
Après un an d’absence sur ce blog, je vais vous parler du livre le plus important que j’ai jamais écrit, le moine de Samarcande, un roman qui se confond avec ma propre vie, l’histoire d’une mort et d’une renaissance.
Cela fait des années que je travaille sur ce manuscrit, l’histoire de Zhiyan, un soldat chinois du IXe siècle qui part sur les routes de la Soie en quête d’un remède pour sauver la fille de l’empereur, malade, une femme dont il est éperdument amoureux. Une épopée romanesque et historique aussi bien qu’une oeuvre contemplative à la lisière du fantastique, puisque ce soldat va rencontrer en Asie Centrale des maîtres bouddhistes lors d’une aventure ésotérique qui bouleversera ses certitudes. Ce récit initiatique me tient d’autant plus à coeur que j’appartiens moi-même à cette confession et que mon défunt maître tibétain était un proche du dalaï-lama. En 2016, nous sommes même allés assister à l’un de ces enseignements à Strasbourg. En 2022, j’avais prévu un voyage au Kirghizistan et dans le désert du Taklamakan, en Chine, « le désert d’où on ne revient jamais » afin que mon roman soit le plus réaliste possible.
Je me sentais en osmose avec ce projet, car pendant des années, j’eus l’impression d’être un « bon bouddhiste », j’étais végétarien, je ne buvais pas et ne fumais pas, ne mentais ni ne volais jamais (sauf les stylos de mes collègues de boulot). Je méditais tous les jours, y compris en hiver en T-shirt dans la neige, par 0 degrés : à mon très humble niveau, j’ai quelques notions de toumo, un yoga bien pratique en Lorraine, notre Tibet à nous… On retrouve ce toumo dans le moine de Samarcande.

À l’image de mon héros, je vivais une aventure initiatique au point où je ne savais plus si j’écrivais l’histoire de Zhiyan ou celle de ma vie… Aidé par mon hyposensibilité au froid et au chaud, je pratiquais de plus en plus le toumo, si bien que mon maître me tempérait. Un jour, il m’offrit même une authentique bure de moine tibétain de peur que je ne tombe malade…
Puis vinrent les années 2020, sombres : des décès de proches, dont mon maître, le confinement qui provoqua la fermeture de mon temple, le diagnostic de mon autisme, ainsi que d’autres épreuves personnelles. Je croyais passer à travers tout ça, mais malheureusement j’oubliais une vérité fondamentale : les problèmes qui n’ont pas été réglés avant 40 ans remontent nécessairement à la surface… Au fil des ans, de très mauvais choix mirent fin à mon mariage. En septembre 2022, je quittais mon domicile. Je vécus trois mois dans une cave meublée à écrire les carnets du sous-sol de Dostoïevski, la putain du Caravage, une nouvelle cathartique qui figure dans le recueil les royaumes de Stendhal (d’où la Méduse en couverture…), puis je quittais définitivement Hettange-Grande pour déménager à Metz.
Je l’ignorais, mais je m’enfonçais dans la vase d’une très grave dépression. Certains jours, j’avais très peur d’emprunter le pont pour aller au travail, de traverser la rue ou de me retrouver près de la voie de chemin de fer… de peur d’être « tenté » par une solution aussi radicale que définitive.
J’étais devenu une coquille vide. Je me mis à fumer, à manger de la viande, je n’arrivais plus à méditer, j’avais froid tout le temps, j’avais « perdu mon toumo », mon feu interne. Je ne nourrissais plus aucune passion pour quoi que ce soit. Je pouvais passer le dimanche allongé dans mon lit, les yeux ouverts, je faisais même preuve de cynisme à l’égard du monde… Moi qui étais d’habitude coquet, repasser mes chemises devenait une tâche herculéenne. J’étais devenu étranger à moi-même, incapable de poursuivre l’écriture du moine de Samarcande car je ne me sentais plus du tout digne et légitime pour un tel projet. À vrai dire je trouvais que je n’étais pas quelqu’un de bien, je me demandais si je n’étais pas un imposteur. Qui étais-je vraiment ? Même Google ne savait plus quoi me répondre, le célèbre moteur paniquait et m’ordonnait de « parler à quelqu’un aujourd’hui » quand j’envisageais sérieusement de quitter ce monde.

Un jour, alors que j’étais prêt à passer à l’acte, mon ami Nicolas m’hébergea chez lui plusieurs jours, pour m’écouter tandis que nous nous occupions des lapins de son jardin. Quand je lui confiais mes pulsions, ce que j’appelle pudiquement mes pensées « mélancoliques », il me parlait avec justesse du chagrin que mon fils éprouverait s’il venait à m’arriver malheur. Pendant ces quelques jours cruciaux, Nicolas fit plus que me venir en aide, il me sauva la vie. Nicolas devint mon frère.
Je me tournais aussi vers mes amis d’enfance ; Laurent, que j’avais quotidiennement au téléphone ; Damien, qui m’avait mis dans sa valise pour que nous allions méditer dans des temples bouddhistes en Malaisie pendant mon chemin de guérison, ainsi qu’au Brésil… Deux voyages extraordinaires.

Je pouvais aussi compter sur mon amie autrice Genny, mon musicien de frère et sa compagne, la non moins artiste Isabelle, et aussi l’héroïque Johann « Etrange Grande » Girost qui devint, en pleine préparation de la seconde édition, le président de mon festival. Dans mon malheur, je réalisais que non seulement j’avais la chance d’être bien entouré, y compris par la quasi-totalité des collègues de boulot de ma médiathèque, mais qu’Anne-Lorraine, mon ex-femme, eut la force de se montrer bienveillante malgré notre divorce qui, pour de nombreuses raisons, était inévitable. Cela étant, j’avais perdu l’essentiel de mes repères. J’avais parfois l’impression de trahir mon maître.
Un jour mon ami Dominique, bouddhiste, me confia en souriant : « mais JS, tu ES toujours bouddhiste ! ». J’en eus les larmes aux yeux. Je fus aussi ému quand mon ami auteur, l’immense Jean-Laurent Del Socorro, vint me voir à Metz alors que j’allais mal. Il me proposa de lire le manuscrit du moine de Samarcande pour m’aider dans mes blocages, quel honneur… Je ne pourrai jamais remercier assez toutes les personnes que j’ai citées, ainsi que mon mentor, le docteur Kieffer, le psychiatre qui a diagnostiqué mon autisme, cet inconnu intime qui, ironie du sort, est peut-être la personne qui me connaît le mieux sur Terre.
Pendant dix mois, je fus sous anti-dépresseurs, associés à un régulateur d’humeur car mon autisme asperger est (c’est courant dans ces cas-là) cyclothimique : les moments où je vais bien je suis très « haut », mais quand je vais mal, c’est une autre histoire… À une moindre échelle, être cyclothymique, c’est un peu comme être bipolaire. Je finis par découvrir que la dépression de l’autiste asperger était beaucoup plus violente que la version neurotypique. La bonne nouvelle avec ces médicaments, c’est que je guérissais lentement, la mauvaise c’était qu’au niveau de ma sensibilité, tout était terne. Tout était « pas mal », que ce soit la lecture d’un livre, la vision d’un film, l’organisation de mon propre festival, la dégustation d’une pizza ou Rachida Dati… Je ne vibrais plus, je n’arrivais toujours pas à écrire, j’étais, comme Christian Bale dans Equilibrium, anesthésié, sous camisole chimique.
J’éprouvais infiniment plus de plaisir à animer des ateliers d’écriture et à aider de jeunes écrivains à être publiés qu’à écrire mes propres romans ! J’étais sorti de ma dépression, mais étais-je encore un auteur ? Etais-je seulement bouddhiste, moi qui avais rompu presque tous mes voeux ? L’événement clef fut le jour où j’oubliais de prendre mon régulateur d’humeur : au moment de raconter l’histoire d’un film émouvant à un collègue de boulot, je commençais à avoir les larmes aux yeux… ça y est ! Je ressentais enfin les émotions pleinement, ce qui me manquait pour écrire. Une nuit, je fis un rêve : hilare, j’accomplissais des bonds extraordinaires dignes de Spider Man, poursuivi par un vieil agent de sécurité aigri qui se cognait partout sans jamais réussir à m’attraper, parce que la vie était légèreté… J’arrivais au travail de bonne humeur, et pendant plusieurs jours je ressentis la gaieté de ce songe.
Avec l’accord de mon thérapeute, je décidais de stopper progressivement, l’un après l’autre, mes deux traitements médicamenteux… et ce fut une aventure troublante : je me retrouvais un jour sous la pluie, à m’arrêter de marcher juste pour sentir les gouttes d’eau caresser mon visage. Peu à peu, je retrouvais cette sensibilité qui me faisait défaut, cette joie de vivre aussi. La joie d’écrire. Progressivement, les blocages sur le moine de Samarcande disparaissaient à mesure que je reprenais doucement la voie de l’écriture. Mieux : le manuscrit gagnait en maturité.
La semaine dernière, j’ai encore passé une étape, car j’écris désormais sans effort, n’importe quand, que ce soit le matin, avant le travail ou même le soir… À vrai dire, j’écris n’importe où sur mon MacBook Air, créer est redevenu naturel, presque banal… La nouvelle version du manuscrit sera terminée cette année, c’est une certitude. À ce jour, le moine de Samarcande est ce que j’ai écrit de mieux, ne serait-ce que parce que je suis de nouveau en accord avec les valeurs de mon héros, mais aussi avec le bouddhisme lui-même. Comme Zhiyan, j’ai mûri sur le plan spirituel : un jour, alors que j’étais pris dans une activité anodine, j’ai soudain senti la pleine présence de mon maître, son amour bienveillant et sa compassion, ainsi que son sourire rieur, comme s’il était physiquement près de moi, au point où les poils de mon corps se hérissaient. Par-delà la mort il était toujours là pour moi, sans jugement aucun pour mes actes ou ma personne. J’ai senti cette présence plusieurs fois.
Aujourd’hui, je ne nourris pas d’amertume, j’ai fait la paix avec mon passé et j’ai bien plus d’expérience qu’avant. Je suis heureux de vivre à Metz, peu importe ce que la vie m’offrira, je le prendrai sans rien attendre en retour.
Comme Zhiyan, j’ai appris à me pardonner. Même si je suis sensible, j’ai découvert que je suis beaucoup plus fort que je ne l’imaginais de prime abord, j’ai retrouvé mon toumo, mon feu interne. Sans la boue pas de lotus : malgré tout ce que j’ai pu penser de moi par le passé, sans vouloir me montrer prétentieux, aujourd’hui je sais que je suis quelqu’un de bien. Je ne suis pas un bodhissattva parfait pour autant, juste un être humain, dont les imperfections font la richesse. Je suis serein, confiant en l’avenir. L’ancien moi est mort, mais de ces cendres est né un être plus équilibré, plus mature, et en même temps toujours aussi passionné : cet été j’ai très envie de partir en Chine dans le désert du Taklamakan, sur les traces de mon héros, Zhiyan. Jamais je ne me suis senti plus en adéquation avec la fameuse phrase de Nietzsche :
ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts.
Allez viens Zhyan, on a un bouquin à terminer.




NAMATSE nouveau JS
Merci !
Que d’émotions à te lire et que d’épreuves traversées… Je n’ai pas de mots, à part te dire que même si nous sommes éloignés physiquement, tu peux compter sur les gens qui t’aiment. Ne l’oublie jamais. Content de voir que Zhyan a repris son voyage et que ta créativité lumineuse refait surface après avoir été obscurcie. Bonne route à tous les deux, mon frère de plume. ❤ ❤ ❤
Merci Grand Cristalliseur pour tes mots qui me touchent. Oui, la vie nous a éloigné, mais tu es typiquement l’ami qu’on retrouve au bout de dix ans et avec qui on peut discuter comme si on s’était quittés hier 🙂 Oui, Zhyan a repris son voyage, et c’est fou car la version actuelle du manuscrit est infiniment plus aboutie que la V1 que tu avais lue… J’ai enfin trouvé le digne projet qui pouvait succéder aux pirates de l’Escroc-Griffe : un roman qui ne ressemble pas aux pirates de l’Escroc-Griffe… J’ai hâte que tu lises le résultat final… 😉
J’ai aussi hâte de te lire et si tu as du temps, n’hésite pas à m’appeler pour papoter. Bises.
Merci pour ce douloureux et beau partage, mon cher Jean-Sébastien. 💙
Oui, tu ES une belle personne, ne serait-ce que par ces doutes et ce cheminement difficile.
Tu oublies de mentionner le rayonnement que tu dispenses via le salon d’Étrange-Grande et qui ne doit pas être négligé.
Bref, je t’embrasse bien fort. 😘
Merci Nathalie pour tes mots ❤ Comment vas-tu ? J'espère te croiser dans un festival comme au bon vieux temps 😉 Quand viens-tu à Etrange Grande ? Bises ! ❤
Je vais très bien, merci, même si je cours un peu partout… 🤪
Oui, ce serait trop bien de se revoir en salon mais je ne « monte » plus au-dessus de Lyon et de ton côté, j’imagine que Lyon ça fait loin…
Bon, bien sûr, si je suis invitée à Étrange Grande, j’accours, hein. 😉😉😉
Grosses bises et prends bien soin de mon pirate bouddhiste préféré. 😘
❤ C'est noté, gros bisous 😉
Cher JS,
Je suis bouleversée par tes paroles. C’est terrible de réaliser que qu’on perçoit en te regardant, quelqu’un de lumineux, de serein, qui inspire une grande tendresse, ne sois pas ce que tu ressens quand tu te débats avec toi-même. On est vraiment son pire ennemi et tu as raison, il faut apprendre à se pardonner et à s’aimer et ça, c’est quelque chose que personne ne peut faire à ta place. On se connait si peu finalement, et pourtant, il m’arrive très souvent de me demander comment tu vas, est-ce que tu vas bientôt écrire un nouveau livre? Je ne suis pas quelqu’un très à l’aise avec les autres, je suis d’une hypersensibilité maladive et j’ai peur de me dissoudre face aux émotions. C’est pourquoi parfois je ne peux pas aller au-devant des autres comme je le voudrais. Mais je t’assure que tu comptes beaucoup pour moi et j’en suis certaine, pour toutes les personnes qui te connaissent. Cela fait partie du succès du salon d’Etrange-Grande.
Alors, ça vaut ce que ça vaut, mais prends bien soin de toi. On tient à toi. Et on attends ton prochain livre avec impatience,
Bien à toi,
Sylvia Da Luz
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Oh Sylvia, je suis profondément touché par tes paroles, vraiment ❤ Tu as si bien résumé en écrivant "on est son pire ennemi", c'est vrai. Ce qui me fait rire, c'est que j'ai un côté Benoît Poelvoorde : même au fond du trou, j'arrive à faire rire mes collègues de boulot… et cette sensibilité se ressent dans l'écriture des pirates de l'Escroc-Griffe, qui est tragi-comique… Merci encore pour tes mots qui me vont en plein coeur, j'ai la chance de t'avoir parmi mes amis ❤
Salut JS, J’ai beaucoup de plaisir à te lire car j’y vois la marque d’un « cheminant »sincère, d’un aventurier de l’esprit, au coeur pur et à l’esprit incisif qui traverse les zones d’ombres avec authenticité…
« Reste fixe au poteau de tes souffrances et tu t’en libéreras.. », nous dit une très ancienne parole issue du Bouddhisme Nyîngmapa.
Et surtout, ta présence est très précieuse pour moi dans mon projet d’écriture pour le donner enfin le courage qui me fuyait jusqu’à présent. Alors tous mes encouragements pour ce projet dont la dernière phrase, que j’aime beaucoup, exprime a elle seule la quintessence.
Bonsoir Dominique, merci pour tes mots pleins de sagesse… Très beau ce précepte Nyîngmapa, presque zen… J’ai hâte d’échanger avec toi concernant ton manuscrit 😉 A très vite.
[…] Suite à mon article précédent, je vous dévoile aujourd’hui dans son intégralité le projet artistique le plus important de toute ma vie, le Moine de Samarcande.Un projet de roman hors-norme qui intéresse plusieurs éditeurs puisque, pour que ce livre soit le plus réaliste possible, je monte une expédition en Chine dans le désert du Taklamakan ! L’aventure ne s’arrête pas là car je serai accompagné par le photographe Kenya Leone, dont le travail servira de trait d’union entre mon récit et le voyage à proprement parlé : pour faire simple, un écrivain et un photographe vont vous raconter le désert du Taklamakan à travers une exposition qui aura lieu lors de la publication du Moine de Samarcande. Au menu de cette expérience artistique hybride, des photographies accompagnées d’extraits de mon livre, d’où le nom de l’expo : Sur les traces de Zhiyan. […]
[…] perdu toutes mes valeurs spirituelles, d’être « figé » dans ma dépression : je ne parvenais plus à méditer dans mon petit studio qui me complexait de par son côté […]
[…] de financement participatif sera lancée, une simple adresse mail suffit.Épisodes précédentsEpisode 1 : le Moine de SamarcandeEpisode 2 : Sur les traces de […]