Après deux ans de travail sur mon nouveau roman, je suis à la fois soulagé et étonné. J’ai compris début janvier pourquoi mon manuscrit souffrait de plus en plus de boulimie : j’ai écrit non pas un mais deux tomes en même temps ! J’ai donc divisé mon projet en deux et, parfois, moins c’est mieux.
Ce qui est incroyable, c’est qu’en changeant d’échelle, en travaillant sur une portion plus petite de mon histoire, mon tome 1 nouveau format est devenu très facile à manipuler. Comme si je descendais d’un poids lourd pour conduire une voiture de sport. Cette prise de conscience, je la dois à Candy.
Oui, je parle bien de mon lave-vaisselle.
Lorsqu’il est arrivé chez moi le 29 août 2018, je me souviens avoir ressenti le même élan d’amour que lors de la réception de mon premier robot aspirateur Roomba : plus besoin de consacrer une demi-heure à une activité inintéressante au possible ! Ce jour-là, alors que je jetais un œil sur l’écran de mon ordinateur, je compris que Scrivener, le lave-vaisselle et le Roomba possédaient la même finalité : me redonner du temps libre. À 41 ans, je découvrais enfin l’eau chaude que les outils sont essentiels, ne serait-ce que pour fermer les boucles de longs projets, et ne pas me perdre dans des tâches insipides. C’est ce que répétait ma femme, que je ne remercierai jamais assez pour m’avoir conseillé le sacro-saint bullet journal. Il est lui-même inspiré de la méthode GTD, recommandée par mon gourou numérique, l’incontournable Lionel Davoust dont le blog est d’utilité publique. Armé de mon propre bullet journal, je me suis décidé à cocher des cases chaque jour, les fameux trackers, en fonction de mes besoins.
C’était l’occasion de remettre ma vie à plat, de sabrer dans le superflu et d’établir des priorités : marcher vingt minutes par jour, écrire, faire le ménage, mais aussi lire, méditer et même regarder un épisode d’une série : pourquoi une journée devrait-elle être constituée uniquement de tâches fastidieuses ? Quand je me détends, je me ressource et je deviens un meilleur auteur, c’est donc une priorité. J’adore la réflexion de mon amie Silène Edgar à propos de son rapport à ce qu’elle appelle « les tâches joyeuses »
Les tâches joyeuses, comme lire pour le travail, me promener pour le travail, aller au cinéma pour le travail, faire des courses pour le travail, etc… je ne me les représente pas comme des pauses ou de la détente, je les prends pour ce qu’elles sont : des tâches. Je cesse d’associer travail et souffrance. Effort joyeux.
Les trackers du bullet journal m’évitent également de ruminer plusieurs fois dans la journée des questions du style « as-tu donné à manger au chat ? », des pensées inutiles qui forment des boucles infernales.
Ces charges mentales étant supprimées, on ne pense plus qu’à la tâche qui nous occupe durant l’instant présent. Le seul impératif c’est, bien sûr, d’ouvrir cet outil tous les jours et de rayer ce qui a été accompli pour ne plus s’en préoccuper, mais pour moi cela en vaut vraiment la peine. Mon bullet journal n’est finalement rien d’autre qu’un deuxième cerveau de papier qui libère de la bande passante. Moi qui suis bordélique et un peu rétif à toute forme d’organisation, je trouve ce processus ludique : le matin, alors que j’ai encore beaucoup d’énergie, j’ai envie de cocher un maximum de cases afin que mon après-midi soit moins chargé. C’est ce que les utilisateurs de bullet journal appellent le magic morning.
En associant mon bullet journal à Scrivener, écrire est devenu beaucoup plus simple… et ma vie quotidienne aussi. Grâce à mes trackers, j’en suis arrivé au constat que virtuellement tout peut être amélioré, un peu comme sur Wikihow. C’est la base du life hacking, l’idée qu’on peut progresser dans plein de domaines en même temps. C’est grâce au life hacking que j’ai compris en septembre pourquoi j’éprouvais, depuis deux ans, des coups de fatigue ponctuels. La plupart des Français manquent de vitamines D et suite à une prise de sang, j’ai découvert que le brun-végétarien-lorrain d’adoption que je suis ne faisait pas exception à la règle ! Depuis cette prise de conscience, je prends de la vitamine D tous les jours (c’est la case « Vitamines » de mon bullet journal) et cet hiver je n’ai pas subi mon habituelle déprime hivernale du mois de novembre, j’ai même plus d’énergie qu’avant.
Je n’étais pas très organisé, je manquais de vitamines, je ne pratiquais pas assez de sport… voilà pourquoi j’avais l’impression que mon roman avançait lentement. Alors qu’il y a quelques années, je luttais contre ma tendance névrotique à écrire jusqu’à l’épuisement, aujourd’hui je procède de manière radicalement différente : plusieurs activités prioritaires dans la journée, mais sur des durées plus restreintes, tout en prenant bien soin de ne pas me carboniser ou de trop multiplier ces mêmes activités. Si je sens la fatigue venir, j’annule une sortie. Résultat : je travaille de manière plus efficace, non pas parce que je bosse comme un âne, mais parce que j’ai changé d’échelle et que l’acte d’écrire me donne beaucoup plus de plaisir. Le constat est similaire en ce qui concerne la lecture. Il n’y a pas si longtemps, j’étais capable de lire très vite un livre en y consacrant plusieurs heures par jour, alors que maintenant je prends le temps de saisir des notes dans mon bullet journal. Parfois, dans une journée je ne lis qu’une page et je fais une pause pour y réfléchir… ce qui aurait été inconcevable pour moi il y a encore quelques mois ! Mais dans mon fort intérieur, je sais que je finirai inévitablement par terminer ma lecture en cours, peu importe le temps nécessaire. Au final, elle sera beaucoup moins superficielle que si j’avais dévoré le même bouquin en 48h00.
Je suis désormais persuadé que la philosophie gradualiste, « un peu tous les jours », est la plus efficace sur le long terme. On retrouve d’ailleurs ce propos de deux ouvrages tibétains célèbres que j’étudie depuis plusieurs années, le Livre Moyen et le Grand Livre de la progression vers l’Éveil. Écrits par Djé Tsong Khapa entre 1402 et 1415, ces manuels sont les textes fondateurs de la doctrine guélougpa, l’école à laquelle appartient le Dalaï Lama. Après (quasiment) cinq ans de méditation et de lectures de livres bouddhistes, j’ai enfin compris que cette approche gradualiste peut vraiment s’appliquer à tous les domaines. Ainsi, depuis quelques semaines, je pratique dix minutes de taï chi par jour au lieu de me contenter d’une seule grosse séance le dimanche… Moi qui suis aussi souple qu’un bâton, j’arrive presque à toucher mes pieds ! Cerise sur le gâteau, j’ai constaté que cette raideur vient en grande partie d’une peur enfantine dont je ne soupçonnais absolument pas l’existence. Toujours dans cet ordre d’idée, j’ai même créé un atelier d’écriture dans ma ville ! (case « atelier »). Je ne l’anime qu’une séance par semaine mais ce travail me rend heureux, il me permet d’améliorer ma propre technique et de rencontrer des gens formidables.

Article du Républicain Lorrain
À force d’avoir des cases en moins de construire toutes sortes de projets avec ces fameuses dix minutes quotidiennes, j’ai l’impression étrange que la vie elle-même gagne une nouvelle dimension. Chaque journée devient passionnante. Cette philosophie fonctionne aussi pour les relations humaines : téléphoner à quelqu’un une fois par jour, même quelques minutes, peut lui procurer beaucoup de bien.
Les personnes très structurées qui liront cet article ne pourront s’empêcher de sourire ou de se moquer devant mon catalogue d’évidences, et je les comprends. Cependant, au fil des années je constate que beaucoup de gens ont, comme moi, souffert d’un manque d’organisation qui dépasse largement le cade du travail. On devrait peut-être davantage apprendre à l’école ce qu’est un art de vivre. Si, plus jeune, on m’avait donné les outils pour mieux me connaître, je pense que j’aurais gagné beaucoup de temps, et j’aurais surtout mené une vie plus sereine, et même plus saine. Détail amusant, le mot tibétain pour « méditer » est sgom སྒོམ , il signifie « s’habituer »… dans le sens « s’habituer à soi-même ». Tout cela pour dire que le gradualisme est, à mes yeux, une philosophie holistique qui sacralise chaque instant de l’existence.
Les bénéfices sont virtuellement infinis.
Bel article, profond et plein d’humour, comme toujours. Je suis en train (enfin) de structurer mon temps et mes occupations. Je me cherche un peu, d’ailleurs. Je me suis rendu compte que c’est la première fois, depuis l’enfance, où je suis parfaitement libre de mes journées, où je n’ai de compte à rendre à personne. C’est la première fois (ou presque, j’avais pris un congé parental, mais bon, avec un bébé et deux autres enfants, la liberté était toute relative) et c’est vertigineux. Il me parait utile en effet de caler un minimum ce temps pour éviter de le perdre et de ne pas en profiter pleinement. 🙂
Merci 😀 C’est vertigineux, mais je suis sûr que tu vas trouver ton équilibre, disposer d’une telle liberté, c’est divin 🙂 Bon courage pour tes corrections éditoriales 😉
Yes ! Un nouvel adepte du bujo !!! ♥ Bien contente que cela marche pour toi et que tu aies retrouvé du temps pour écrire et avancer sur ton manuscrit…
Moi j’avance bien également… Bon, pas sur mon manuscrit, mais sur d’autres nouveaux aspects de ma vie et c’est très bien aussi. 🙂
Par contre, je pense que tu peux alléger ta charge mentale concernant le chat : je suis certaine qu’Heidi ne se laisserait pas mourir de faim et qu’elle saurait te signifier que tu as oublié ses croquettes ! :p
Bonne continuation !
Merci pour ton message ! Oui, j’ai vu que tu es conférencière, je n’ai pas eu l’occasion de te féliciter pour cette nouvelle corde à ton arc 🙂 Concernant le chat, je ne sais pas si c’est propre à la personnalité du persan, ou si c’est vrai pour tous les chats, mais l’éleveuse d’Heidi m’avait conseillé de m’assurer que sa gamelle soit toujours remplie de croquettes… car Heidi vient régulièrement dans la journée l’inspecter, même si elle n’a pas faim ^^ Une gamelle vide est pour elle anxiogène… Voilà, tu sais tout ^^
Bonne continuation à toi également ❤
Merci pour ce point de vue très intéressant sur le bullet journal. Pour ma part, je n’ai pas réussi à m’approprier cet outil, mais bizarrement pour des raisons proches de celles qui vous le font aimer ! Je vous rejoins en revanche sur le fait que des outils adaptés à nos besoins nous permettent de mieux travailler. Et sur l’approche gradualiste (même si je ne savais pas que ça s’appelait ainsi)…
J’apprends plein de choses en vous lisant. C’est un plaisir 🙂
Merci pour votre gentil commentaire, je suis heureux si mes articles vous semblent pertinents 🙂 En ce qui concerne le bullet journal, mon utilisation est loin d’être représentative : sur le sien, ma femme n’utilise pas de traqueurs, elle n’arrive pas à les compléter ! Ce qui est tout à fait normal : il y a autant de BJ que d’utilisateurs…
[…] reste très difficile pour moi. J’ai des problèmes de concentration, j’ai besoin de listes et de grilles sinon « je me […]