Vers un nouvel âge d’or de la Science-Fiction ?

Film magistral inspiré de l’œuvre culte du génie visionnaire Franck Herbert, Dune Partie 2 a été à la hauteur de mes attentes, particulièrement élevées. Il faut dire qu’en tant que fan absolu du réalisateur Denis Villeneuve, j’avais été impressionné par Dune Première Partie et la capacité du cinéaste canadien à se détacher de l’adaptation de David Lynch pour livrer sa propre version, un film à l’esthétique minimaliste, très éloignée du baroque industriel du premier long-métrage des années 80 (que j’adore pourtant).

Il faut dire que Villeneuve est un cinéaste à part, un auteur à la sensibilité européenne tel que peut l’être Christopher Nolan, preuve en est avec sa façon de concevoir un film : contrairement à beaucoup de réalisateurs, Villeneuve dresse d’abord un storyboard de son projet, scène par scène, avant d’écrire le scénario et les dialogues, afin que son récit soit le plus show don’t tell possible. Son but est de vouloir faire ressentir les émotions plutôt que d’expliquer son univers via des dialogues comme Lynch… quitte à renoncer au projet (vain) d’être parfaitement fidèle au livre de Herbert, une tâche impossible à accomplir. Villeneuve privilégie l’immersion, et c’est particulièrement le cas dans Dune Partie 2 : lorsque Paul chevauche pour la première fois un ver des sables, on a l’impression d’être aveuglés par les grains de sable. La bataille finale est toute aussi saisissante, avec ses impacts nucléaires, ses attaques de vers, ainsi que ses hordes de Fremens fanatisés… mais chez Villeneuve, jamais la forme ne prime sur le fond. Le réalisateur livre en effet une puissante réflexion métaphorique sur l’intégrisme, symbolisé par le personnage du charismatique Stilgar.

Un intégrisme largement exploité par les puissances politiques dans Dune, notamment l’organisation du Bene Gesserit qui, à des fins de propagande, distille depuis des siècles des légendes sur l’arrivée d’un messie chez les Fremens… jusqu’au moment où le djhad survient et devient hors de contrôle.

Même s’il a pris certaines libertés en délaissant certains personnages du roman, Villeneuve a parfaitement conservé la force visionnaire du livre de Franck Herbert, qui avait prévu les tensions au Moyen-Orient autour du pétrole (« l’Epice »), le 11 septembre et le djihadisme, parfois instrumentalisé par l’Occident comme ce fut le cas en Afghanistan lors de la Guerre Froide contre l’Union Soviétique ou bien en Irak… Une réflexion très adulte qui montre que la Science-Fiction n’est jamais aussi efficace que lorsqu’elle parle de notre présent.

Le triomphe de Dune Partie 2 au cinéma est pour moi révélateur d’une attente chez le grand public : alors que les années 2010 ont été marquées par le règne de Marvel et des super-héros, et par l’échec artistique de Disney avec sa pitoyable trilogie Star Wars, on assiste désormais au plébiscite d’une SF moins americano-centrée, plus mature… et pas seulement au cinéma.

En l’espace de quelques années, la littérature de SF est redevenue une source d’inspiration majeure pour le petit et le grand écran, avec le retour des récits subversifs : je pense en particulier à Fondation d’Isaac Asimov, l’autre grand cycle de la SF avec Dune, qui a donné lieu à une série profondément originale sur Apple TV. Une oeuvre philosophique qui se détache (beaucoup) des romans originaux, mais qui nourrit une véritable réflexion sur la décadence d’une civilisation impérialiste avec cette question fondamentale : qu’est-ce que le pouvoir ? Pour moi, ce renouveau de la SF a été initié en 1999 par l’écrivain américain d’origine chinoise Ted Chiang, auteur d’une nouvelle poignante, l’Histoire de ta vie, adaptée par Denis Villeneuve dans son chef d’oeuvre, Premier Contact.

Le fait qu’un grand écrivain tel que Ted Chiang soit d’origine chinoise n’est pas un hasard : alors que la SF était traditionnellement dominée par les auteurs anglo-saxons, on observe une orientalisation du genre avec l’arrivée d’auteurs étrangers qui amènent un vent de fraicheur, une sensibilité particulière. Je pense notamment à Ken Liu, l’auteur de la magnifique nouvelle Mono no aware, une histoire dans laquelle il est question d’espace et de spiritualité.

On retrouve cette sensibilité orientale dans le film The Creator, qui a marqué les esprits en proposant, pour un budget bien inférieur aux long-métrages Marvel, un spectaculaire récit non manichéen racontant une opposition idéologique entre Orient et Occident : dans un futur proche, l’armée américaine se livre en effet à une guerre contre des intelligences artificielles qui se sont développées en Asie. Ces dernières ont atteint un tel niveau d’évolution que certains robots ont développé une vraie spiritualité en devenant des moines bouddhistes… mais sont-ils humains pour autant ? Et d’ailleurs, qu’est-ce qu’on appelle « Humanité » ?

En proposant un anti-blockbuster qui repose sur des effets spéciaux particulièrement réussis, et de magnifiques décors naturels, le réalisateur britannique Gareth Edwards a essayé de livrer un film expérimental dans l’esprit de District 9 de Neill Blomkamp, très critique envers l’Amérique, à la fois humaniste et désenchanté.

« Désenchanté », parce que la Science-Fiction mondiale parle de la crise des valeurs morales occidentales et de nos angoisses civilisationnelles, on le constate avec l’écrivain chinois Liu Cixin, et son Problème à trois corps, un best-seller brillamment adapté en série Netflix, et qui a pour toile de fond la révolution culturelle de Mao. Que se passerait-il si les accélérateurs à particules du monde entier se mettaient à livrer des résultats incohérents et que des scientifiques de premier plan se suicidaient ? Comment réagirait l’Humanité si, un soir, les étoiles se mettaient à clignoter ? Oeuvre anxiogène réaliste, Le problème à trois corps traite de la rencontre avec une civilisation extra-terrestre bien supérieure à la nôtre et (peut-être ?) de notre incapacité à communiquer avec elle de façon pacifique… Notre espèce serait-elle foncièrement belliqueuse ? C’est la question que l’on peut se poser à la fin de la saison 1, riche en promesses… en espérant que Netflix n’annule pas la saison 2.

Assiste-t-on à un nouvel âge d’or de la Science-Fiction ou à un simple effet de mode sans lendemain ? Seul l’avenir nous le dira, mais grâce au succès international de Dune et le triomphe annoncé de la troisième partie, le Messie de Dune , il y a fort à parier que les autres livres du cycle de Franck Herbert, beaucoup plus complexes à adapter au cinéma (notamment les enfants de Dune et l’Empereur Dieu de Dune) seront proposés a minima au format série, sans parler de l’autre grand projet de Villeneuve : l’adaptation de Rendez-vous avec Rama, écrit par l’auteur de 2001 Odyssée de l’Espace, Arthur C. Clarke… Autant dire que les années 2020 s’annoncent passionnantes !

Published in: on avril 12, 2024 at 1:55  Comments (1)  

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  1. Le grand mérite de ce court article est, à mon sens, de lancer la discussion… Comme je n’ai pas encore eu le temps d’aller voir « Dune » 2 ni de regarder l’adaptation Netflix du « Problème à trois corps », je resterai prudente dans cette première réaction. J’ai malgré tout l’impression qu’il s’agit surtout, pour les GAFAM, Hollywood, les producteurs et leurs cinéastes « semi-domestiqués » de produire des œuvres standardisées, même si on peut en effet repérer, dans « Dune » 1 par exemple, quelques nuances, histoire de satisfaire aussi un public un peu plus exigeant (jouer sur les deux tableaux, pour un artiste malin, ça ne mange pas de pain).

    Denis Villeneuve est un cinéaste malin, et même talentueux. L’adaptation de « Dune » (1/2) et de ses suites probables (la machine à cash US est insatiable…) relève visiblement de la rubrique artiste malin, alors que « Contact », du même réalisateur, relève clairement d’un cinéma humaniste et bien plus subtil (mais l’immense Ted Chiang arrive 50 ans après Herbert…).

    Bref, je ne suis pas bien sûre que le cinéma et les séries de SF actuelles soient si novatrices que l’espère notre « escroc-griffe ». D’ailleurs comment pourraient-elles être puisqu’elles adaptent des œuvres exclusivement écrites par des hommes, souvent il y a un demi-siècle, dont les plus progressistes étaient des sexistes ordinaires, si ce n’est des agresseurs sexuels (Asimov) ou des homophobes haineux (Herbert) ? Certes, les cinéastes qui les adaptent gomment les pires aspects de ces écrivains et / ou de ces œuvres (c’est frappant dans la version Villeneuve qui a gommé l’essentiel de l’homophobie de Herbert alors que Lynch s’y était littéralement vautré !).

    Poursuivons notre réflexion collective, qui mériterait bien une table ronde en festival, du moins ceux où on peut osier de tout… 😇


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