Apple, Amazon, les éditeurs : la guerre du livre numérique a bien eu lieu

 

 

 

 

 

 

 

 

 

J’ai lu en deux heures l’excellent bouquin d’Andrew Richard Albanese : 9,99$, La Guerre du livre numérique. Il faut dire que le geek que je suis était particulièrement concerné par le sujet : j’ai acheté l’iPad dès sa sortie en 2010, et plus tard j’ai basculé du côté obscur de la Force avec un Kindle, sans pour autant renier l’iPad, qui me sert à lire des comics en couleurs. Andrew Richard Albanese a parfaitement résumé la courte (mais tumultueuse) histoire de l’ebook. Depuis 2010, ce ne sont pas quatre années, mais plutôt quatre siècles qui se sont écoulés ! Les liseuses, les tablettes et les smartphones sont partout. Et pourtant en France, le marché des livres numérique se développe lentement. La technologie a beau être mature, le monde de l’édition n’a pas forcément pris la mesure de cette révolution qu’est la dématérialisation, une lame de fond qui a failli emporter l’industrie musicale à la fin des années 90. Le livre d’Albanese se résume à une seule problématique.

Le prix d’un ebook est le nerf de l’éditeur, euh, de la guerre

Alors que le monde du livre connait une crise sans précédent, quel prix faut-il fixer à un ouvrage numérique ? Cette question a priori toute simple a fait couler beaucoup d’encre (et usé pas mal de touches). Je me rappelle encore de ma réaction ahurie lorsque j’ai voulu acheter mon premier ebook.

À la sortie de l’iPad, un Stephen King valait au moins 15 euros ! Les ebooks étaient vendus non pas au prix des livres de poche, mais comme des grands formats… Aujourd’hui la situation a évolué : on peut acquérir sur son iPad ou son Kindle le premier tome du Trône de Fer pour 8,99 euros. C’est un peu plus cher que la version poche (7,70 euros), mais bien moins qu’un grand format (21,19 euros). Alors, quel est le prix idéal d’un ebook ? La question est plus complexe qu’elle en a l’air, car elle concerne la valeur qu’on attribue à un livre. Je reconnais que si les éditeurs s’amusaient à vendre leurs romans 99 centimes, ces ouvrages perdraient beaucoup de valeur. D’ailleurs, combien de gens ont téléchargé gratuitement des livres numériques qu’ils n’ont ensuite jamais lus ?

Le problème, c’est que le lecteur est face à un nouveau paradigme, un peu comme nos ancêtres lorsque l’imprimerie est apparue à la fin du Moyen-Âge. Avant cette invention, chaque livre était un objet d’art unique, mais sa lente conception coûtait horriblement cher. Lorsque Gutenberg a inventé ses célèbres caractères mobiles en plomb, une partie de l’élite intellectuelle a regretté que la culture du manuscrit ait été terrassée par des artisans équipés de presses à imprimer. Avec la désacralisation du livre, l’impensable était pourtant arrivé : acheter un ouvrage n’était plus un luxe réservé à une minorité. Le bénéfice était si immense, qu’à l’exception des moines-copistes, tout le monde était d’accord sur l’idée que cette industrialisation était une évolution nécessaire. Je ne vais pas être hypocrite : si j’avais la possibilité de choisir entre l’ebook de la Vie des douze Césars de Suétone, et une version médiévale écrite sur du parchemin, j’opterais bien évidemment pour le magnifique ouvrage de n’importe quel moine-copiste. Mais qui oserait aujourd’hui soutenir que l’imprimerie de Gutenberg n’a pas été un progrès fondamental pour l’Humanité ? Au fil des siècles, cette désacralisation du livre, qui est avant tout une démocratisation de la culture, n’a cessé de s’accentuer avec, par exemple, la reliure industrielle au XIXe siècle, la naissance du pulp, l’édition de poche au XXe siècle et… l’ebook.

Mais en France, les lecteurs considèrent que cette dématérialisation devrait permettre une baisse de prix beaucoup plus conséquente, c’est d’ailleurs l’un des facteurs qui explique pourquoi le livre numérique s’implante plus lentement dans notre pays.

Un facteur culturel

Le débat fait rage entre les défenseurs du noble objet-livre et les partisans du numérique, accusés de le désacraliser. Ironie du sort, on pourrait intenter le même procès à nos imprimeurs car l’encre de nos livres actuels aura bien du mal à traverser les siècles… contrairement à celle utilisée par les moines-copistes ! Certains rétorqueront, avec raison, qu’il n’est pas impossible qu’au fil des décennies ces fichiers deviennent obsolètes. Pour ces allergiques au numérique, un ebook à 99 centimes sera toujours trop cher, étant donné qu’il n’est pas « garanti à vie ». En y réfléchissant bien, l’argument du manque de fiabilité qui a été reproché au numérique peut se retourner contre le papier, avec des livres susceptibles d’être perdus lors d’une inondation ou durant un déménagement (j’en sais quelque chose, snif). Avec la dématérialisation, et de nouveaux modèles économiques, une telle perte devient virtuellement impossible. C’est là où, à mon humble avis, la polémique du numérique est à côté de la plaque : beaucoup de gens redoutent que ce format ne se substitue au papier, comme jadis l’imprimerie le fit pour le manuscrit. Mais c’est oublier que les deux supports sont complémentaires, et vont encore cohabiter très longtemps. Pourquoi faudrait-il choisir ? On ne le répétera jamais assez, rien ne remplacera un livre papier. Mais à côté de ça, quel bonheur de transporter dans la poche sa bibliothèque idéale à l’autre bout du monde ! De lire durant la nuit dans son lit sans déranger sa moitié ! Et de savoir que même si votre liseuse rend l’âme, tout votre collection est sauvegardée dans le cloud.

Le numérique amène de nouveaux paradigmes comme Youbox, le « Spotify » de l’ebook. Un autre modèle économique est encore plus révolutionnaire : le projet Bradbury. L’auteur Neil Jomunsi, alias Julien Simon, s’est fixé le pari fou d’écrire 52 nouvelles en un an, soit une par semaine. On peut acheter une nouvelle en numérique à l’unité pour 1 euro, ou bien s’abonner pour soutenir sa démarche créative. Pour moi, ce sont des innovations de ce genre qui imposeront le livre numérique, en donnant la possibilité au lecteur de découvrir autrement des univers… et des écrivains.

Dernier paradoxe, et non des moindres : pendant qu’on débat du juste prix d’un ebook, le livre papier continue d’évoluer ! L’impression à la demande permet désormais d’obtenir de beaux ouvrages. C’est un nouveau modèle économique qui se met en place pour les éditeurs et les libraires : non seulement il n’y a plus besoin de stockage, mais les invendus ne partent plus au pilon. Les écrivains en profitent également, puisque la rupture de stock appartient au passé. Leurs livres ne seront donc jamais épuisés. Ironie du sort, cette technologie rappelle furieusement l’époque du moine qui recopiait un livre pour honorer la commande d’un client ! Je suis convaincu que dans les prochaines décennies, les progrès de l’impression 3D autoriseront une révolution encore plus merveilleuse : l’impression à la demande d’objets-livres !

EDIT : on commence à aller vers cette direction, comme le montre ce reportage

Et vous, combien d’euros êtes-vous prêts à investir dans un ebook ?

Des moines-copistes à la demande dans l’Écume des Jours

Published in: on avril 11, 2014 at 11:15  Comments (28)  
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