Oyez, oyez ! Le chevalier Terry Gilliam est enfin venu à bout de son projet maudit ! L’Homme qui tua Don Quichotte aura été un véritable serpent de mer, la genèse de ce film ressemblant à une interminable série télévisée de 25 saisons. Considéré comme le cinéaste le plus malchanceux du Septième Art, Terry Gilliam avait pourtant bien failli parvenir à ses fins au début des années 2000, avec Jean Rochefort dans le rôle-titre, et Johny Deep en Sancho Panza. Las ! Le sort en décida autrement, ce qui donna lieu à un documentaire célèbre, Lost in la mancha, qui retrace le destin tragi-comique de ce tournage sans précédent : inondation, bruits d’avion pendant les dialogues, double hernie discale de Jean Rochefort… l’univers entier aura conspiré pour empêcher le réalisateur britannique de tourner ce projet qui lui tenait tant à coeur.
Au fil des ans, Terry Gilliam a tenté à plusieurs reprises de conjurer le mauvais sort, non sans une chkoumoune impressionnante. Don Quichotte et Sancho Panza ont failli être interprétés par Robert Duvall et Ewan McGregor (projet 2008-2010), Robert Duvall et Owen Wilson (2011-2012), John Hurt et Jack O’Connell (2014-2016), Michael Palin et Adam Diver (2016)… Après de multiples rebondissements (et la mort du regretté John Hurt) c’est finalement au duo Jonathan Pryce/Adam Diver à qui il revient la lourde tâche d’incarner les personnages principaux, et ainsi mettre fin à plusieurs décennies d’infortune.
Nonobstant les froides critiques des journalistes, j’ai décidé d’aller au cinéma sans attente particulière, la projection de ce film maudit relevant déjà du miracle. Cela n’a pas échappé au facétieux Terry Gilliam : peu après une mise en garde judiciaire (!)*, le générique plein d’humour prévient que tout commence « après 25 ans de dure besogne et de foire d’empoigne ».
On comprend alors que cette œuvre sera moins une adaptation littérale du livre de Cervantès, qu’un film-somme, une mise en abyme de la carrière de l’auteur de Brazil. Le long-métrage démarre avec Toby (Adam Diver), réalisateur blasé, occupé à tourner une publicité évoquant… Don Quichotte ! En décidant de faire d’Adam Diver son alter ego, un cinéaste en crise, Gilliam a une idée de génie : utiliser ce Sancho Panza des temps modernes pour se livrer à une critique féroce du cinéma hollywoodien : opportunisme, cruauté, cynisme, argent-roi… Autant de moulins à vent à combattre, dans une bataille perdue d’avance puisqu’au final tout est appelé à péricliter : les rêves de la belle Angelica, les ambitions artistiques d’un jeune réalisateur, ainsi que l’idéalisme chevaleresque de Don Quichotte. Un idéalisme indissociable de la folie, l’élément central du récit. Cette folie est le moteur qui permet à l’artiste d’affronter des géants, même si les moulins de la réalité ont presque toujours le dernier mot. Le rêve qui nait de la grisaille du quotidien, une allégorie poétique à la lisière du fantastique dans la lignée des Aventures du baron de Münchhausen.
Ce pessimisme mélancolique, récurent dans la filmographie de Terry Gilliam (Brazil, Fisher King, l’Armée des douze singes) questionne sans cesse notre rapport à la réalité, ainsi que nos préjugés : les marginaux que croisent les héros sont-ils des terroristes ou de simples migrants ? Loin d’être confus, le scénario de l’Homme qui tua Don Quichotte est bien au contraire un vin qui s’est bonifié au fil du temps, au gré de multiples réécritures. On sent que Terry Gilliam a remué ciel et terre pour porter à l’écran le fameux roman de Cervantès, sans pour autant oublier l’humour au dixième degré des Monty Pythons, omniprésent. Ainsi, lors d’une séquence savoureuse, les producteurs se demandent s’ils vont pouvoir faire jouer l’assurance pour sauver le tournage, une scène qui n’est pas sans rappeler celle du documentaire Lost in la mancha ! En louvoyant entre réalité et fiction, Terry Gilliam ne fait que s’inspirer du réalisme magique du roman de Cervantès, un style qui a influencé Emir Kusturica (Underground) et même certaines œuvres de Fellini. La fin, émouvante, donne l’impression que tout le cinéma de Terry Gilliam est résumé en un seul film qui, hélas, risque fort de connaître un bide retentissant tant il est à des années-lumières des blockbusters d’aujourd’hui**

Le type tout seul au fond qui verse une larme à la fin, c’est moi.
Oeuvre incomprise par une bonne partie des critiques, l’Homme qui tua Don Quichotte est le film-testament d’un grand cinéaste, un artiste héroïque qui a sublimé des années de galère pour nous livrer un magnifique conte philosophique, baroque et tragique, jusqu’à mettre sa propre santé en péril*. Une bien poétique façon de nous signifier que si les hommes meurent, les mythes, eux, demeurent éternels.
* Aussi rocambolesque que cela puisse paraître, il faut savoir que l’un des producteurs a tout fait pour empêcher la sortie du long-métrage, autorisé in extremis à être exploité en salle. C’est la raison pour laquelle, au tout début du film, un message informe que « la projection de « The man who killed Don Quixote » lors de cette séance ne préjuge en rien des droits revendiqués par Alfama et Paulo Branco sur ce film à l’encontre de Terry Gilliam et des producteurs mentionnés au générique, qui font l’objet de procédures judiciaires en cours ». Comme si cela ne suffisait pas, Terry Gilliam a été victime d’un AVC dix jours avant de venir au festival de Cannes, tandis qu’Amazon annonçait qu’il se retirait du projet… Gilliam a finalement réussi à se rendre à l’avant-première cannoise.
** C’est pour cette raison que je vous conseille, si vous souhaitez le voir, de ne pas perdre de temps. Il est fort probable qu’il ne reste qu’une seule semaine à l’affiche, les salles sont loin d’être remplies, comme vous pouvez le constater sur ma triste photo…
Bonjour, malheureusement, à force de vouloir mettre en abyme les difficultés de production, Gilliam a raté son film qui perd de son intérêt au fur et à mesure de sa progression. Il aurait été préférable de prendre comme héros Don Quichotte plutôt que ce réalisateur antipathique. On retrouve certes tous les thèmes de Gilliam, mais on est loin de la beauté des Aventures du Baron de Münchhausen qui était déjà d’ailleurs indirectement inspiré de Don Quichotte et de sa réflexion sur ce qui est réel et sur ce qui appartient à la légende.
Bonjour,
Je suis toujours autant surpris par les mauvaises critiques tant pour moi il s’agit d’un chef d’oeuvre, au même titre que Fisher King ou Münchhausen . Don Quichotte n’est qu’un prétexte pour parler de cinéma, et plus généralement de création. Le film est une sorte de négatif photo des aventures du Baron de Mühnchhausen : ce film consacrait la puissance de l’imagination face à la Mort, alors que dans Don Quichotte c’est l’inverse, même si le mythe demeure… Le réalisateur antipathique dans cette histoire a une importance fondamentale, un peu comme dans Fisher King : on croit que le personnage de Robin William est le plus important, alors qu’en réalité c’est celui joué par Jeff Bridge. Nous sommes tous des Don Quichotte en puissance, c’est ce qui fait la beauté, mais aussi la tragédie, de ce monde 🙂 Je crois que c’est vraiment un film incompris qui aura été jusqu’au bout maudit.
Oui, je ne conteste pas les thèmes du film que j’ai compris. Mais au cinéma, les prétextes et les thèmes ne suffisent pas, encore faut-il que le film qui les porte possède une armature solide, une narration fluide, des personnages forts. Je ne les ai pas trouvés ici et j’en suis le premier désolé.
Et moi donc ! Mais c’est ainsi 🙂