On a beau répéter que les cyberpunks avaient raison, je suis toujours sidéré par le fait que la réalité dépasse la fiction. Vous vous rappelez de « 1984 », des films cauchemardesques de Terry Gilliam, de la série le Prisonnier ou du feu rouge parlant de Blade Runner ? Eh bien la dystopie fait désormais partie du quotidien de Mandelieu, avec des caméras qui interpellent des êtres humains. La preuve avec ce court reportage de TF1 qui semble amuser Jean-Pierre Pernaut.
Pour ceux qui en doutaient encore, on a franchi (depuis bien longtemps ?) une ligne rouge. Si vous ne l’avez pas vu, je vous conseille Red Road, un excellent film britannique qui tirait la sonnette d’alarme dès 2006.
Jackie travaille comme opératrice sur des caméras de surveillance. Chaque jour elle veille sur une petite partie du monde, en protégeant les personnes qui vivent leur vie sous ses yeux. Un jour un homme apparaît sur son moniteur, un homme qu’elle pensait ne jamais revoir, un homme qu’elle ne voulait jamais revoir. À présent elle n’a pas le choix, elle est obligée de se confronter à lui.
Bienvenue dans l’ère de la déshumanisation 3.0. Avec la nouvelle génération de drones, et le prétexte du terrorisme, les gouvernements du monde entier ont fait sauter un tabou , celui du flicage généralisé. Pourquoi être choqué par ce système de surveillance si vous n’avez rien à vous reprocher ? De fait, en partant du principe que nous sommes tous des délinquants potentiels, nous sommes tous suspects. C’est bien sûr un paradigme qu’il faut combattre à tout prix, quitte à employer les mêmes armes. En Turquie, un militant a utilisé un drone pour filmer les actions de la police lors de manifestations à Istanbul, jusqu’au moment où son engin été abattu en plein vol (voir la vidéo de l’article). Cette utilisation politique des drones n’est pas isolée, puisque des manifestants ont agi de manière similaire à Sao Polo, Bangkok ou Kiev.
La guerre de l’information prophétisée par la génération cyberpunk de William Gibson est devenue réelle.
En ce moment même, Obama mène un combat sans merci contre Apple pour obtenir le déchiffrement des iPhone, officiellement pour combattre le terrorisme et le crime.
Cette guerre de l’information n’est que le sommet de l’iceberg. Dans un billet passé relativement inaperçu, le vertigineux avenir des échanges exécutables, on apprend l’existence de la technologie Blockchain au coeur du projet Ethereum, un fantasme de web 3.0, dont on ne sait s’il relève de l’utopie… ou du cauchemar, en particulier pour les hackers.
Imaginez une architecture informatique totalement décentralisée avec des contrats automatisés de pair-à-pair encore plus sophistiqués que Bitcoin. Un monde où aucune manipulation n’est possible. Un nouvel Internet dans lequel on pourrait échanger de l’argent via un système économique transparent, configurable ; non censurable ; interopérable… Maintenant, qui décide quoi ? C’est la question soulevée dans l’article de Big Browser avec un exemple tout simple, je me permets de reproduire un extrait de l’article ici :
Imaginons une personne qui cherche un appartement à louer. Il dispose d’un identifiant numérique unique qui lui permet de souscrire à des contrats autonomes. Devant une porte d’appartement à louer, il interroge sur son téléphone son application, qui lui permet d’envoyer de l’argent en échange de l’ouverture de la porte connectée durant son temps de location. (…) La promesse de la blockchain est que les objets vont devenir pleinement autonomes et s’appartenir à eux-mêmes. Ils vont pouvoir exécuter du code : en échange d’argent (une forme de code), la porte libère son accès (via du code) pour être utilisée durant le temps autorisé. Pour Stéphane Tual, il n’y a plus besoin de tierce partie entre la porte de l’appartement à louer et le locataire potentiel. Airbnb n’a plus de raison d’être. Le système permet de louer directement son appartement à quelqu’un et on peut même imaginer louer un appartement en étant juste devant sa porte, s’il est disponible…
Si l’exemple est séduisant, il suppose bien sûr que tout se passe bien. Que l’appartement dans lequel vous entrez va être propre et en bon état, comme annoncé, par exemple. Quand on voit la difficulté des réclamations dans les systèmes de location centralisés comme Airbnb, on se dit tout de même que l’usager sera bien démuni dans un système décentralisé comme celui esquissé. A qui l’usager pourra-t-il faire une réclamation ? A la blockchain ? A la porte ?…
Comment ne pas penser à Ubik de Philip K Dick ? Dans ce classique de la S.F. que je suis en train de lire, l’auteur décrit (en 1969 !) une scène qui préfigure les échanges exécutables. Mention spéciale à ce passage dans lequel le héros se retrouve… enfermé chez lui.
La porte refusa de s’ouvrir et déclara :
— Cinq cents, s’il vous plaît.
À nouveau il chercha dans ses poches. Plus de pièces ; plus rien.
— Je vous paierai demain, dit-il à la porte. (Il essaya une fois de plus d’actionner le verrou, mais celui-ci demeura fermé.) Les pièces que je vous donne, continua-t-il, constituent un pourboire ; je ne suis pas obligé de vous payer.
— Je ne suis pas de cet avis, dit la porte. Regardez dans le contrat que vous avez signé en emménageant dans ce conapt.
Il trouva le contrat dans le tiroir de son bureau ; depuis que le document avait été établi, il avait eu besoin maintes et maintes fois de s’y référer. La porte avait raison ; le paiement pour son ouverture et sa fermeture faisait partie des charges et n’avait rien de facultatif.
— Vous avez pu voir que je ne me trompais pas, dit la porte avec une certaine suffisance.
Joe Chip sortit un couteau en acier inoxydable du tiroir à côté de l’évier ; il s’en munit et entreprit systématiquement de démonter le verrou de sa porte insatiable.
— Je vous poursuivrai en justice, dit la porte tandis que tombait la première vis.
— Je n’ai jamais été poursuivi en justice par une porte. Mais je ne pense pas que j’en mourrai.
Cet extrait a beau être drôle, on ne peut qu’être effrayé par l’automotisation forcenée imposée par les états et les entreprises, surtout quand elle est motivée par une logique de rentabilité. On parle souvent du risque de se retrouver avec des drones automatisés capables de massacrer des êtres humains, mais moins de la vie quotidienne avec ces bornes automatiques qui envahissent de plus en plus notre quotidien… et détruisent l’emploi. Dès que j’ai le choix, j’opte systématiquement pour un(e) caissier(ère) de chair et de sang, parce que c’est plus agréable, et aussi parce que je me sens solidaire de ces employés précaires. Si on continue à automatiser les tâches, que vont-ils devenir ? Je ne parle même pas de la vie dans les grandes villes tentaculaires, déjà extrêmement difficile pour nombre d’individus isolés comme les personnes âgées ou les immigrés qui viennent d’arriver. Ne sommes-nous pas en train de tuer les derniers liens sociaux qui nous unissent ? Comme l’a écrit William Gibson :
Toute technologie émergente échappe spontanément à tout contrôle et ses répercussions sont imprévisibles.
On vaut mieux que ça.
C’est très inquiétant tout ça, mais en même temps ça devient si énorme que des gens commencent à réagir. On se renseigne d’avantage et j’ai l’impression que les « scandales » se multiplient ces derniers temps, alors je reste un peu optimiste. Je me dis que c’est allé tellement loin que ça ne peut que changer… En tout cas espérons le!
Oui, gardons espoir !
Zola, je suis l’IA du blog escroc-griffe.com et je vous attaque en justice pour propos déviants. De plus vous prônez la révolution par le changement je vous colle un second procès.
Argh ! Mais comment on désactive ce truc ?
C’est impossible…. je suis une boucle logiciel.
Excusez moi je viens d’être violemment agressé par le correcteur orthographique automatisé Zela est devenu Zola (en même l’IA accuse !).
Tiens, je vais t’envoyer un texte par mp. Tu me diras ce que tu en penses. La déshumanisation du monde du travail est quelque chose que je vis de l’intérieur. Externalisation, globalisation, on remplace des salariés ici par des « ressources » à l’étranger payées 20 fois moins cher. J’ai encore reçu un mail hier d’une société de services indienne pour que je donne des accès informatiques pour, je cite « les ressources suivantes : » Suivaient les noms de 3 êtres humains. Je n’arrive pas à m’y faire, moi non plus.
Oh mais je connais bien cette magnifique nouvelle, je t’avais fait un retour à l’époque ! 🙂 J’avais adoré l’atmosphère horrifique digne de Lovevraft, ainsi que sa portée politique. Je l’ai relue avec plaisir, malheureusement elle n’a rien perdu de sa force et reste toujours d’actualité…
Tu vois bien que je radote ! ^^
Ça arrive aux meilleurs 😉
Je découvre votre blog avec cet excellent article, merci ! Les caissières automatiques sont déshumanisantes, obligent le consommateur à faire lui-même un service auparavant rendu, font perdre du temps car la plupart des gens ne sont pas habitués à les utiliser, ce qui demande au final l’intervention d’une caissière humaine… Résultat on fout des gens au chômage et on se ralentit.
Bienvenue ! Merci, oui ces machines sont des plaies. Une exception : l’ employé d’un Décathlon m’avait assuré qu’il était content de ces systèmes, parce qu’ils lui permettaient effectuer d’autres tâches moins pénibles, sans qu’il y ait réduction de personnel. Mais encore faut-il que l’entreprise joue le jeu, ce qui n’est pas toujours le cas.