La fabuleuse découverte du toumo

Alexandra David-Néel et son fils adoptif, Yongden

Indiana Jones était une femme ! Oui, vous avez bien lu, je parle d’Alexandra David-Néel, une exploratrice que j’admire et qui m’a beaucoup inspiré. Cette aventurière mena une vie extraordinaire : lassée par sept années de mariage, et peu encline à devenir mère de famille, elle décida un beau jour de partir explorer l’Asie. En 1924, elle fut la première occidentale à pénétrer clandestinement dans Lhassa, la capitale du Tibet, à une époque où les étrangers qui bravaient cet interdit risquaient la peine de mort. Pour réussir cet exploit, Alexandra David-Nel se déguisa : elle recouvrit son visage de suie, apprit le tibétain, se fit passer pour une mendiante… tout en cachant sous ses haillons un pistolet. Son récit est souvent drôle, preuve en est le soir où Alexandra et son fils adoptifs, Yongden, sont invités par des paysans à un « repas de fête »… qu’ils sont obligés d’honorer si Alexandra ne veut pas être démasquée !

Lors de son voyage initiatique, Alexandra David-Néel ne se contenta pas de changer d »identité, elle reçut également les enseignements des plus grands maîtres spirituels du Tibet, dont le 13e dalaï-lama. Elle s’initia au bouddhisme tantrique, une spiritualité ésotérique appelée vajrayana. Cette spiritualité se retrouve dans le Moine de Samarcande, (le désert du Taklamakan ayant appartenu à l’Empire du Tibet) et elle est, comme je l’expliquais dans un article précédent, source de malentendus en Occident.

Le bouddhisme tantrique tibétain est en effet une voie spirituelle qui a révolutionné le bouddhisme traditionnel tel qu’on le pratiquait en Inde et en Asie du Sud-Est au sens où, qu’on soit moine, laïc ou même hors-la-loi, il est question d’atteindre l’Éveil en une seule vie sans passer par de multiples renaissances, à condition de se soumettre à des pratiques ésotériques rigoureuses : méditations, récitations de mantras, visualisions de divinités tantriques appelées yidams qui ne font qu’une avec le yogi, telles que Dorje Naldjorma, Prajnaparamita ou Tara… des divinités souvent féminines, très valorisées, le principe féminin symbolisant la sagesse. On peut admirer les peintures de ces divinités tantriques dans les grottes de Mogao.

Point important, à la différence de ce qui se pratique au sein d’un culte polythéiste égyptien, grec ou romain, le yidam n’est pas visualisé comme une divinité extérieure à soi qu’on vénère via des sacrifices, mais comme une divinité qui est en soi, et avec laquelle on s’unit symboliquement, pour le bien de tous les êtres. L’idée n’est plus, comme dans le bouddhisme traditionnel, de se détacher des désirs et autres pulsions sexuelles, mais de les sublimer à travers des yogas tantriques tels que « le feu interne », le toumo, une discipline particulièrement spectaculaire.

Alexandra David-Néel fut la première occidentale à rapporter l’existence de ce tantra permettant de survivre dans les montagnes de l’Himalaya, et qui fut pratiqué par Milarépa en personne, le mystique dont je vous parlais dans cet article. Un jour, alors qu’elle avait très froid, Alexandra David-Néel utilisa le toumo pour se réchauffer. À son retour en Europe, personne ne prit au sérieux son récit… jusqu’au jour où d’autres occidentaux confirmèrent l’existence de cette pratique décrite dans un des livres de l’exploratrice, Mystiques et magiciens du Tibet :

Par une nuit d’hiver où la lune brille, ceux qui se croient capables de subir victorieusement l’épreuve, se rendent, avec leur maître, sur le bord d’un cours d’eau non gelé (…) Les candidats au titre de Repa, complètement nus s’assoient sur le sol, les jambes croisées. Des draps sont plongés dans l’eau glacée, ils y gèlent et en ressortent raides. Chacun des disciples en enroule un autour de lui et doit le dégeler et le sécher sur son corps (note : c’est la « technique du drap mouillé », d’un mètre sur deux, plongé dans l’eau froide et dégoulinant, les moines s’en couvrent le corps presque nu et méditent. Une vapeur apparaît en 3 à 5 minutes, et le drap est asséché en 45 minutes. Les moines répètent l’opération trois fois par nuit, parfois à une température inférieure à 0°C). Dès que le linge est sec, on le replonge dans l’eau et le candidat s’en enveloppe de nouveau. L’opération se poursuit, jusqu’au lever du jour. Alors celui qui a séché le plus grand nombre de draps est proclamé le premier du concours.

De nos jours, les scientifiques ont mis en évidence l’efficacité du toumo et l’influence de l’esprit sur le corps, notamment au niveau de l’élévation de la température corporelle, ce qui permet aux extrémités (doigts, orteils) de ne pas geler. Force est de constater que le toumo est pratiqué par des individus au mental exceptionnel, d’une grande spiritualité, le toumo devant être pratiqué à des fins altruistes, pour le bien de tous les êtres. Ces individus au mental hors-norme ont su souvent transcender de terribles épreuves personnelles.

C’est le cas d’un néerlandais, Wim Hof,devenu célèbre en nageant dans des eaux glacées et en accomplissant toutes sortes d’exploits, repoussant les limites du corps humain.

Wim Hof a une histoire particulièrement touchante : suite au suicide de sa femme, fou de chagrin, il s’est un jour jeté dans l’eau d’un canal. Au contact du froid, il a vécu une expérience mystique qui lui a redonné envie de vivre… et de pratiquer le toumo.

En 2004, il reste 68 minutes dans un tube rempli de glace. En 2008, il demeure 72 minutes dans un conteneur translucide similaire, battant ainsi son record de 4 minutes.

En 2007, Wim Hof entreprend l’ascension de l’Everest en short et parvient à atteindre 7400 mètres d’altitude. Une étude sur son cerveau montre que la température de sa peau est régulée volontairement, ce qui est inhabituel et explique la résistance aux gelures ; des chercheurs ont aussi pu observer que l’activité de son système lymphatique (qui joue un rôle majeur dans l’immunité), normalement régulé de façon autonome et non consciente, augmente lors de son exposition au froid. Par ailleurs les muscles intercostaux de Wim Hof consomment beaucoup plus de glucose qu’en situation normale, ce qui se traduit par une production calorifique. De cette façon, l’air passant dans ses poumons se réchauffe avant d’entrer dans le sang.

En France, Maurice Daubard a lui aussi pratiqué le toumo et participé à des expériences organisées par des scientifiques. Atteint d’une grave tuberculose dans sa jeunesse, les médecins l’avaient condamné, jusqu’au jour où un prêtre lui parla d’une pratique spirituelle venue d’Orient susceptible de fortifier son souffle…

Le cas le plus extrême fut celui du tibétain Lobsang Tenzing, qui fut arrêté par les Chinois lors du soulèvement de 1959, puis emprisonné et torturé. Dans son malheur, Lobsang Tenzin eut deux prises de conscience déterminantes. D’une part, il estima que sa souffrance dans les geôles chinoises résultait d’un lien karmique du fait des atrocités qu’il avait infligées à ses tortionnaires dans une vie antérieure… Lobsang Tenzin pensait qu’il purgeait du mauvais karma. D’autre part, il comprit que s’il réagissait par la haine et le désir de vengeance, il deviendrait fou. Ne pouvant contrôler les souffrances physiques que lui infligeaient les Chinois, il adopta une attitude positive envers ses bourreaux. Il sublima sa haine en pardonnant à ses geôliers, développant une compassion à leur égard. Le pardon qui l’aida à survivre en prison sans stress traumatique lui permit d’accélérer sa progression spirituelle : il apprit seul la pratique de toumo, en méditant dans une grotte et devint insensible au froid. Le dalaï-lama en personne le rencontra et lui conseilla de faire du toumo sa pratique principale…

De nos jours, plus personne ne conteste le fait qu’Alexandra David-Néel disait vrai à propos du toumo et qu’elle fut une vraie pionnière dans ce domaine en Occident. Autrice, bouddhiste et féministe, cette aventurière du XX siècle fut tout cela à la fois, et je vous invite à lire ses passionnants récits d’aventures, Voyages d’une Parisienne à Lhassa ainsi que Mystiques et magiciens du Tibet, deux livres fascinants qui racontent un Tibet qui n’existe plus que dans les légendes… et sur les magnifiques peintures des grottes de Mogao, au Taklamakan.

Published in: on mars 25, 2024 at 8:13  Comments (2)  
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2 commentairesLaisser un commentaire

  1. Coucou…. Il va falloir s’exercer maintenant à méditer avec 50 ° et plus 🥵….le corps en est-il capable ? Bises

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    • Hélas ! Espérons qu’on inverse vite ce cycle dans les décennies années à venir… Bises.


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