La bactérie et la baleine

Galacidalacidesoxyribonucleicacid, Salvador Dalí

 

Suite à une conversation avec un ami sur l’univers, j’ai pensé à cette allégorie poético-scientifique.

Prenons l’un des plus petits êtres vivants connus sur Terre, une ultramicrobactérie de 0,3 micromètres de diamètre capable de vivre dans de l’eau salée. Imaginons que cette minuscule bactérie soit, miracle ! dotée d’une conscience et de sens. Elle évolue dans la mer et, comme la plupart des ultramicrobactéries, ne grandit, ni ne se reproduit, pour résister à des conditions difficiles. Imaginons maintenant qu’elle soit avalée par une baleine bleue de 30 mètres de long, puis recrachée. Notre bactérie en aurait-elle seulement conscience ? On peut en douter car, comme elle mesure 0,3 micromètres, une goutte d’eau d’1 millimètre de long serait déjà pour elle un vaste territoire de 1000 micromètres. Alors comment pourrait-elle se représenter un organisme aussi complexe que l’intérieur d’une baleine ? Là encore, notre ultramicrobactérie devrait mesurer l’univers à partir de sa taille, 0,3 micromètres. Pour elle, le cétacé ferait donc 30 millions de micromètres. Cela reviendrait, pour un humain d’1,80 mètres, à imaginer devant lui un géant d’une hauteur de 180.000 kilomètres, presque la moitié de la distance Terre-Lune. À notre échelle, le doigt de pied de ce géant serait aussi grand qu’une montagne qui disparaitrait dans les nuages, au point où nous refuserions d’admettre que nous sommes en présence d’un être vivant, capable de nous avaler sans même s’en apercevoir ! Ce qui est farfelu pour nous le serait tout autant pour notre micro-organisme, qui tenterait d’imaginer dans quoi pourrait bien nager une baleine… Comment notre bactérie pourrait-elle se représenter plus d’un milliard de km3 de mers et d’océans ?

Bactéries sur des os de baleine

Bactéries jaunes sur des os de baleine


 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

De notre point de vue, nous avons du mal à réaliser que deux êtres vivants aussi dissemblables qu’une bactérie et une baleine possèdent de l’ADN de la taille d’une molécule… alors que ces deux êtres n’ont pas grand chose en commun. Et pourtant, la vie et la mort de l’un peut conditionner étroitement l’existence de l’autre sans que les deux en aient « conscience ». Ainsi, dans les profondeurs des mers, des bactéries se développent sur des os de baleines. Dans ce milieu, à mesure que l’oxygène se raréfie, les bactéries provoquent une augmentation du sulfure et l’arrivée d’espèces qui vivent en symbiose. Les bactéries sur les os utilisent comme source d’énergie le sulfure d’hydrogène produit par d’autres bactéries qui s’attaquent à l’intérieur de l’os. C’est le début d’une chaîne alimentaire spécifique aux abysses, la chimiosynthèse. À l’échelle d’une bactérie à la durée de vie limitée, un os de baleine est un univers infini qui n’a ni début ni fin.

À notre propre échelle, nous n’avons pas conscience que les bactéries qui vivent à l’intérieur de nos intestins ont un rôle bénéfique. Et là encore, si ces bactéries étaient dotées de conscience, il serait difficile pour elles de concevoir une telle symbiose. À une échelle encore plus grande, qui nous dit que l’univers ne serait pas un système biologique, un réseau inconcevable pour les pauvres bactéries que nous sommes ? Détail amusant, au niveau macroscopique on trouve dans l’univers des objets fractals aux formes similaires à celle de l’ADN ou d’un coquillage, ce sont les galaxies :

Puisqu’on parle de réseau et de cosmos, il est intéressant de constater que les galaxies se groupent en amas. Les scientifiques admettent que notre Voie lactée et la galaxie d’Andromède sont liées gravitationnellement, comme bon nombre de galaxies. Au début de l’année, des astronomes ont enfin pu photographier une partie de ce réseau, de l’hydrogène illuminé par un quasar, et ainsi détecter une gigantesque nébuleuse de gaz et de poussières d’environ deux millions d’années-lumière de diamètre. Bien qu’ils soient totalement différents, le cerveau humain et un superamas de galaxies sont des systèmes d’une complexité inouïe.

Comparer un réseau neuronal avec l’univers connu serait bien sûr faire preuve de réductionnisme tant ces deux systèmes n’ont rien en commun. Mais l’idée de réseau est étroitement associée à la notion d’organisation, de complexité… et donc de sophistication. Ce qui est ironique, c’est que nous étudions bon nombre de réseaux autour de nous, mais que nous avons toujours le plus grand mal à définir ce qu’est « la vie ». Au niveau microscopique, les biologistes ne considèrent pas les virus comme des êtres vivants, mais les classent dans la catégorie des « entités biologiques ». Qui nous dit que l’univers connu n’est pas la minuscule brique d’un organisme vivant bien plus complexe que tout ce que nous pourrions imaginer ? Cela pourrait apporter une réponse au mystère du principe anthropique : certains scientifiques, religieux et philosophes estiment que l’univers comporte tellement de paramètres précis pour que la vie soit possible, que ce même univers a forcément été créé pour que l’homme soit au sommet de cette pyramide de la complexité. Mais avec la théorie d’un univers vivant, l’explication serait beaucoup plus simple :  la vie serait…. banale, et l’homme un maillon de l’évolution, au même titre qu’un virus.

Si dans les siècles ou millénaires à venir, cette hypothèse farfelue venait à être confirmée, ce serait à nouveau une terrible blessure narcissique pour les bactéries l’Humanité.

Bonus : l’épisode « L’univers est-il vivant ? » de la série scientifique « Voyage dans l’espace-temps » de Science Channel, présenté et produit par Morgan Freeman, qui propose plusieurs théories d’astrophysiciens et de biologistes.

 

Published in: on mai 2, 2014 at 9:40  Comments (19)  
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