ghost of Tsushima qui aura nécessité six ans de développement. Le début est un tout petit peu directif, « bac à sable » oblige, mais rapidement la liberté devient totale. On peut également pinailler sur des anachronismes mineurs, les développeurs reconnaissent eux-mêmes avoir pris certaines libertés : ainsi le hwacha, une arme d’artillerie, n’apparaît qu’au XVe siècle, et vous pouvez composer des haïkus qui naissent en réalité au XVIe siècle… mais cela dit, la poésie courte dite tanka était connue des samouraïs. Toutes ces minuscules scories, loin de desservir le jeu, ne lui donnent que plus de caractère : imaginez un The Witcher 3 qui aurait été réalisé par Akira Kurosawa, mélangez avec Breath of the wild et Shadow of the Colossus pour son aspect contemplatif, Horizon zero dawn et The Last of us pour l’émotion, et vous obtiendrez un chef d’oeuvre absolu qui m’a laissé KO debout, une histoire de samouraïs qui m’a fait pleurer à chaudes larmes… une expérience rare dans la vie d’un gamer. Ghost of Tsushima est tout simplement le meilleur jeu auquel j’ai jamais joué.

Bonus : une vidéo réalisée par mes soins, il s’agit du sanctuaire du rocher de la tortue, mon endroit préféré dans GOT. Gardez en tête que ce n’est pas un joli décor inaccessible, on peut VRAIMENT explorer ce panorama en profondeur.

« Que les kami guident vos flèches ! »

 

* J’ai cependant constaté que la résolution était nettement inférieure sur une PS4 classique

Published in: on février 12, 2021 at 11:43  Laissez un commentaire  

Final Fantasy VII Remake

Quel singulier destin que celui de Final Fantasy VII, un cas unique dans l’histoire du jeu vidéo ! Sorti à l’origine en 1997 sur PlayStation One, l’épisode le plus célèbre de la franchise de Square Enix a révolutionné les RPG des années 90 avec l’histoire épique de Cloud Strife. Ancien soldat devenu mercenaire d’Avalanche, un groupe éco-terroriste, Cloud et ses compagnons combattent la Shinra, une multinationale qui draine l’énergie vitale de la planète. À l’époque, Final Fantasy VII était le premier volet de la saga à proposer des graphismes en 3D, mais aussi des séquences cinématiques impressionnantes d’une durée totale de 40 minutes, du jamais vu en 1997 ! On avait l’impression de découvrir un nouveau média, gigantesque. Il s’agissait de l’un des premiers titres « open world » avec une carte du monde qu’on pouvait parcourir inlassablement pendant des dizaines d’heures… ce qui explique pourquoi le jeu nécessitait pas moins de trois CD !

Ce fut d’ailleurs la raison du divorce entre l’équipe de Final Fantasy et Nintendo, qui ne voulait pas entendre parler de lecteur CD sur la future Nintendo 64, une décision lourde de conséquences. Je vous parle d’un temps où les disques durs n’avaient pas encore envahi les consoles, il fallait donc acheter une memory card qu’on insérait sous le port manette, de la mémoire flash qui contenait la somme astronomique de… 128 ko de données.

Le scénario n’était pas en reste avec un personnage emblématique qui disparait tragiquement en plein milieu de l’histoire… alors que j’avais massivement investi dans son équipement et ses pouvoirs, les fameuses materia. À l’époque je ne voulais pas croire en cette mort définitive, je traitais mes amis de doux naïfs lorsqu’ils me disaient que ce défunt personnage ne reviendrait pas… jusqu’au moment où j’ai bien été obligé de reconnaître qu’ils avaient raison, snif. Final Fantasy est, avec la saga Baldur’s gate, LE jeu de rôle qui a marqué au fer rouge les joueurs des années 90, au point de rentrer dans la légende. Premier Final Fantasy développé sans Nintendo, le jeu a considérablement popularisé la PlayStation et la technologie du CD-ROM, au point d’éclipser la Nintendo 64… et de signer l’arrêt de mort de la Saturn de la firme Sega, qui ne s’en relèvera jamais.

L’histoire aurait pu en rester là, mais en 2005, la firme Square présente une démo sur PlayStation 3 avec… l’introduction de Final Fantasy VII actualisé, grâce à des graphismes dernier cri. Le monde des gamers entre en fusion ! Malheureusement, c’est la douche froide : Square Enix annonce qu’il n’a jamais été question d’adapter le jeu mythique sur PS3, il s’agit juste d’une démo technique. En réponse, les fans feront circuler une pétition (que j’ai signée à l’époque !).

Pendant des années, la rumeur d’un remake sera un véritable serpent de mer, jusqu’au jour où l’impossible arrive : dix ans après la fameuse démo de la frustration, Square annonce en 2015 la mise en chantier du remake tant espéré par les fans, qui sort enfin en 2020. Ironie du sort, durant le confinement je n’ai pas eu l’occasion de le tester, mais j’ai rattrapé mon retard… et constaté qu’Aeris a bien changé en l’espace de 23 ans.

Ce qui frappe d’entrée, c’est l’audace des graphismes. Square n’a pas menti : il ne s’agit pas d’un simple remake, la console donne tout ce qu’elle a, les combats sont dignes d’un anime et jamais la ville de Midgard n’a été aussi flamboyante.

Se contenter de remettre cet épisode au goût du jour aurait déjà satisfait bon nombre de fans, mais c’était sans compter sur le perfectionnisme névrotique de la firme japonaise : les cinq premières heures du jeu original ont été considérablement approfondies, ce qui donne lieu à 40h00 sur la version 2020 ! Une version tellement dense qu’elle nécessitera plusieurs épisodes et des années de développement, d’où ma crainte initiale : est-ce que Square Enix n’a pas flairé le filon en découpant le jeu original en trois volets, à l’image de ce qu’a fait Peter Jackson au cinéma avec Bilbo le Hobbit ? Je dois avouer que cette peur a été rapidement balayée par un scénario complètement dépoussiéré : là où le jeu original survolait les relations entre les personnages du groupe Avalanche, la version 2020 passe de longues heures à nous montrer en détail le quotidien de ces éco-terroristes qui se battent pour sauver la planète. On découvre ainsi la douloureuse histoire familiale de Jessie, mais aussi les rapports complexes entre Cloud et Tifa, ou bien encore la mère d’Aeris.

Tifa, « l’amie d’enfance » de Cloud… Hum… C’est moi ou j’ai l’esprit mal tourné ?

De multiples arcs narratifs qui, pour une question d’espace disque, étaient techniquement inconcevables en 1997. Dans ces conditions, impossible de ne pas ressentir une certaine complicité à mesure qu’on redécouvre des personnages attachants, le plus charismatique d’entre eux étant à mes yeux le volcanique Barret, jamais avare de répliques cinglantes. Le guerrier sanguin du jeu original gagne en humanité à mesure qu’on découvre derrière la figure du terroriste un père viscéralement attaché à sa fille. Le jeu est beaucoup moins manichéen, puisque dès le début de l’aventure Cloud est confronté à ses actes : poser des bombes, même pour une cause juste, a un coût moral…

La nouvelle mise en scène de ces anti-héros iconiques surpasse celle du jeu original en faisant vivre au joueur non pas un mais plusieurs moments bouleversants… à condition de privilégier l’incontournable version japonaise sous-titrée. On sent que les acteurs ont accompli un travail incroyable pour donner vie à leurs alter-ego, comme au cinéma. Impression renforcée par une musique sublime dont les thèmes viennent enrichir ceux de 1997.

Le jeu n’est pas loin d’approcher la perfection, même si on retrouve un défaut déjà présent dans l’édition originale : comme en 1997, l’exploration de Midgard reste linéaire. Ce qui ne posait aucun problème majeur dans les années 90 est un peu plus gênant à l’heure de The Witcher 3, surtout quand le jeu propose des quêtes dispensables. C’est le fameux syndrome du couloir qui est apparu à partir de Final Fantasy XIII sur PlayStation 3 : les graphismes sont devenus tellement sophistiqués que les développeurs sont obligés de se montrer plus dirigistes afin d’enfermer les joueurs dans des environnements clos, mais ce défaut est largement compensé par la beauté des images, et par le fait que le joueur gagne vers la fin davantage de liberté de déplacement.

Metro, boulot, mako

De plus, la suite de Final Fantasy VII devrait à nouveau offrir un monde ouvert semblable au jeu original, puisque l’intrigue se déroulera à l’extérieur de Midgard. Le seul vrai point noir est le mode « classique », beaucoup trop facile, le mode « normal » étant bien plus intéressant.

Du rire, des larmes, et de l’action avec un dernier chapitre aussi épique que le film Final Fantasy VII: Advent Children, Final Fantasy VII Remake est décidément très mal nommé tant il fait oublier l’édition originale et se révèle pour moi le meilleur épisode depuis FF XII. Il s’agit moins d’un remake que d’un Final Fantasy VII qui aurait été créé en 2020, avec un scénario plus riche, même s’il reste fidèle à celui de 1997. Deux versions pour l’un des plus grands titres de l’histoire du jeu vidéo… l’attente de la suite promet d’être longue !

Bonus : une vidéo amusante qui compare les différentes versions de Final Fantasy VII, attention ça pique les yeux…

Published in: on Mai 26, 2020 at 9:23  Comments (5)  
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Vers un nouvel âge d’or de la Fantasy ?

Je viens de terminer le dernier épisode de la série télévisée OCS His dark materials : à la croisée des mondes, les larmes aux yeux et le cœur serré. Quelle fantasy douce-amère, à mi-chemin entre le monde des enfants et celui, bien plus cruel, des adultes… Servi par un générique flamboyant, une jeune actrice prodigieuse révélée dans Logan et des « Panserbjørnes » (ours en armures !) enragés, le cycle basé sur la trilogie de Philip Pullman ne ménage jamais le spectateur : personnages non manichéens, critique frontale du christianisme, enfance sacrifiée… Cet « anti-Narnia » doit donner des cauchemars aux dirigeants de Disney ! Et fait largement oublier le demi-échec du long-métrage (trop) familial de 2007, la Boussole d’Or.

La semaine dernière, une autre saga me faisait chavirer, celle de The Witcher, et c’est peu de le dire : moi qui n’avais pas accroché au jeu vidéo sur PlayStation 4, je n’ai désormais qu’une envie : rallumer ma console afin de retrouver Geralt de Riv et la sorcière Yennefer, LE personnage charismatique de cette magnifique série Netflix, inspirée des romans de Andrzej Sapkowski. The Witcher, c’est un peu le lointain héritier de Conan et de la culture pulp façon sword and sorcery : beaucoup d’action et d’humour, à des années-lumière du réalisme pessimiste de Game of Thrones, et c’est tant mieux, car il aurait été suicidaire d’imiter la recette du mythique programme d’HBO.

Comme si cela ne suffisait pas, j’ai aussi eu un coup de cœur pour Carnival Row, une série qui se déroule dans un monde urban fantasy inspiré de l’époque victorienne, les créatures féériques étant les victimes d’une ségrégation raciale. Loin d’être un copié-collé de la Grande-Bretagne du XIXe siècle, la série d’Amazon Prime dispose d’un gigantesque background :  un univers à l’histoire très ancienne, une riche mythologie celtique, des rues qui grouillent de faunes, de kobolds et de trolls, des machines steampunks impressionnantes… et une Cara Delevingne qui obtient enfin un rôle intéressant.

Après avoir été émerveillé par toutes ces histoires, je me demande si nous ne sommes pas en train de connaître, vingt ans après le triomphe du film la Communauté de l’Anneau, un nouvel âge d’or de la fantasy tant je suis sidéré par la qualité d’écriture de ces trois séries féministes contemporaines. Des séries qui possèdent une profondeur abyssale en matière d’univers, à l’image du poétique prequel de Dark Crystal : Le Temps de la résistance.

Alors que les deux trilogies de Peter Jackson n’ont pas engendré de mode cinématographique durable autour de la fantasy, il en va autrement du petit écran. Le succès mondial de Game of thrones a en effet convaincu les networks qu’il existe un vrai public amateur du genre. Avec les progrès des effets spéciaux, et la hausse des budgets*, ce qui relevait du domaine du rêve il y a encore quelques années devient une réalité sur Netflix, Amazon Prime, HBO ou la BBC. Il faut dire qu’adapter un roman en série télévisée est plus facile qu’au cinéma, il y a beaucoup moins de censure, et surtout une marge de manœuvre quasi infinie pour les scénaristes. Un livre nécessite une intrigue dense de dix heures avec des personnages fouillés ? Aucun problème, il suffit d’écrire une saison ! J’en viens presque à regretter que le futur Dune de Denis Villeneuve ne soit pas une série télévisée… Cerise sur le gâteau, toutes ces œuvres attirent une horde de réalisateurs à qui Disney Hollywood refuse de confier des longs-métrages, des artistes talentueux qui ont soif de cinéma, et qui se retrouvent aux commandes de programmes ambitieux comme le prochain Seigneur des Anneaux d’Amazon.

Si la Fantasy n’est plus un sous-genre de l’imaginaire gettoïsé réservée aux geeks adeptes de jeux de rôle, va-t-elle enfin prendre ses lettres de noblesse en France** ? En attendant d’obtenir la réponse à cette question, on ne peut que se réjouir d’une telle variété au niveau de ces shows de premier plan***. Cette situation me donne l’impression de redevenir un ado des années 90, quand n’importe quel fan de SF n’avait que l’embarras du choix entre Star Trek, Babylon VStargate et autre Farescape… bien que la qualité des scénarios et des CGI d’aujourd’hui soit sans commune mesure avec cette période faste. Quel bonheur de savoir que The Witcher serait le plus gros carton de l’histoire de Netflix ! J’ai comme l’impression qu’il se passe en ce moment quelque chose d’incroyable en matière de Fantasy, un engouement planétaire qui me donne le sourire… et une envie folle d’écrire.

En conclusion, ce mème conçu par votre serviteur.

Bonus, cette magnifique reprise qui tourne en boucle sur mon ordinateur :

* On parle d’un budget d’un milliard de dollars pour les 5 saisons du Seigneur des Anneaux, soit 200 millions de dollars par saison… À titre comparatif, la dernière saison de GOT a coûté « seulement » 90 millions de dollars.

** Selon le Figaro, Bragelonne a vendu 80.000 exemplaires de The Witcher… juste pour les fêtes de fin d’année.

*** Sans parler du fait qu’une nouvelle génération de lecteurs découvre les romans de Philip Pullman et Andrzej Sapkowski, la preuve que différents médias ne sont pas forcément en concurrence.

Ces jeux qui nous bouleversent

 

Littérature, cinéma, série télévisée… Jamais les conteurs n’ont disposé d’autant de médias pour susciter de l’émotion. C’est le cas de certains jeux vidéos qui laissent une trace indélébile, plus mémorables que certains films, et pour cause : dans une salle de cinéma on ne peut pas influer sur une histoire. C’est le constat que j’ai eu ce lundi en terminant (pour la seconde fois !) un chef d’œuvre, le premier volet de la trilogie Mass Effect. Dans cet épisode on incarne le commandant John Shepard (ou son homologue féminin). En 2183, l’Humanité est désormais capable de se déplacer à travers l’univers grâce à l’effet cosmodésique, connu des autres espèces sous le nom de « Mass Effect », suite à la découvertes de technologies extra-terrestres sur Mars.


Dans ce space opera grandiose, Shepard devra effectuer des choix cornéliens qui auront des répercussions immenses, pour la galaxie… ainsi que ses proches. C’est d’autant plus impressionnant que le jeu vidéo dispose d’un énorme avantage immersif comparé à un long-métrage : on peut facilement passer une centaine d’heures avec des personnages à explorer des planètes… Shepard peut même vivre des histoires d’amour !* Ce qui rend certaines décisions d’autant plus cruelles…. Vers la fin du premier Mass Effect, il faut résoudre un dilemme : lors d’une bataille désespérée, deux membres de l’équipe, situés à deux lieux différents, se retrouvent en danger, or le vaisseau spatial ne peut se déplacer qu’à un endroit à la fois… Après de longues hésitations, lorsque j’ai finalement annoncé par radio à l’officier Kaidan Alenko que je ne pourrais pas le rejoindre, celui-ci m’a répondu qu’à ma place il aurait agi de la même façon.

Kaidan Alenko

Bien sûr, il a fallu consoler le soldat survivant que j’ai choisi de sauver et qui était bouleversé, lui dire que c’était ma décision et non la sienne… Plus tard, en passant devant les casiers de mes personnages (afin d’organiser leur équipement), je n’ai pu m’empêcher de culpabiliser en voyant celui de Kaidan, fermé pour toujours. Je me suis demandé si mon avatar n’aurait pas dû mourir à sa place ! Kaidan m’accompagnait depuis le début, il m’avait même sauvé la vie lors d’une mission délicate, sans parler du fait qu’on avait eu l’occasion de discuter longuement de son passé (Kaidan m’avait un jour confié qu’il souffrait de migraines à cause d’implants cybernétiques de seconde génération, gosse il avait en effet servi de cobaye contre son gré dans un laboratoire peu scrupuleux…). Faire naitre dans le cœur du joueur la culpabilité du survivant est une prouesse incroyable de la part des scénaristes ! Un autre moment fort de mon expérience sur Mass Effect : une mission prise d’otages qui consistait à perdre le moins de civils possible. Bien qu’il s’agissait d’une intrigue secondaire, j’ai passé au moins une heure à faire en sorte qu’il n’y ait aucune victime innocente. Après l’heureux dénouement, j’ai été contacté par l’amiral en personne, qui m’a avoué « être impressionné ». J’avais plusieurs réponses possibles à formuler et j’ai choisi « je n’ai fait que mon travail ». Il se trouve que le jeu a pris en compte non seulement cette réplique, mais aussi le résultat de la prise d’otage, avec cette réaction de l’amiral sur un ton admiratif : 

Dans mon armée, j’aimerais avoir plus de soldats qui ne font « que leur travail », Shepard, vraiment. Cinquième flotte, terminée. 

Chair de poule assurée ! 

Les créateurs de jeux vidéos ne sont plus seulement des conteurs, mais également des psychologues archi-talentueux, comme le prouve The Last of Us, dont l’intrigue démarre le jour d’une apocalypse zombie. On incarne Joel, un père de famille qui tente de sauver sa fille, Sarah, lors de l’introduction. Hélas, Joel échouera lors d’une séquence tragique absolument poignante. Lorsque le jeu reprend après une ellipse de vingt ans, Joel a désormais la cinquantaine fatiguée. Il est devenu un survivant qui a appris à se battre dans un monde post-apocalyptique où règne la loi du plus fort. Sa routine est chamboulée le jour où on lui confie Ellie, une ado qui a grandi dans un bunker et qu’il doit escorter dans le cadre d’une mission ultra-secrète déterminante pour l’avenir de l’Humanité. Le problème, c’est qu’en tant que joueur, vous avez déjà été traumatisé par le décès de la fille de Joël, et vous n’avez aucune envie de vous attacher à nouveau à une gamine qui peut mourir à chaque instant ! Mais il se trouve qu’Ellie est une adolescente adorable qui n’a jamais connu le monde extérieur, encore moins celui d’avant l’apocalypse. Une ado qui ressemble à la fille de Joel si celle-ci vivait encore… Peu à peu, vos défenses émotionnelles tombent une par une, notamment quand Ellie découvre avec émerveillement des girafes au milieu des ruines de Pittsburgh…

Les scénaristes arrivent à vous manipuler à un degré rarement atteint dans un jeu, en vous faisant vivre la dernière étape d’un deuil virtuel ! Avec un tel enjeu, impossible de lâcher la manette car on veut bien évidemment connaitre la fin de l’histoire et savoir si Joel et Ellie vont survivre.

Dans Horizon Zero Dawn, c’est un peu la situation inverse : alors que l’Humanité est revenue à l’âge de pierre depuis que les machines dominent la planète, vous incarnez Aloy, une orpheline ostracisée qui vit en marge d’une société tribale, et qui ne peut compter que sur elle-même. Un beau jour, Aloy découvre un artefact technologique qui permet de pirater les robots, et qui lui donne accès à des informations concernant le monde d’il y a mille ans. Aloy part alors à la recherche de ses origines… Odyssée émouvante, récit initiatique épique servi par une musique mélancolique, Horizon Zero Dawn est le seul jeu dont la fin m’a fait pleurer.

En tant qu’auteur de romans, je ne peux qu’être admiratif devant le travail accompli par ces artistes. Ces trois œuvres sont moins des jeux que des histoires qui changent le regard qu’on porte sur le monde. À la manière d’un grand film, il y a un avant et un après Mass Effect, The Last of Us et Horizon Zero Dawn, parce qu’il s’agit avant tout de récits universels qui posent des questions philosophiques sur ce qui nous définit en tant qu’être humain, que ce soit la justice, le droit à la différence ou l’altruisme… Des questions aussi vieilles que l’Humanité, et malheureusement toujours d’actualité.

Cet article est dédié à la mémoire de l’officier Kaidan Alenko.

* Mass Effect est même l’un des premiers jeux vidéos à avoir permis au joueur de choisir une romance homosexuelle.

 

 

Published in: on juillet 9, 2019 at 8:30  Comments (9)  

Zelda, Breath of the Wild

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Je n’ai jamais chroniqué de jeu vidéo sur ce blog mais à événement exceptionnel, article exceptionnel… Pourtant, quand la presse a commencé à parler du « meilleur jeu Nintendo de ces 20 dernières années », je me suis montré méfiant. Le monde vidéo-ludique n’est pas épargné par le sensationnalisme, on le constate souvent avec des titres notés 21/20… Et puis, il y a quelques jours, mes amis Fred et Céline ont eu la gentillesse de m’envoyer un mystérieux colis par la Poste… qui s’est révélé être la version Wii U de Zelda,  Breath of The Wild. « Tu ne peux pas passer à côté » m’a répété Fred, écrivain lui aussi… Intrigué, j’ai donc laissé une chance à ce jeu, d’autant plus que cela tombait à pic : un passage de mon roman me posait problème depuis plusieurs semaines sans que je comprenne pourquoi. Dans ce genre de moment je fais toujours une pause histoire de revenir sur mon texte avec un point de vue neuf… et des solutions.

L’histoire débute avec le personnage de Link. Amnésique, il se réveille après un sommeil d’un siècle dans un royaume qui a connu une guerre terrible. Son but : percer les mystères du passé et vaincre Ganon, le fléau.

D’emblée, on est frappé par la beauté des images, dignes d’une oeuvre de Miyazaki, avec cette impression d’évoluer dans un manga. Certes, le graphisme est à l’opposé du réalisme d’un Horizon zero dawn, voir même d’un Last of us qui commence à dater. Pourtant, dès les premières minutes, les concepteurs du jeu arrivent à instaurer une ambiance contemplative façon Shadow of colossus, une atmosphère qui flanque la chair de poule. Ce n’est d’ailleurs pas le seul point commun entre les deux titres.

« Liberté », c’est le mot qui me vient à l’esprit quand je pense à Zelda. Dans un univers absolument immense, il est possible d’escalader des montagnes, d’explorer à cheval les  steppes, d’errer dans des forêts millénaires et même de naviguer sur l’océan.

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L’immersion est totale, grâce notamment à une bande-originale très discrète, pour ne pas dire minimaliste. Parfois, cet accompagnement musical se réduit à quelques notes de piano mélancoliques… Rarement on a eu une telle impression de vide, bien loin de l’hystérie de certains MMORPG dans lesquels il faut tuer des monstres et réussir des quêtes pour progresser. Une impression de vide certes, mais qui stimule l’imagination, surtout quand on visite des ruines chargées d’Histoire… Comme si ce n’était pas suffisant, on peut recycler à peu près tout ce qu’on trouve dans la nature, créer des potions dans un esprit un peu Minecraft, pour ne pas dire McGyver… On est loin des itinéraires balisés des traditionnels jeux à monde ouvert ! Bien sûr, le protagoniste principal a un but, vaincre Ganon, mais c’est le seul impératif, le joueur est totalement libre de ses choix. Rapidement on ressent l’euphorie des jeux-vidéos des années 80-90, cette magie d’antan, l’illusion d’un monde sans limites. On se surprend à admirer un coucher de soleil au sommet d’une falaise, à observer l’ombre des nuages sur des plaines verdoyantes tout en écoutant le vent.

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On visite des villages fortement inspirés par la période Jomon, le Japon préhistorique (les concepteurs du jeu ont d’ailleurs avoué que les célèbres statues nippones ont influencé le design des gardiens).

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gardien

On discute également avec des personnages secondaires très attachants. Tenez, est-ce que vous savez pourquoi la femme du meunier du village d’Elimith passe ses journée à surveiller le moulin, toute seule, près d’un arbre ? Eh bien en bavardant un peu avec elle on apprend qu’elle n’est pas du coin, que sa famille lui manque et que son mari est obsédé par son travail… ce qui explique pourquoi chacun vit un peu de son côté, évitant ainsi les disputes. Dans bien des jeux, les « figurants » n’auraient pas été si bien caractérisés, mais ici on partage avec cette femme un moment mélancolique troublant, presque une tranche de vie…

L’autre idée de génie du jeu, c’est l’amnésie initiale du protagoniste principal. En faisant de Link un personnage à la recherche de son passé, les concepteurs jouent à fond la carte nostalgie à mesure que les souvenirs reviennent… renvoyant le joueur à sa propre enfance/adolescence. Métaphoriquement, il s’est effectivement passé un siècle depuis The Legend of Zelda (1987 pour la version NES), A link to the past (1992, Super NES) et Ocarina of time (1998, Nintendo 64), pour ne nommer que quelques titres emblématiques de cette longue saga. Qu’on soit joueur occasionnel ou fan acharné, au fond peu importe. Cette quête des origines n’appartient pas seulement à Link, mais aussi à celles et ceux qui ont grandi avec ce mythe transgénérationnel.

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« Tu ne peux pas passer à côté ». Après avoir joué à Zelda, les mots de mon ami Fred ont pris une résonance particulière. Cette leçon de show don’t tell m’a permis de débloquer le passage problématique de mon nouveau livre qui me gênait depuis plusieurs semaines. Non pas que ce jeu m’ait inspiré, mais Breath of the Wild est si exemplaire au niveau de la narration que je me suis recentré sur l’essentiel, avec cette simple question : « qu’est-ce que tu veux raconter ? ».

Pour conclure, Zelda est un jeu auquel on pense quand on ne joue pas, et qu’on a envie de finir, ce qui n’est pas si courant. Picasso disait « les bons artistes copient, les grands artistes volent ». Les concepteurs de Breath of The Wild ne se sont pas contentés d’emprunter les bonnes idées des meilleurs jeux vidéos des cinq dernières années, ils les ont également transcendées pour livrer un chef-d’œuvre qui a profondément troublé Ubisoft… rien que ça.

Published in: on mars 28, 2017 at 8:43  Comments (8)  
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