Trois raisons d’aimer la Fantasy

Pas évident au pays de Descartes de s’affirmer en tant que lecteur de Fantasy (et d’en écrire). Lorsqu’on reconnait être passionné par ce genre littéraire/cinématographique, on se heurte rapidement au snobisme dont est victime la SFFF* en général. Ce syndrome peut se résumer par ce dialogue-type que vous avez sûrement déjà vécu.

Snob lambda : – T’aime bien ces trucs, toi ?

Geek lambda : – Euh, tu sais que la Science-Fiction a accouché de chefs-d’oeuvre ?

(Regard perplexe du snob lambda) : – Comme quoi ?

Geek lambda : – Ben 2001 l’Odyssée de l’Espace par exemple. C’est un Kubrick, mais tu savais que c’était aussi un bouquin d’Arthur C. Clarke ?

Et là, forcément, le débat devient faussé car vous pouvez être sûr que lorsque vous allez citer Blade Runner, Rencontres du Troisième Type, Alien, l’Empire Contre-Attaque, Starship Troopersla Mouche, Donnie Darko, Solaris, Retour vers le FuturTerminator, V pour Vendetta, Dark City, E.T., The Thing, Cloud Atlas, Akira ou Robocop, le snob vous répondra froidement :

– Oui, mais là ce sont des chefs-d’oeuvre du Septième Art, ce n’est pas de la Science-Fiction, c’est du grand cinéma.

Inutile de dire que face à une telle personne, oser parler de romans fantasy comme le Seigneur des Anneaux, Conan le Barbare ou Game of Thrones revient à avouer que vous êtes un attardé qui croit encore aux dragons. Alors au prochain ricanement, vous n’avez qu’à lui prouver que la Fantasy a autant de légitimité que la littérature blanche. Il vous faut juste trois arguments.

Argument numéro un : la Fantasy est une littérature aussi vieille que l’Humanité

Pour faire simple : l’un des textes les plus anciens de l’Histoire, l’Épopée de Gilgamesh, n’est ni plus ni moins que le récit d’un super-héros sumérien capable de vaincre un géant et un taureau céleste, qui va ensuite partir en quête d’Ut-napishtim, survivant du Déluge, afin d’obtenir la vie éternelle. Au Moyen-Orient, cette épopée a eu à l’époque autant de succès que le Seigneur des Anneaux. Je ne parle même pas des religions de l’Illiade et l’Odyssée, de la mythologie antique et de son bestiaire peuplé de cyclopes, de minotaures, de centaures et de chevaux ailés…

C’est à ce moment précis que le snob lambda vous rétorque :

«  Ça c’est de la mythologie, moi je te parle de grands écrivains. Cite-moi un seul romancier issu de ta chère « fantasy » qui ait marqué la littérature, en dehors de George R.R. Martin et J. R. R. Tolkien« 

Argument numéro deux : depuis longtemps, des écrivains prestigieux écrivent de la Fantasy

Je déteste ce terme de « prestigieux », mais malheureusement dans ce genre de discussion vous êtes parfois obligé de pousser votre adversaire interlocuteur dans les cordes. Commencez avec Lewis Caroll et Les Aventures d’Alice au pays des merveilles (1865), avant d’enchaîner avec L. Frank Baum et son Magicien d’Oz, J. M. Barrie (Peter Pan) et lord Dunsany, auteur de la Fille du roi des Elfes, qui a eu une influence sur, tiens donc ! la dark fantasy de Lovecraft. Poursuivez votre travail de sape avec Robert E. Howard, Terry Pratchett et Stephen « la Tour Sombre » King et enfin terminez avec Michael Moorcock, le punk de la Fantasy : franchement, vous avez déjà vu un héros shakespearien de la trempe d’Elric ? On parle quand même d’un nécromancien drogué qui tue involontairement sa cousine son amante à cause d’une épée buveuse d’âmes ! On pourrait d’ailleurs arriver au même constat avec Glen Cook et la Compagnie Noire, une histoire de mercenaires qui se vendent au plus offrant, sans parler des guerriers de David Gemmel. On est loin du manichéisme supposé propre au genre, non ?

« Bon d’accord il y a des romans fantasy écrits par des romanciers célèbres, J.K Rowling ou Robin Hobb, et même des univers sombres, mais rien ne vaut les grands auteurs classiques et leurs oeuvres réalistes.« 

Après avoir encaissé ce coup bas, pour gagner du temps trollez votre interlocuteur.

Argument numéro trois : le réalisme, ça ne veut rien dire

« Madame Bovary, Salammbo et Germinal ne sont pas plus réalistes que Bilbo le Hobbit, le Monde de Narnia et Harry Potter. »

Pendant que votre adversaire s’étrangle d’indignation, poursuivez tranquillement votre démonstration en assénant le coup de grâce : les trois œuvres citées plus haut sont des fictions. S’il est vrai que Flaubert a étudié l’archéologie avant d’écrire Salambo, ainsi que les effets de l’arsenic pour Madame Bovary, il n’en demeure pas moins qu’une oeuvre de fiction n’est rien d’autre qu’une fenêtre biaisée sur cette chose abstraite qu’on appelle le réel, avec tout ce que cela implique de subjectivité. Si plusieurs photographes peuvent prendre des clichés très variés d’un même paysage avec des appareils différents sans jamais pouvoir restituer toute la richesse perçue par un oeil humain, est-il raisonnable de classer une littérature supposée noble, en genres et sous-genres ? Les impressionnistes et les surréalistes ont depuis longtemps rendu caduque la conception d’un art classique indépassable. De la même façon, les auteurs de Fantasy accèdent à une vérité, l’auteur du Seigneur des Anneaux en est le plus bel exemple.

Tolkien en 1916

Tolkien en 1916

Lorsque l’ancien combattant J. R. R. Tolkien écrit son épopée il est, comme Frodon, un soldat qui a été blessé au front. À l’instar de son personnage, il a survécu aux tranchés tandis que nombre de ses proches n’en sont jamais revenus (Boromir, Théoden/  l’ami d’enfance Rob Gilson, le poète Geoffrey Bache Smith). Pourquoi est-il encore en vie alors que ses frères d’armes, promis à de grandes carrières littéraires, sont morts ? Comment retrouver la banalité du quotidien après une telle épreuve ? La guerre a été une initiation cruelle qui poussera le romancier, comme n’importe quel survivant d’un grand drame collectif, à s’interroger sur le sens de l’existence.

Nombreux sont les vivants qui mériteraient la mort. Et les morts qui mériteraient la vie. Pouvez-vous la leur rendre, Frodon ? Alors, ne soyez pas trop prompt à dispenser la mort en jugement. Même les grands sages ne peuvent connaître toutes les fins.

Gandalf, la Communauté de l’Anneau

Dans le Seigneur des Anneaux, Frodon ne se remettra jamais vraiment de sa vieille blessure qui le fait souffrir, et la mélancolie qui le gagne l’incitera à quitter la Terre du Milieu pour voguer vers Valinor, l’île des Elfes. Une mort symbolique, libératrice, véritable catharsis pour Tolkien. Le Seigneur des Anneaux est moins une fresque guerrière que l’histoire d’une belle amitié telle qu’on pouvait la vivre dans l’enfer des tranchées. Dans l’une de ses lettres, l’écrivain compare les Marais des Morts et la Porte Noire du Mordor « au Nord de la France, après la bataille de la Somme », il a probablement été marqué par l’effroi des chevaux face aux chars d’assaut allemands, véritables monstres d’acier…

D’un certain point de vue, le Seigneur des Anneaux est d’un réalisme saisissant puisque cette trilogie porte les stigmates de la Grande Guerre. L’auteur traumatisé utilise ses personnages pour se livrer à des réflexions universelles : qu’est-ce que l’héroïsme ? Pourquoi un homme ordinaire arrive-t-il à accomplir des actes extraordinaires ? Comment agir avec courage quand le monde lui-même semble dénué d’espoir et que la mort parait inéluctable ? À travers les paroles de Gandalf, Tolkien amène une réponse humaniste à toutes ces questions :

Tout ce que nous avons à décider, c’est ce que nous devons faire du temps qui nous est imparti.

Dong !

La Fantasy n’a pas à être comparée à la littérature blanche parce que catégoriser des livres ou opposer des genres comme je le fais, c’est procéder à une ghettoïsation puérile dont personne ne sortira grandi. Il y a de bons et de mauvais romans de fantasy… comme dans n’importe quelle autre littérature. À l’heure où la mondialisation pousse les lecteurs à acheter massivement les mêmes best-sellers écrits par un nombre restreint d’auteurs à succès, la Fantasy, comme la Science-Fiction, est précieuse, car elle permet d’adopter un autre regard sur le monde. Savoir changer de point de vue n’est pas seulement une preuve d’intelligence, c’est aussi le meilleur moyen de s’évader pour échapper aux affres de la conformité. Imaginer, rêver, c’est se prémunir de tous les fanatismes, ainsi que du nihilisme matérialiste qui guette le monde moderne.

Vive la Fantasy ! Et comme dirait Aragorn…

* SFFF signifie « Science-Fiction Fantastique Fantasy »

Published in: on avril 10, 2015 at 7:28  Comments (45)  
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45 commentairesLaisser un commentaire

  1. Nous vaincrons ! 😉

    • Yes we can ! 😀

  2. Bon, il est tard, pas le temps de faire un long commentaire. mais oh combien tout ça est vrai ! J’ai commencé à lire de la SF quand j’avais 12 ans – il il y un peu plus de quatre décennies 😉

    Et que n’ai-je pas entendu comme commentaires désobligeants !!! Il n’y a pas de grande et de petite littérature, il n’y a pas de bons genres et de mauvais genres. Il n’y a que des bons livres ou des mauvais livres.

    • Amen.

      • Juste une petite précision, puisque nous avons à faire ici à des lecteurs exigeants et précis (Cf les rectifications sur Frodon). L’origine de 2001 L’Odyssée de l’Espace est en fait une nouvelle de A.C. Clarke La Sentinelle… C’est ensuite qu’il en a fait un roman pour suivre Kubrick dans l’élaboration du scénario…

  3. Tu as malheureusement raison ! La SFFF est traitée comme de la sous-littérature tout comme la littérature jeunesse… Alors quand on parle de SFFF jeunesse, tous aux abris ! Je remarque surtout, dans mon métier, que ceux qui critiquent ces genres n’en lisent pas au final. C’est toujours la même chose : ils critiquent sans connaître. Et il est tellement plus simple de regarder un film que de lire une trilogie…

    • « Alors quand on parle de SFFF jeunesse, tous aux abris ! »

      C’est clair ! Je suis d’ailleurs parfois étonné par certaines personnes (heureusement en minorité) lors de mes dédicaces, lorsqu’elles examinent la couverture de mon roman : « ah, c’est de l’imaginaire… ». C’est un peu dommage de critiquer sans connaître, comme tu dis 🙂

  4. « il est, comme Frodon, un soldat qui a été blessé au front. »

    Je croyais que Frodon avait été blessé à l’épaule ?

    Hum ! Pardon, je ne pouvais pas passé à côté.

    Sinon, beau papier même si je pense qu’il est inutile de tenter de convertir des gens qui ne lisent pas de la Fantasy ou de la SF. Du moins ceux qui sont foncièrement contre. Les indécis, oui, on peut les faire venir de ce côté-ci du miroir. Pour les autres, tant pis, il ne savent pas ce qu’ils ratent.

    A.C.

    • En fait, je parlais de blessure à la fois physique et morale : Frodon a toujours mal au même moment de l’année… la date anniversaire de sa blessure, c’est, bien évidemment, tout sauf un hasard puisque son humeur s’assombrit. La blessure physique est, pour moins du moins, une métaphore d’une blessure qui est aussi psychologique : jamais Frodon ne retrouvera l’innocence qu’il l’habitait avant son départ de la Comté.

      Pour la conversion, je respecte bien évidemment les choix de chacun 😉

      Merci pour ta visite !

      • Je pense qu’A.C. voulait juste souligner qu’il ne faut pas confondre Frodon et Harry Potter 😉

        Merci pour ce sympathique billet. En tous cas la conversion aurait bien marché sur moi — si je n’étais pas déjà convaincue 🙂

        • Même si je prêche une convaincue, merci pour ton soutien 😉

  5. Dans mes bras ! 😀
    Excellent plaidoyer. Avec les mots justes et les bonnes comparaisons. Je devrais faire lire ton billet à ma mère…

    • Hahaha 😀 Merci 😉

  6. *soupir*
    Bel article. L’effet collatéral étant que tu m’as donné plein de titres pour allonger ma PAL !
    Vive la SFFF, délectons-nous de cette nourriture de l’esprit et tant pis pour ceux qui la dédaignent. Ils ne savent pas ce qu’ils ratent, les pauvres !

    • Tout à fait ! Depuis les succès populaires de Peter Jackson et de George R.R. Martin, les geeks prennent le pouvoir et l’équilibre des forces s’inverse 🙂

  7. Article très complet, comme d’hab’. 😉
    J’ai en particulier approuvé chacun des mots écrits à propos de Tolkien et de son rapport à la guerre. Même s’il a toujours nié avoir voulu retranscrire les effets de la seconde Guerre Mondiale dans ses textes (au point qu’il s’est fendu d’une longue préface dans les éditions ultérieures), il n’est – comme tous les auteurs – pas le mieux placé pour analyser la façon dont son inconscient a fonctionné. Je suis aussi persuadée de l’impact de la guerre sur son oeuvre.

    En ce qui concerne le fond de l’article, pour ma part, je pense qu’il faut avoir une certain esprit pour aimer la fantasy : envie de croire, enthousiasme, idéalisme, je ne sais pas exactement, mais à mon avis il sera inutile d’accumuler les arguments pour convaincre quelqu’un qui n’a PAS ces traits là. 😉
    Donc, je suis tout à fait d’accord avec Anaïs !!

    Et, au passage, l’humour d’AC m’a beaucoup fait rire ! :-p

    • Merci Nathalie ! C’est intéressant ce que tu dis à propos de l’état d’esprit, une piste à creuser 😉

  8. CQFD. Ce qui est désolant, c’est quand même de devoir ponctuellement se lancer dans ce genre de discours. Personnellement ça me fatigue, parce que je sens confusément que tout ce que je pourrais dire ou tenter de démontrer n’infléchira pas l’opinion de la personne en face. Bon, stay calm and keep SFFFing.

    • Tu sais Dominique, pour nous, amateurs du genre, ça ne change pas grand chose, c’est même presque gratifiant : je pense que les artistes surréalistes ont subi les mêmes préjugés en leur temps. J’avais d’ailleurs été touché par le film « Neverland », qui retrace une partie de la vie de l’auteur de « Peter Pan » : James M. Barrie vivait avec une pression énorme dans une société victorienne bien plus oppressante que la nôtre… et cela ne l’a pas empêché d’écrire un chef d’oeuvre qui a rencontré un succès international.

      Quelque part, écrire et lire une littérature aussi subversive, c’est rock ‘n’ roll ! 😀

  9. […] L’article est à lire sur son site. […]

  10. Pour le moment, je n’ai pas trop été en butte à ce genre de remarques. Cela finira par arriver, j’imagine. 🙂 Mais honnêtement, je pense que la situation est en train de changer. Quand il n’y avait qu’un ou deux blockbusters dans le SFFF au cinéma ou en librairie, le grand public pouvait penser qu’il ne s’agissait que d’exceptions.

    Mais désormais, les succès SFFF se multiplient. Dans la jeunesse, d’abord, bien sûr, comme les mangas avant. Mais je ne doute pas que ce mouvement s’étendra à toutes les classes d’âge, à mesure que les « jeunes d’hier » deviendront les « vieux de demain ».

    Gardons espoir, donc ! 🙂

    • Oui, gardons espoir 😉

  11. Avec le renouvellement des générations, le point de vue sur la « pop culture » et tout ce qu’elle contient (littératures de genres, musiques plus « typées », cinéma décalé ou divertissant, jeux vidéo, etc…) changera. Il faut juste être patient, et ça se fera naturellement. 😉

    • Croisons les doigts alors 😉

  12. Bonjour,
    Votre article n’est pas le premier que je découvre sur le sujet (loin s’en faut) et si je me décide à y répondre cette fois, c’est certainement à cause d’un certain ras-le-bol, mais sans doute aussi car plus qu’un autre, il m’a paru de pertinence douteuse.
    Une des premières choses qui choque (et là vous n’êtes pas seul responsable, je l’admets), ce sont les commentaires qui foisonnent d’« excellent plaidoyer » ou autre « article très complet ». Parce que non, il ne s’agit nullement d’un bon plaidoyer, si plaidoyer seulement il y a. C’est d’ailleurs ce genre de réactions (lues et relues) qui finissent par donner un contre-argument de choix aux détracteurs du genre. Entre autre chose, la littérature est, à mon sens, une des meilleures écoles pour l’expression : on apprend à lire dans différents styles, différents registres de langues, avec chacun ses caractéristiques propres, son architecture, sa structure et on en forge ses propres réflexes de rédaction. Force est de constater donc, que cette littérature – toute légitime qu’elle soit – ne nous tire pas dans cette voie. Cependant, je ne suis pas sociologue et je ne pousserai pas plus loin ces corrélations peut-être un peu trop hasardeuses.
    J’aurais plaisir à discuter la plupart de vos affirmations et exemples (dont certains font crisser des dents), mais par souci d’économie, je me limiterai à commenter vos arguments, mais d’entrée de jeu, votre texte appelle un petit commentaire sur le snob lambda qui vous donne la réplique dans ce dialogue imaginaire : n’est-ce pas un peu facile de débattre face à cette caricature qui a moins de répartie qu’une serviette hygiénique ? Un vrai snob ne se laissera pas coincer si aisément (c’est sa nature qui veux ça) et tous les autres amateurs de ce que vous appelez la littérature blanche (je ne connaissais pas ce terme plutôt péjoratif pour désigner tout à la fois la tragédie classique, le romantisme, le réalisme, le symbolisme, le surréalisme, le Nouveau Roman et j’en passe) auront, de par leur passion, plus de ressources que vous ne croyez ; dès le départ donc, il y a un manque flagrant d’authenticité – c’est le risque que l’on prend lorsqu’on aborde l’argumentaire sous cette forme.
    Venons-en aux arguments en eux-mêmes. Quels arguments ? Parce que oui, il faut les chercher. Le premier a le mérite d’exister. La fantasy est une littérature aussi vieille que l’Humanité. Les créatures fantastiques font partie de l’imaginaire universel depuis la nuit des temps. Soit, c’est on ne peut plus logique à mon sens, c’est presque un réflexe humain. Est-ce que ça justifie cette littérature ? Y a-t-il des différences avec ce qui se fait aujourd’hui ? Je ne sais pas (du moins je ne veux pas entrer dans le débat ici), mais je pense que deux mots sont importants : originalité et maîtrise. Sans chercher l’originalité à tout pris, il en faut tout de même une dose. Combien de livres sortent (ou essayent) avec (presque) toujours le (presque) même bestiaire, les mêmes trames… ? D’un autre côté, si de nouveau on peut débattre sur ce qu’est un bon style, etc., il est indéniable pour moi que trop de livres du genre (à commencer par le inconcevablement encensé par les amateurs Jeu des Trônes) n’en offrent aucun. La littérature c’est comme le sport, même un très bon athlète n’a pas pu débuter sans entraînement, sans formation. Pour certains elle est académique, pour d’autres non, mais pour faire un bon auteur, il faut qu’elle soit solide. Je ne citerai qu’un exemple qui vous est cher : J.R.R.Tolkien. Sans avoir tout pondu tout seul, il a quand même réalisé un travail monstre pour créer quelque chose qui lui était propre (originalité). D’un autre côté, c’était un professeur (anglais, vieil anglais) dans une université prestigieuse, ce qui laisse à penser qu’il avait une immense connaissance en littérature (maîtrise) sur laquelle il a pu s’asseoir pour devenir à son tour une part du puissant édifice. Aujourd’hui, il est une référence, mais il faut passer à autre chose.
    Voilà pour le premier argument. Et les autres. Quels autres ? Parce qu’à partir d’ici, on n’a plus d’argument. Le soi-disant deuxième argument Depuis longtemps, des écrivains prestigieux écrivent de la fantasy est redondant. Rappelons l’argument numéro un et paraphrasons : la fantasy est une littérature aussi vieille que l’Humanité. On parle donc de littérature fantasy – c’est-à-dire d’écrits dans le genre – qui existe depuis très, très, très (ajoutez-en autant qu’il vous plaira) longtemps. On peut donc reformuler : Depuis (très, très, très, …) longtemps, des écrivains écrivent de la fantasy. Tiens, il ne manque que le mot prestigieux, sous-jacent, puisque l’on parle des écrivains en général depuis l’aube de l’Humanité jusqu’à aujourd’hui, on doit donc au moins inclure ceux qui sont (furent) prestigieux. C’est peut-être un petit peu pinailler, mais si vous voulez défendre quelque chose qui vous tient à cœur, je pense que vous devriez être capable de formuler au moins trois arguments véritablement indépendants.
    Enfin, le troisième. Le réalisme, ça ne veut rien dire. Donc à la question Pourquoi aimer la fantasy ? vous répondez Le réalisme, ça ne veut rien dire. C’est en fait une réponse à une affirmation ridicule et caricaturale de votre interlocuteur imaginaire, pas une raison de lire de la fantasy. Si l’on essaye tout de même (par une sacrée acrobatie de l’esprit) de le considérer comme argument, on peut vous rétorquer que vous confondez réalisme – et encore je ne parle pas du courant littéraire parce qu’alors là, si certains livres sont difficilement classables, il est certain que Bilbo le Hobbit n’appartient pas au courant réaliste, pas plus que d’autres classiques tel le Bossu de Notre-Dame de Victor Hugo, d’ailleurs ! – et réalité. Personne d’un peu sain d’esprit ne confond un livre et la réalité. Flaubert part d’un fait divers pour Madame Bovary, Tolkien de son expérience du front. Deux réalités, donc. De ces deux réalités, ils construisent un monde imaginaire. L’un se veut réaliste, l’autre non. Le tout est de savoir dans quel(s) univers on veut évoluer en lisant.
    Enfin, je ne résiste pas à commenter vos dernières paroles. « À l’heure où la mondialisation pousse les lecteurs à acheter massivement les mêmes best-sellers écrits par un nombre restreint d’auteurs à succès, la Fantasy, comme la Science-Fiction, est précieuse, car elle permet d’adopter un autre regard sur le monde. Savoir changer de point de vue n’est pas seulement une preuve d’intelligence, c’est aussi le meilleur moyen de s’évader pour échapper aux affres de la conformité. » Je suis d’accord, beaucoup se rabattent sur les mêmes best-sellers, mais lesquels ? Vous pensez sans doute à des Levy et autres Musso, mais que dire de Twilight, Game of Trones et consorts ? (Vous-même citez d’ailleurs les œuvres cent fois rabâchées par tous les amateurs du genre). Je crois justement, malgré votre impression, que la Fantasy et la Science-Fiction sont deux genres très à la mode sur la vague desquels surfent les commerciaux (Pensons à cette Maléfice dont la bande annonce laissait présager un mélange douteux entre Disney et… le Seigneur des Anneaux).
    Il y a du bon, du mauvais partout, vous le dites, et surtout une réelle difficulté à faire la part des choses dans tout ce qui sort (ce n’est peut-être pas une fatalité de la société de consommation ; de tout temps, le tri s’est fait avec les années, c’est ainsi que parmi les milliers d’auteurs du début XXième, on n’en lit plus qu’une poignée – à tort sans doute car on passe à côté de certains trésors négligés, mais à raison aussi car ce sont des valeurs sûres qu’il serait dommage de manquer). Pour ce qui est de changer de point de vue, de l’intelligence, etc., je renvoie la balle à de nombreux lecteurs de SFFF. J’avoue ne plus lire de livres du genre à l’heure actuelle – mais je lis également peu de livres contemporains (pour les raisons susmentionnées). Par contre, j’ai eu une expérience (à un âge où effectivement d’autres auteurs plus « classiques » sont d’un abord plus compliqué) et aujourd’hui je ne manque pas de jeter un œil à nombre de textes qui malheureusement me semblent très – trop – pauvres. Bien sûr, on me rétorquera qu’il faut lire plus longtemps, etc. Mais s’il faut lire 400 pages pour trouver un soupçon de qualité dans un texte, ce n’est pas un bon livre, point à la ligne. À vous aussi, lecteurs de SFFF de vous tourner vers l’autre littérature. Beaucoup se sont arrêtés à une expérience scolaire (parfois rebutante, je l’accorde, on ne lit pas Madame Bovary à quinze ans). Mais qui ferait l’effort de lire toute la Recherche de Proust ? C’est une écriture difficile, mais pourtant riche, poétique, pertinente où pas à pas se reconstituent nos impressions (tous ceux qui se réclament de « l’imaginaire » devraient avoir touché à cela et même avoir fait l’effort d’aller jusqu’au bout, c’est toujours moins long que Game of Trones), de lire Céline avec sa propre lecture de la guerre (un autre regard que celui de Tolkien – que j’admire, là n’est pas la question – pour une fois).

    Voilà, je m’arrête ici. Je voulais juste donner la parole à l’autre « camp » pour une fois.

    SM

  13. Bonjour, merci pour votre commentaire mais je crains fort que vous n’ayez lu mon article en diagonale, notamment lorsque j’écris en guise de conclusion :

    « La Fantasy n’a pas à être comparée à la littérature blanche parce que catégoriser des livres ou opposer des genres comme je le fais, c’est procéder à une ghettoïsation puérile dont personne ne sortira grandi. Il y a de bons et de mauvais romans de fantasy… comme dans n’importe quelle autre littérature. »

    Du coup votre commentaire est, si vous me passez l’expression, un peu à côté de la plaque.

    Mon article ne visait pas Proust ou Céline, que j’apprécie également, mais bien (je persiste et je signe) le snobisme qui consiste à opposer une culture classique à une autre jugée plus méprisable. J’ai bien ri quand vous avez cité « Twilight » (que je n’aime pas non plus), en revanche je trouve dommage que vous tombiez dans le dénigrement au lieu de parler du fond de l’article, notamment quand j’évoque des auteurs talentueux comme Michael Moorcock (l’avez-vous seulement lu un jour ?). Dans votre commentaire très ethno-centré, vous avez loupé une occasion en or de me répondre que la littérature française a accouché elle aussi de très grands auteurs comme l’immense Jean-Philippe Jaworski, doté d’un talent d’écriture incroyable : connaissez-vous seulement « Juana Vera » ? Avez-vous lu « Gagner la guerre » ? Ou « Même pas mort » ? Ce sont pourtant des chefs d’oeuvre littéraires. Je suis désolé que vous ne réduisiez mon humble article à une guerre de tranchées, en espérant que vous aurez un jour assez d’ouverture d’esprit pour découvrir des romans qui sortent des sentiers battus… Il y a une vie après Proust !

    Cordialement,

    Jean-Sébastien Guillermou

    • Amusant, j’ai eu le même genre de commentaire sur mon blog dans mon petit article sur la nouvelle traduction du Seigneur des Anneaux.

      http://joseph-isola.info/Sardequin/le-seigneur-des-anneaux-la-fraternite-de-lanneau/

      Comme s’il était question de camps ?! D’autant que ceux qui dressent des « barrières » sont justement ceux qui « méprisent » les mauvais genres de littérature (Polars, SF et Fantasy, en y incluant aussi la BD pour faire bonne figure). Enfin bref… Et moi aussi j’aime Céline, quand il ne se met pas à écrire des immondices… mais j’aime aussi Ballard, John Brunner et Philip K Dick, sans parler de Tolkien.

      • Cher Jean-Sébastien,
        snob ou non, SM vous faisait principalement remarquer la pauvreté de votre argumentaire. Force est de constater, sur ce point au moins, qu’il avait raison.

        Guillaume

        • Cher Guillaume,

          Merci pour votre contribution, aussi essentielle que pertinente ! Après votre commentaire, je pense que plus rien ne sera comme avant.

          • Dommage que vous le preniez comme ça…

            • Le souci, c’est toujours vouloir opposer les bonnes lectures des mauvaises lectures. C’est de vouloir comparer entre la littérature qui va élever l’esprit et celle qui va abrutir. Et bien sur, le SF et la Fantasy sont toujours du mauvais coté du manche. Forcément, on va nous citer Proust et Twillight. Comme si la comparaison était pertinente. Comme s’il n’existait par une littérature industrielle et stéréotypée autant dans le versant dit « classique » que le versant SF/F. C’est une évidence.
              Et bien sur on nous sort le couplet habituel que seul la « vraie » littérature peut élever l’âme… Forcément. L’autre ne peut être que du « divertissement », et c’est bien connu, le divertissement c’est vulgaire.
              Je vais me faire provocateur, en quoi la lecture de l’histoire d’une bourgeoise de province qui s’emmerde et va tromper son mari est-elle bonne pour mon esprit et ma culture ? Les histoires de cul d’une bourgeoise, franchement, quel intérêt ? Alors, c’est évident, il y a Flaubert et les autres. Tout comme il y a les « tacherons » qui écrivent de la littérature (de SF, de fantasy ou romantique, ou classique) au kilomètre. Tout comme il y a Tolkien, James Ballard, Thomas Disch… Bref, il y a de la littérature qui va élever l’esprit, qui va exciter l’imaginaire, et celle qui va nous abrutir.
              Et alors ? Il y a un problème ? On peut parfois avoir envie de s’abrutir 🙂
              Et je préfère cent fois quelqu’un qui va lire même les purges de la collection Harlequin que quelqu’un qui ne va jamais ouvrir un seul livre…
              (Tout ça me fait penser à un film, La dentellière… Avec Isabelle Huppert… Je vous laisse le soin de chercher).

              Cher Guillaume, les arguments de Jean-Sébastien sont peut-être « pauvres » (en tout cas, je ne trouve pas), mais le mépris affiché par SM et par vous n’est guère aimable.

              Notre contradicteur, SM, nous conseille à nous « pauvres » lecteurs de SF/F de nous tourner vers l’autre littérature… merci docteur… Personnellement, je n’ai pas besoin de son ordonnance, je sais faire mes choix littéraires. Et contrairement à lui, je n’ai de mépris pour personne.

  14. De sages paroles, Sardequin 😉

  15. Quand il y a une telle condescendance dans le propos, difficile d’être mieux compris.

    • Effectivement, c’est la raison pour laquelle je viens de modérer le second commentaire de SM, qui se permettait au passage d’insulter mes lecteurs, sans prendre la peine de répondre aux questions que je lui posais (tout en me traitant de réac, il a fait fort !). C’est la première fois que je modère ce blog, mais il y a un début à tout 🙂

  16. Je ne peux être que d’accord avec le contenu de cet article 😉

    • 😉

  17. YAAAAAAAAY ! Je plussoie, j’applaudis, STANDING OVATION !
    Ahem, plus sérieusement, je suis très contente et fière d’être une attardée qui croit encore aux dragons. Parce qu’un monde sans dragons, c’est bien triste. Merci pour ces arguments, je les garde précieusement en tête pour mes futures joutes verbales ! 😀

    • 😀 ❤

  18. Merci pour cette article, même s’il est écrit par et pour les amateurs de SFFF… Ceci étant, je pense que les personnes qui critiquent la fantasy font deux erreurs : confondre les livres (qui peuvent être bons ou mauvais) et le genre, et juger uniquement sur la forme.
    Sur le premier point, il y a une certaine quantité de livres mauvais, une autre quantité de livres « de genre », au sens où ils n’ont d’intérêt que pour ceux qui lise pour le genre, et de bons livres, divertissants ou éclairants, parfois les deux.
    Sur le second point, la SFFF est (surtout pour ses non-lecteurs) une forme. On parle de dragons ou de sabres lasers, point. Un bon livre de SFFF est, avant d’appartenir à un genre, un bon livre. Il prend la forme que son auteur a jugé bonne, ou celle qu’il lui a plu d’utiliser. Mais le fond (et c’est ce que l’auteur de ce blog évoque) peut aller aussi loin que tout autre livre. Plus loin, j’ai tendance à penser, par la liberté que les genres de l’imaginaire nous offre.

    • Merci à toi pour cette contribution mesurée. Effectivement, il y a des bons livres et des mauvais livres, qu’ils relèvent de la SFFF ou d’un genre plus classique. Tu as tout dit 🙂

      • Je pense que tu as tout dit, j’ai juste repris les idées sous une forme qui me convient pour les manier.

  19. […] des Anneaux, j’ai dit tout le bien que je pensais du chef d’oeuvre de Tolkien dans cet article. Même constat pour Hunger […]

  20. Je remarque qu’une fois encore on accuse le cartésianisme en tant que cause du mépris pour les littérature de l’imaginaire.
    Mais ce qui caractérise la France c’est une survivance forte de l’esprit paysan. Historiquement cela s’explique. Jusqu’en 1945, l’industrialisation ne concernait massivement que le quart nord est du pays. Dans le reste du territoire seul des oasis urbaines étaient industrialisées. Cet esprit paysan a malheureusement survécu jusqu’à aujourd’hui.
    L’esprit paysan est tourné vers la survie. Or les littératures de l’imaginaire font rêver. Quelle est la forme de littérature populaire acceptée par la société aujourd’hui : le polar, surtout depuis qu’il n’est plus une littérature policière mais une littérature sociale. Une littérature qui parle de la société de manière presque pédagogique c’est ce que recherche beaucoup de français. Parce que la connaissance parfaite de la société est un kit de survie, la littérature qui parle de la société est celle qui correspond au bon sens paysan dont se réclame beaucoup de Français.

    Je pourrais évoquer beaucoup d’autres choses. Y compris des explications plus politiques.
    Mais je pense qu’il faut aussi prendre en compte qu’il y a une grande partie du territoire qui n’a pas accès aux littératures de l’imaginaire. En dehors des librairies de centre ville des villes de plus de 25 000 habitants, elles sont difficilement trouvables. Et beaucoup de jeunes sont persuadés par exemple que la SF est un genre uniquement cinématographique.
    Il y a donc beaucoup à faire pour défendre la culture de l’imaginaire en France surtout quand les médiateurs du livre sont réticents.

  21. Je ne sais pas si on peut rendre « l’esprit paysan » responsable de cet état de fait, il ne faut pas oublier que dans les campagnes médiévales on appréciait le merveilleux et les contes païens 🙂 Et aujourd’hui, ce « monde paysan » que vous évoquez est en train de disparaître. L’imaginaire a toujours rencontré du succès dans les classes populaires, on le voit bien avec les succès de Harry Potter, du Seigneur des Anneaux ou des romans Star Wars. Par contre, je suis complètement d’accord avec vous sur le fait que la littérature de l’imaginaire est difficile à trouver dans les petites villes, effectivement certains libraires connaissent très mal cette culture… Heureusement, les mentalités évoluent tout doucement 🙂


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