Une femme vit dans une maison avec son mari, un poète en manque d’inspiration. Le couple voit sa relation remise en question par l’arrivée d’invités imprévus, perturbant leur tranquillité.
Depuis 1997, Darren Aronofsky fait partie d’un cercle très fermé à Hollywood, celui des cinéastes qui écrivent la plupart de leurs scénarios, quitte à proposer des projets expérimentaux visionnaires. Après avoir signé un haletant thriller mathématique (Pi), un drame psychédélique (Requiem for a dream) puis un autre, mystique (The Fountain), Aronofsky s’est imposé comme l’un des réalisateurs les plus doués de sa génération. À la fin des années 2000 son talent a fini par être reconnu par le grand public, grâce à un dytique étonnant, un trait d’union entre le catch (The Wrestler, poignant) et la danse (Black Swan, sulfureux). Après un Noé bancal (je n’ai aimé que la première demi-heure), j’attendais avec hâte que Aronofsky renoue avec un cinéma plus intimiste. C’est le cas de Mother !, un film très risqué.
ATTENTION, JE RÉVÈLE TOUT
Grâce à une galerie d’acteurs sublimes, Aronofsky s’empare d’une intrigue simple (un artiste et sa femme reçoivent des inconnus) pour doucement basculer progressivement dans le surréalisme : pourquoi le personnage du poète se sent-il obligé d’accepter ces visiteurs indélicats ? Qu’est-ce que cette maison cache ? Pourquoi un cœur semble battre dans les fondations ? Avec un humour noir savoureux, le réalisateur s’amuse à brouiller les pistes, pour mieux déstabiliser le spectateur. De prime abord, ces deux personnages irréconciliables semblent être les deux forces qui animent l’Humanité, le yin et le yang, dans un cycle sans fin. La Femme souhaite donner la vie et aimer, quand l’Homme veut être dans l’action et dominer, pour le meilleur (la naissance d’un enfant) et le pire (l’Apocalypse). Seul le pardon permet la libération de la souffrance, à condition de lâcher prise sur le plan matériel (la maison).
Après quelques heures de réflexion, j’ai réalisé qu’en réalité, ce film est surtout une métaphore biblique d’une Mère-Nature vierge, jusqu’à ce que Dieu, artiste démiurge en proie à l’ennui, décide de créer l’Humanité afin d’être vénéré et ainsi retrouver l’inspiration. Le premier invité porte une blessure au niveau d’une côte… tout comme Adam. Dieu permet à sa femme de le rejoindre, une Eve vénéneuse et sensuelle, obsédée par l’atelier de l’artiste, et la connaissance contenue dans son diamant. En brisant ce diamant caché, le couple provoque la fureur de Dieu, qui condamne l’accès à ce jardin d’Eden. Les deux enfants du couple pénètrent alors dans la maison, avant que l’ainé ne tue son frère cadet, reproduisant le meurtre d’Abel par Caïn. La tâche de sang qui imprègne le plancher est le péché originel, qui disparaît au moment où Mère Nature se retrouve enceinte de Dieu : l’artiste a renoué avec l’inspiration et écrit son chef d’oeuvre, un texte émouvant destiné à être partagé avec le plus grand nombre, qui a valeur de testament. Malheureusement, ce bonheur n’a qu’un temps à mesure que l’Humanité entière envahit le logis de Mère Nature et idolâtre Dieu, sans même comprendre le message contenu dans son œuvre. Guerres de religion, pillages… La maison se transforme en un champ de bataille, un purgatoire dans lequel Mère Nature va connaître toutes les souffrances possibles et imaginables à mesure qu’elle s’éloigne de son mari, toujours prêt à pardonner à l’Humanité.
Dieu n’hésitera pas à lui donner son fils conçu avec Mère Nature, mais le bébé innocent est sacrifié. Folle de douleur, Mère Nature incendie la maison dans une explosion apocalyptique, tuant au passage l’Humanité toute entière. Indemne, Dieu prend dans ses bras Mère Nature, mourante. Elle avoue n’avoir jamais cessé de l’aimer, malgré son égoïsme. Dieu lui arrache le coeur, et fabrique un nouveau diamant à partir des cendres de la maison, qui se répare. Dans le lit conjugal, une nouvelle Mère Nature apparaît…
Drame mystique, cosmique et même écologique, Mother ! risque de déconcerter plus d’un spectateur par sa radicalité, sa fin violente ainsi que sa dimension spirituelle. Ce film sera adoré ou détesté, parce qu’il s’agit d’un chef d’oeuvre sans concessions. Après un tiède été 2017 constellé de blockbusters décevants, la sincérité, le courage et l’audace d’Aronofsky n’en sont que plus respectables, pour ne pas dire admirables. Ce réalisateur est immense…
Ton analyse est super intéressante (et probablement très proche de la vision du réalisateur, je crois avoir lu ça ailleurs). J’ai pas complètement accroché au film pour ma part (trop malsain pour moi en ce moment), mais l’atmosphère est très réussie et c’est chouette de voir un film qui fait autant réfléchir une fois qu’on l’a vu.
Merci ! Je t’avoue qu’en tant que papa, j’ai eu beaucoup de mal avec la dernière partie, effectivement extrêmement malsaine… mais là encore je pense que c’est une métaphore de l’Humanité qui dévore ses propres enfants dans une parodie de Communion (« Ceci est ma chair, ceci est mon sang »)… Toujours est-il que, comme le choquant « Requiem for a dream », il va falloir du temps avant que je ne le revisionne à nouveau 😊
Il va falloir que je j’y jette un oeil à cet opus… les thématiques me plaisent ! J’avais adoré Black Swan (même si sa noirceur m’avait fait fermer les yeux à certaines scènes), idem pour The Fountain (dans le genre hyper fort en émotions, c’est rare). Pas vu les autres, par contre, parce que les thèmes ne me parlaient pas. Mais Mother a l’air bien intéressant et suffisamment ouvert à interprétations pour me parler… vu tes interprétations, je comprends aussi mieux la différence d’âge entre les deux membres de ce couple.
Par contre, je ne vais pas le regarder de suite, vu une certaine scène que tu décris, je pense que je vais attendre d’avoir rassemblé assez de courage pour ça ! ^^ »
Oui, du courage il en faut ^^ Si tu apprécies ce réalisateur, je te recommande chaudement son premier film, « Pi », un thriller « mystique » passionnant qui parle de Mathématiques… un chef d’oeuvre…
[…] Mother ! m’a donné envie de revoir une œuvre majeure dans la carrière de Darren Aronofsky : The Fountain. J’ai toujours aimé les films de SF mystiques comme Cloud Atlas, The Tree of Life, ou 2001 Odyssée de l’Espace, et The Fountain s’inscrit clairement dans cette lignée. […]