Du livre au film : Ready Player One (attention, révélations)

 

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L’été dernier, mon ami Fred* m’a fait découvrir Ready Player One, un page turner d’Ernest Cline que j’ai lu en à peine quelques jours.

Dans un futur déprimant, les gens échappent à la grisaille du quotidien en se réfugiant dans un MMORPG : l’OASIS. Un univers persistant dédié à la pop culture des années 80 : jeux vidéos, musique, cinéma, romans… Absolument tout est accessible pour les joueurs qui se connectent à l’OASIS, un monde virtuel qui a même développé une économie réelle. Tout bascule le jour où son concepteur, le milliardaire James Halliday, décède. Son testament révèle que le riche excentrique a décidé d’organiser une chasse au trésor : le joueur qui arrivera à retrouver un easter egg héritera de sa fortune, ainsi que du contrôle du jeu. Une multinationale, Innovative Online Industries, est prête à tout pour remporter cette ultime compétition et ainsi monétiser l’OASIS.

ATTENTION, JE RÉVÈLE BEAUCOUP D’INFORMATIONS SUR LE LIVRE ET LE FILM, SI VOUS VOULEZ ÉVITER LES DIVULGÂCHIS, FUYEZ PAUVRES FOUS.

Ready Player One est l’un de ces livres impossibles à lâcher. Véritable délice pour les vieux de la vieille dont je fais partie, c’est une aventure qui réunit deux générations, et pour cause : les jeunes joueurs de 2044 sont obligés de connaître sur le bout des doigts la culture des années 80, quitte à terminer des jeux d’arcade comme Pac-Man avec une seule vie… ou apprendre par coeur les répliques du film Sacré Graal ! Ready Player One célèbre une époque révolue, celle des jeux vidéos VRAIMENT difficiles, quand les sauvegardes n’existaient pas. Fort heureusement le livre est bien plus qu’un trip nostalgique, puis que la technologie VR n’a jamais été autant d’actualité. L’auteur se base sur les casques virtuels d’aujourd’hui pour s’interroger sur notre futur : que se passerait-il si le Web était remplacé par une galaxie de mondes persistants ? L’économie imaginée par Ernest Cline est pour le moins angoissante, puisque les personnes endettées auprès d’Innovative Online Industries sont appréhendées par sa police privée et contraints de pratiquer le farming, c’est-à-dire de miner dans l’OASIS ! Autant dire que le contraste entre monde réel et virtuel est saisissant, surtout quand le héros, lors d’une déconnexion, prend conscience que son corps est amaigri. Le malaise de ces jeunes qui se réfugient dans l’utopie des années 80 est une mise en abyme de ce que les geeks quadragénaires traversent actuellement. Une génération paradoxale, très critique en ce qui concerne les dérives d’Internet, mais pourtant nostalgique des années Amstrad. Des adulescents un peu paumés qui ont grandi avec « la guerre » Atari-Amiga, les consoles de jeux 8 et 16 bits, Donjons et Dragons… Bref, la génération Stranger Things !

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Plus on avance dans le roman et plus la régression devient jouissive : dans cet univers sans limites il est tout à fait possible de piloter le Faucon Millenium ou même de visiter l’immeuble de la Tyrell Corporation, bien connu des fans de Blade Runner

A la fois dystopique et résolument optimiste, Ready Player One a soufflé un vent de fraicheur sur la SF, même si, vous l’aurez compris, ce roman parlera surtout aux fans de Matthew « Wargames » Broderick.

Lorsque j’ai appris que Steven Spielberg allait adapter un tel monument, j’étais impatient de voir le résultat final. Était-ce seulement envisageable de montrer sur le grand écran toute la richesse d’un tel univers ? D’obtenir des licences aussi couteuses que celle de Star Wars ? Comme toujours, il est très difficile de tirer d’un best-seller un long-métrage susceptible de plaire aux fans de l’œuvre originale. Aidé par l’auteur du bouquin, Spielberg a été contraint de simplifier l’intrigue, de supprimer de nombreux passages et d’inventer de nouvelles épreuves, quitte à perdre en nuance : il existe désormais une rébellion, qui s’oppose frontalement à Innovative Online Industries, ce qui donne au scénario une ambiance un peu plus manichéenne. Les personnages principaux, notamment Art3mis, gagnent en importance, mais au détriment de la noirceur puisqu’il y a moins de morts que dans le roman. Fait notable, dans le livre les héros sont rivaux et ne se connaissent que virtuellement, mais à force de jouer ensemble ils apprennent à se faire confiance et tissent des liens… alors que dans le long-métrage ils se rencontrent très vite dans la vraie vie, ce qui là encore modifie sensiblement l’histoire. De manière générale, j’ai trouvé l’atmosphère du film moins oppressante que celle du livre, plus « grand public », avec pas mal de bons sentiments à la fin, mention spéciale au traitement du méchant, Nolan Sorrento… mais heureusement, Steven Spielberg est aux commandes ! Un cinéaste au crépuscule de sa carrière qui n’a pourtant rien perdu de son génie comme le prouve l’incroyable hommage à Shinning, qui vaut son pesant d’or… Les clins d’oeil sont hilarants : Freddy, Jason, Chucky, Hello Kitty, les Gremlins… difficile de repérer toutes les stars de la pop culture, on a parfois envie de mettre le film en pause juste pour admirer les avatars présents dans le long-métrage !

Freddy

Si l’adaptation ne peut rivaliser en inventivité avec le roman, il n’en demeure pas moins que c’est un régal de retrouver toutes ces références des années 80, non sans une certaine nostalgie : le James Halliday vieillissant fait furieusement penser à Steven Spielberg, jusqu’à sa coupe de cheveux. À bien des égards, Ready Player One est le testament cinématographique d’un réalisateur de 71 ans resté adolescent.

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Un créateur de mythes en quête de sens, qui s’interroge sur la notion même de divertissement. Si la fabuleuse séquence de la course, remplie de monstres, est un vibrant hommage de Steven Spielberg au cinéma de genre qu’il affectionne tant, elle représente aussi une volonté de briser les frontières entre les médias : de King Kong au tyrannosaure de Jurassic Park, de Retour vers le Futur à Akira, c’est toute la culture populaire qui est célébrée, qu’elle appartienne au cinéma, aux jeux vidéos ou à l’animation. À défaut de livrer une adaptation fidèle, Steven Spielberg fait preuve de générosité pour nous offrir un film feel good qui donne envie de relire le chef d’œuvre d’Ernest Cline, c’est déjà beaucoup…

* Au fait Fred, il y a quelques mois tu n’avais pas parlé de créer ton blog ? Je dis ça je dis rien…

Published in: on mars 29, 2018 at 8:29  Comments (19)  
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Ghost in the shell

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Au cinéma, il y a des projets d’adaptation qui frisent l’hérésie. Lorsque les geeks ont appris que le mythique Ghost in the shell allait faire l’objet d’un long métrage en prise de vues réelle, qui plus est avec une occidentale dans le rôle titre, certains ont crié au sacrilège. Est-ce une trahison ? Même si l’auteur original, Mamoru Oshii, a défendu Scarlett Johansson, on pouvait légitimement trembler devant ce qui s’annonçait comme un remake.

Dans un futur proche, le major Mira Killian, une femme cybernétique rescapée d’un attentat, lutte contre les plus dangereux criminels. Alors qu’elle s’apprête à affronter un ennemi capable de pirater les esprits, elle découvre qu’on lui a menti : sa vie n’a pas été sauvée, on la lui a volée.

D’emblée, le film est servi par une bande-originale magnifique… qui n’est pourtant pas composée par Kenji Kawai. A la place, on retrouve l’excellent Clint Mansell, connu pour son travail sur Requiem for a dream, The Fountain et Black Swan. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le musicien est à la hauteur de son prédécesseur. En s’appropriant certains thèmes, il parvient à distiller une ambiance aussi mystérieuse que cyberpunk. Un cyberpunk qui a forcément évolué depuis le premier Ghost in the shell, sorti en 1995. Avec finesse, le réalisateur dépeint un futur dans lequel les réalité virtuelles et augmentées sont omniprésentes. Une vision fascinante, mais qui donne froid dans le dos avec toutes ces publicités flottantes dans les rues d’un Tokyo revisité à la sauce Hong-Kong. Au milieu de toute cette vacuité numérique, on suit les errances d’une humanité paumée dans un univers technologique qui n’est pas sans rappeler celui du film Avalon. Pourquoi un aveugle devrait se faire greffer de simples yeux alors qu’il existe des dispositifs optiques largement « meilleurs » ?

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Sans surprise, dans un monde où les limites du corps humain sont allègrement repoussées, les questions transhumanistes constituent le coeur du récit. Quel intérêt à rester sobre quand on a un foie mécanique qui peut encaisser des quantités effarantes d’alcool ? Ne sommes-nous pas définis par nos actions plutôt que par nos souvenirs ? Ce qu’on appelle la mémoire a-t-elle seulement une réalité tangible ? La cybernétique, plus proche de nous qu’elle n’y parait, amènera fatalement des problématiques pour le moins troublantes.

Alors, certes, Scarlett Johnson n’est pas asiatique, mais pour ma part j’ai aimé que le scénario joue intelligemment avec cette ambiguïté : à l’origine le major était la japonaise Motoko Kusanagi, avant que son cerveau ne se retrouve emprisonné dans une enveloppe cybernétique, celle du major Mira Killian. Dans une société aussi multiculturelle que ce Tokyo du futur, cette quête d’identité n’en est que plus perturbante, preuve en est lorsque le major rencontre sa mère biologique pour la première fois… Loin d’être troublé par le casting, j’ai adoré cette atmosphère cosmopolite, le fait que n’importe qui puisse comprendre le japonais, technologie oblige, le rêve !

Le seul reproche que je ferais à ce long-métrage, c’est de ne pas avoir été assez loin dans les réflexions philosophiques, mais je suis convaincu que les scénaristes voulaient garder certaines pistes pour des suites, je pense notamment au personnage en partie inspiré par le Marionnettiste. De ce fait, si Ghost in the shell ne demeure « qu’un » film d’action intelligent, ponctuellement illuminé par le charisme de Takeshi Kitano, c’est déjà un petit miracle en soi que d’avoir réussi à livrer une adaptation qui rende un si bel hommage au matériau original. Une oeuvre complémentaire, désenchantée, et qui a su capter l’air du temps.

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Published in: on avril 5, 2017 at 1:14  Comments (4)  
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Seul sur Mars – le film

Ca y est, je l’ai enfin vu ! Ceux qui me connaissent un peu le savent, je voue un véritable culte au roman d’Andy Weir. Aux Imaginales, Stéphane Marsan m’avait dit que le livre était tellement génial que Ridley Scott ne pouvait pas se planter. La question ne cessait de me hanter ces derniers mois : était-ce le Ridley Scott inspiré de Blade Runner, Alien et Gladiator qu’on allait retrouver aux commandes de cette adaptation, ou bien le cinéaste décevant de Prometheus et Cartel ? Qui pour interpréter le rôle de Mark Watney ?

C’est avec un mélange de crainte et d’impatience que j’ai découvert les premières images de Seul sur Mars. Dès les premières minutes, mon appréhension s’est envolée : la photographie est tout simplement splendide, grâce au magnifique travail de Dariusz Wolski (The Crow, Dark City). Bien sûr, on ne peut occulter quelques petites erreurs : oui, une tempête martienne devrait être dix fois plus puissante que sur Terre pour amener la même énergie, oui la pesanteur devrait être un tiers de celle de la Terre… mais on aurait tort de bouder son plaisir, tant Matt Damon est parfait : il n’est pas seulement un bon choix de casting, il porte littéralement le long-métrage sur ses épaules. Pour ceux qui avaient lu ma critique du bouquin, j’avais écrit à l’époque :

Seul bémol, j’ai regretté que le protagoniste principal ne confie pas plus ses sentiments dans son journal de bord, notamment dans les moments de découragement. À mon sens, un peu de mélo n’aurait pas fait de mal, même si un astronaute est par définition un surhomme peu enclin à se plaindre.

Eh bien Matt Damon EST ce supplément d’âme ! Sans tomber dans le larmoyant, il amène énormément de sensibilité à cette fabuleuse odyssée, tout en conservant l’humour de son personnage. Ridley Scott se permet même de rajouter un épilogue absent du livre qui est bienvenu (je trouve la fin du roman un peu abrupte). Bien sûr, qui dit adaptation dit coupures nécessaires : la sous-intrigue avec la tempête de sable est absente, et parfois l’histoire est un peu simplifiée. Mais ce que l’on perd en subtilité, on le gagne indéniablement en émotion avec notamment l’exploration des magnifiques paysages jordaniens, pardon, martiens, et la musique de Harry Gregson-Williams. Les passages contemplatifs sont mes préférés : comme l’explique Mark Watney, il est le premier être humain à gravir la moindre colline… Ce qui m’a également plu, c’est le fait que la base et le véhicule deviennent des lieux de vie dont il est difficile de se détacher, affectivement parlant.

Si la lecture du best-seller est incontournable, pour ne pas dire indispensable, on ne peut que se réjouir de la réussite de cette adaptation, qui amène beaucoup de fraicheur à la Science-Fiction. Après tant de dystopies sinistres, cela fait un bien fou de découvrir un film aussi positif, entre Mac GyverSeul au Monde et Apollo 13.

En espérant que ce succès relance la carrière de Ridley Scott pour de bon…

Published in: on octobre 24, 2015 at 8:53  Comments (17)  
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Le Petit Prince, de Mark Osborne

Une petite fille et sa mère névrosée s’installent dans un nouveau quartier. La fillette révise quotidiennement ses leçons dans le but d’intégrer un établissement prestigieux. Chaque heure de sa journée est planifiée, et son avenir semble tout tracé, jusqu’au jour où elle rencontre un étrange voisin…

Livre le plus vendu après la Bible, Le Petit Prince est également l’une des oeuvres littéraires qui a connu le plus d’adaptations. Autant dire que lorsque je l’ai vue pour la première fois, la bande-annonce du dernier film de Mark « Kung Fu Panda » Osborne m’a déstabilisé : « pourquoi changer une histoire magnifique » ? me suis-je dit à l’époque. Une fois dans la salle, j’avoue n’avoir été guère rassuré par le premier quart d’heure, jusqu’au moment où la fillette rencontre le personnage de l’aviateur. Et là, coup de théâtre : on découvre que le Petit Prince n’est pas une énième adaptation du mythique conte d’Antoine de Saint-Exupéry, mais bien une suite !

À la manière de Steven Spielberg avec Hook, Mark Osborne nous offre une relecture post-moderne de cette belle histoire sur le thème du temps qui passe : que sont devenus l’aviateur et le Petit Prince ? Le défi était hautement casse-gueule, et pourtant Mark Osborne s’en sort admirablement…. à condition d’accepter l’idée que ce film est une suite. Fort heureusement, le récit, inspiré, est servi par des images sublimes, je pense notamment aux séquences en papier mâché et stop motion qui reprennent exactement les dessins à l’aquarelle de Saint-Exupéry.
Qu’aurait pensé l’auteur du Petit Prince de notre XXIe siècle ? C’est la question que Mark Osborne semble se poser. Mondialisation, matérialisme, pollution… Ce qui était déjà dénoncé par Saint-Ex trouve un triste écho dans cette oeuvre aussi poétique que désenchantée, une fable à plusieurs niveaux de lecture surtout destinée aux adultes. Pas étonnant que son écriture ait pris neuf ans…

Cette adaptation n’est pas le film que j’attendais, et c’est tant mieux. En refusant de réaliser un simple remake, Mark Osborne a fait preuve d’un courage inouï. Loin d’être un yes man à la solde des studios, l’auteur de Kung Fu Panda gagne ici ses lettres de noblesse et prouve qu’il est un auteur tout court qui a su insuffler une âme à ce long-métrage français.

Cocorico !

PS : je ne mets pas de bande-annonce car une fois encore, elle en montre trop…

Published in: on août 12, 2015 at 9:56  Comments (7)  
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Jack et la mécanique du cœur

Recueilli par une sorcière, Jack est né durant le jour le plus froid du monde. Son cœur gelé a été remplacé par une horloge. S’il veut vivre, Jack doit respecter trois règles : ne jamais toucher ses aiguilles, ne jamais se mettre en colère, et surtout ne jamais tomber amoureux.

J’ai une tendresse particulière pour l’œuvre poétique de Mathias Malzieu depuis l’Homme-Volcan, un magnifique ebook enrichi par la musique de Dionysos, le groupe de Malzieu. C’est non sans une certaine impatience que je guettais Jack et la mécanique du cœur, le film-animation directement inspiré du livre, ainsi que de l’album de l’artiste. Dès les premiers instants, j’ai pris une véritable claque avec cet univers d’une incroyable richesse visuelle. Une fusion improbable entre Tim Burton et Michel Gondry, avec un zeste de Little Big Planet et de steampunk, et ce train-accordéon qui restera dans les mémoires. Un monde drôle et triste, à des années-lumières des productions Disney. Les acteurs sont à la hauteur : si Grand Corps Malade m’a fait sourire dans le rôle du méchant de service, j’ai eu un vrai coup de cœur pour la performance de Jean Rochefort, qui incarne à merveille un George Méliès véritable magicien des temps modernes : dans une séquence digne d’Hugo Cabret, Méliès présente son Roméo et Juliette(s), film dans le film d’une grande poésie. Alors certes, l’histoire est simple, mais elle est imprégnée d’une telle mélancolique qu’on est vite happé par l’ambiance particulière de ce long-métrage. Les chansons sont des trésors d’inventivité avec des paroles décalées (et pourtant, j’avais un à priori concernant Olivia Ruiz !) : on retrouve dans la bande-originale Emily Loizeau, Arthur H et surtout le regretté Alain Bashung dans le rôle de Jack l’Éventreur. Le final, aussi sombre que désenchanté, laisse un goût amer. Mais pouvait-il en être autrement avec une œuvre de Mathias Malzieu ?

Published in: on février 19, 2014 at 10:43  Comments (8)  
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La Stratégie Ender (roman) vs la Stratégie Ender (film)

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Cette semaine, j’avais prévu de lire le monument d’Orson Scott Card juste avant de visionner le long métrage. Résultat : j’ai terminé le roman en deux jours, quelques heures avant d’aller au cinéma !

Un livre que j’ai découvert sur le tard

Pendant des années, j’ai culpabilisé d’être passé à côté de cette référence de la Science-Fiction. Pour prendre un exemple en rapport avec la Fantasy, c’est un peu comme si je n’avais pas lu le Seigneur des Anneaux ! Ignorant volontairement la polémique autour de l’homophobie revendiquée d’Orson Scott Card, j’ai donc commencé avec enthousiasme cette lecture. Et là, j’ai vécu un drame : pendant plus de la moitié du livre, l’auteur raconte un entraînement militaire qui m’a emmerdé laissé de marbre. Si j’ai apprécié la psychologie tordue des personnages (pour info, Ender et ses amis sont des gosses psychotiques de 5 ans qui pensent comme des adultes), j’ai beaucoup moins aimé les simulations de bataille, trop techniques à mon goût. Détail qui n’arrange rien, Ender est un personnage très froid, comme les autres protagonistes, ce qui donne le sentiment qu’on a limite affaire à des robots : pas évident de s’attacher à eux dans ces conditions. Je me suis quand même accroché, jusqu’au moment où quelques stéréotypes ethniques m’ont franchement irrité : les Juifs sont aux postes clefs, les Français ne sont que des « séparatistes arrogants », sans parler du traditionnel « honneur espagnol » et d’une blague raciste aussi drôle qu’un membre du Ku Klux Klan.

Bref, j’ai découvert par moi-même qu’Orson Scott Card était un beauf, rien de nouveau sous le soleil.

Encouragé par mes amis Cocyclics alors que je râlais comme un putois sur Facebook et Twitter, j’ai poursuivi ma lecture. Et je dois dire que je ne l’ai pas regretté : on gagne en tension, en émotion (Ender va-t-il survivre à cet entraînement hors-normes ?) jusqu’à cette révélation finale qui m’a époustouflé… Au-delà de ce twist, j’ai été forcé d’admettre que Card a fait preuve d’un génie visionnaire : en 1985, il a imaginé que ses personnages utilisaient des tablettes tactiles (les fameux « bureaux ») connectées au Net ! Sans parler de la place des réseaux sociaux, largement exploités par le frère et la sœur d’Ender. Si on oublie les références au Pacte de Varsovie et à la Guerre Froide, on a l’impression que le roman a été écrit hier : l’auteur avait déjà eu l’intuition que les jeux vidéos prendraient une place prépondérante dans le futur. Dans la seconde partie, Ender joue quotidiennement à un jeu de stratégie en temps réel pour se préparer à combattre une armée alien, mais les enjeux sont tels, que ses parties n’ont plus rien de ludique ! Le titre anglais, « Ender’s Game » entretient l’ambiguïté à travers son jeu de mot : « Game » signifie bien sûr « le jeu », mais aussi « la stratégie ». « Ender’s game », c’est moins « la Stratégie Ender » que « le dernier jeu », celui qui apportera la victoire totale à l’Humanité, une Humanité face à ses contradictions : peut-on commettre des actes de barbarie pour sauver une civilisation ?

C’est donc avec le cerveau en ébullition que je suis allé voir quelques heures plus tard le long-métrage, en me demandant comment le réalisateur allait bien pouvoir adapter un roman si complexe…

Mission impossible ?

Un film respectueux. Ce sont les premiers mots qui me sont venus à l’esprit quand j’ai découvert cette œuvre. Respectueux ne veut pas dire fidèle : exit la sous-intrigue intrigue Locke et Démosthène, l’histoire de Mazer Rackham est simplifiée… Le cinéaste s’est concentré sur le point de vue d’Ender car il était impossible de restituer la richesse du roman en si peu de temps. C’était le bon choix, mais on se retrouve devant un long-métrage plus lumineux : j’ai trouvé les gosses moins psychotiques que dans le livre, particulièrement sombre à ce niveau. Peut-être parce que le cinéaste a voulu davantage humaniser les personnages du roman ? Si on fait abstraction de ces remarques, le film est fidèle à la trame originale, servi par de magnifiques effets spéciaux. Mon unique regret concerne la motivation des Doryphores, un ennemi qui n’a jamais communiqué avec l’Homme : j’ai trouvé le long-métrage peu clair à ce sujet.

Et le gagnant est…

Orson Scott Card m’a irrité, passionné, intrigué. Je n’arrête pas de penser à ses personnages. Son œuvre, souvent aride, est loin d’être politiquement correcte, mais elle a le défaut de ses qualités et j’ai décidé de la prendre dans sa globalité (même si je me situe aux antipodes des idées de son auteur). Card a beau être un misanthrope au même titre que Howard Philip Lovecraft ou Louis Ferdinand Céline, cela n’enlève rien au fait que ce sont de grands auteurs, tout comme Richard Wagner fut un immense compositeur. Il serait toutefois injuste de réduire Card à sa dimension réactionnaire tant la Stratégie Ender est une œuvre au message intéressant : menace extra-terrestre ou pas, l’Homme est un loup pour l’Homme, une espèce dangereuse qui possède les germes de sa propre destruction.

Le film est plus lisse, les producteurs ont pris soin d’éviter qu’il sombre dans la controverse, mais paradoxalement c’est peut-être cette subversion malsaine qui manque le plus. Il n’en demeure pas moins que le long-métrage reste une passerelle agréable pour découvrir ce bouquin hors normes qui n’a pas pris une ride.

D’autres avis : RSF blog, Anudar, Vert

Published in: on novembre 7, 2013 at 10:25  Comments (27)  
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Thor : Le Monde des ténèbres

 

Le Thor tue.

Le Thor tue.

Deux ans après avoir laissé Jane Foster (Nathalie Portman) sur Terre, Thor (Chris Hemsworth) combat dans les Neuf Mondes afin de protéger son peuple d’une ancienne race qui menace de répandre les Ténèbres.

Je vous le dis d’entrée : je ne suis pas un fan de Marvel. Je suis même très critique en la matière, car j’ai l’impression que les longs-métrages se suivent et se ressemblent. Je dois faire partie des dix personnes sur Terre qui n’ont pas particulièrement aimé le film d’auteur primé à Cannes The Avengers (vous pouvez lire un résumé hilarant d’un Odieux Connard ici) et au niveau de la trilogie Iron Man, je n’ai apprécié que le premier. Comme j’avais trouvé Thor très inégal (les passages fantasy sont superbes, ceux sur Terre sont, à mon sens, ridicules), c’est donc avec un plaisir masochiste que je suis allé au cinéma voir Thor : Le Monde des ténèbres, sans attente particulière. Comme j’ai bien fait !

Visiblement les « défauts » du premier opus ont été pris en compte : exit les longues scènes sur Terre, prétextes à un humour potache qui ne vole pas haut. Dans ce film, le réalisateur magnifie Asgard, un royaume divin qui fait passer le Fondcombe de Peter Jackson pour une cité HLM. Avec l’arrivée des Elfes Noirs, splendides, on assiste à de la vraie Science-Fantasy lors d’une bataille de toute beauté qui mélange allègrement magie et technologie façon Maîtres de l’Univers (oui je suis trentenaire, et alors ?). Les personnages ne sont pas en reste : moi qui ne supportais pas cette tête à claques de Loki, j’avoue avoir été bluffé par le jeu d’acteur de Tom Hiddleston, tout en finesse. L’émotion est beaucoup plus présente que dans le précédent volet, avec un Thor confronté à ses contradictions : être un héros des Neuf Mondes ou bien aimer une simple mortelle et chanter « si j’avais un marteau ». Le moins que l’on puisse dire, c’est que notre guerrier ne sera guère ménagé par les événements dramatiques qui affectent Asgard… L’humour est aussi  au rendez-vous avec une scène dans le métro hilarante, et un invité Marvel prestigieux dont je tairai le nom…

Le long-métrage n’est pas exempt de défauts (comme dans The Avengers, il y a toujours ces coïncidences horripilantes capillotractées, dans l’univers Marvel, le hasard fait bien les choses, c’est formidable) mais au final j’ai passé un excellent moment en compagnie du plus (heavy) métalleux de tous les super-héros…
Que demande le peuple ?

Published in: on octobre 31, 2013 at 1:49  Comments (12)  
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Gravity

Gravity

Le docteur Ryan Stone (Sandra Bullock), experte en ingénierie médicale, accompagne l’astronaute vétéran Matt Kowalsky (George Clooney) pour une banale sortie dans l’espace. Mais rien ne va se passer comme prévu…

J’ai toujours suivi avec attention la carrière d’Alfonso Cuaron, un cinéaste atypique qui a livré le meilleur Harry Potter de la saga (je parle du prisonnier d’Azkaban) mais surtout les Fils de l’homme. Avec ce réalisateur, le merveilleux n’est qu’un prétexte pour raconter une histoire avec des personnages forts. Inutile de dire que j’attendais avec impatience la sortie de Gravity, impatience qui est montée d’un cran suite aux propos de James Cameron :

J’ai été abasourdi, absolument terrassé par le film. Je pense que c’est la meilleure photo de l’espace jamais vue, le meilleur film sur l’espace jamais réalisé. J’avais très envie de voir Gravity depuis un bon moment. Ce qui est intéressant dans le film, c’est la dimension humaine.

Après avoir découvert le film, on ne peut que donner raison à l’auteur d’Avatar : c’est bien simple, on n’a jamais vu de telles images. Dès les premières secondes, on découvre bouche bée une vision de l’espace et de la Terre ultra-réaliste, si poussée qu’on songe justement au dernier long-métrage de James Cameron. Mais la comparaison s’arrête là tant on rentre dans un univers radicalement différent : Curaon se veut le plus crédible possible, avec une obsession du détail qui frise le documentaire façon Apollo 13, au point où Buzz Aldrin lui-même s’est dit « très impressionné ». La NASA a participé au tournage et ça se sent : dans l’espace, le moindre boulon lancé à plusieurs dizaines de milliers de kilomètres par heure devient un danger mortel, sans parler du risque de se perdre dans le vide. Rapidement l’angoisse s’installe, une angoisse qui durera jusqu’à la fin du film avec un climax hallucinant digne, dans l’intensité, d’Alien.

Seul petit bémol, l’histoire, aussi basique qu’un survival. Mais le long-métrage est servi par de tels acteurs (Sandra Bullock m’a épaté dans ce qui est tout simplement le meilleur rôle de sa carrière. Qui a dit « c’est facile » ? Pff… vous êtes mesquins) qu’on pardonne largement ce classicisme pour savourer ce jalon de la S.F. : jamais les sublimes effets spéciaux n’étouffent les personnages en totale adéquation avec leur environnement. Ainsi Matt Kowalsky est calme, presque détaché, comme peut l’être un astronaute dans une mission si hors-normes. La scientifique, à priori fragile, est tout l’inverse, ce qui amène un conflit passionnant que n’aurait pas renié Kubrick dans 2001 : raison contre émotion.

Au final, Alfonso Cuaron a placé la barre très haut en matière d’esthétique, Avatar a enfin trouvé son égal au niveau de la 3D. Et nous un ticket pour l’espace…

Published in: on octobre 23, 2013 at 3:02  Comments (11)  
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