« Publish or perish » ont coutume de répéter les chercheurs. Est-ce la même problématique pour un auteur ? La question est plus complexe qu’elle n’y parait car une fois publié, un écrivain se retrouve à la croisée des chemins, confronté à deux variables a priori inconciliables.
D’un côté, il y a la variable « artistique ». Écrire un manuscrit va prendre un certain temps de travail pour atteindre un niveau de qualité subjectif qui donnera satisfaction à son auteur (ou pas)… sans pour autant qu’il puisse tirer de conclusions. On peut passer sa vie à corriger un seul texte sans parvenir à en faire un bon roman ou bien écrire un premier jet en trois jours… Cela dit, il faut faire preuve de bon sens et d’humilité : sans corrections, il y a 99% de chances que votre manuscrit finisse dans la corbeille de l’éditeur*.
De l’autre côté, il y a la variable « économique » qui en France, bizarrement, dérange un sacré paquet de monde**. N’en déplaise à certains, un auteur écrit aussi pour gagner (un peu) d’argent, et même pour ne pas être oublié des lecteurs… ou des éditeurs. C’est une angoisse qui touche énormément de romanciers, y compris les plus connus. Depuis des années, Bernard Werber et Amélie Nothomb ont opté pour une publication par an. Beaucoup d’auteurs sont publiés une fois tous les deux ans… ce qui est déjà, pour moi, énorme. Mon éditeur a voulu publier dans la foulée les trois tomes des pirates de l’Escroc-Griffe à quelques mois d’intervalle, ce qui est compréhensible car lui-même subit une certaine pression : nous sommes dans l’ère de l’immédiat et de l’abondance. Une nouveauté en chassant une autre, de moins en moins de lecteurs sont fidèles aiment attendre, ce qui explique pourquoi sur un tome 2 un auteur peut perdre la moitié de ses lecteurs. Je vous rassure, ce n’est pas une attaque pleine d’amertume, mais juste le constat d’un phénomène récent.
Fort heureusement, certains auteurs « graphomanes » sont naturellement prolifiques… en plus d’avoir une plume qui force le respect. Robin Hobb a écrit cinq trilogies, deux tétralogies et quantité d’autres textes, tandis que les Annales du Disque-Monde de Terry Pratchet comportent 35 volumes… juste pour ce cycle. Et que dire de Fondation, l’oeuvre phare d’Asimov, écrit en 19 tomes ? En France, nous ne sommes pas en reste. À seulement 50 ans, Laurent Genefort a publié… plus de 50 romans. Il a marqué au fer rouge le paysage de la SF français avec des œuvres fortes telles que Omale ou Spire. Comme j’ai la chance de la connaître dans la vraie vie, je me suis permis de lui demander son secret, voici sa réponse :
Pas de secret, mais il faut avoir un certain profil psychologique !
1. ne pas craindre de se retrouver seul, tous les jours, face à un clavier d’ordinateur : il faut aimer travailler seul.
2. être conscient que, sauf miracle, on ne deviendra jamais riche, et que l’on exerce un métier précaire ; vivre, dans le métier d’auteur, c’est survivre. Cela étant, écrire est passionnant et gratifiant. Pour moi, c’est un métier à degré de pénibilité zéro ! Concrètement : j’écris peu, mais tous les jours.
Une réponse sans ambiguïté qui rejoint l’approche de Lionel Davoust. Inutile de dire que c’est vraiment très impressionnant de savoir que ces romanciers aient réussi à maintenir au fil des ans une telle qualité d’écriture, sans parler du plaisir ressenti… à moins que ce rythme soutenu ne soit précisément l’une des clefs expliquant cette fameuse qualité, comme l’entrainement d’un sportif de haut niveau ? Je pense que c’est une piste qui mériterait d’être explorée.
D’autres auteurs sont infiniment plus lents… c’est mon cas.
Cela fait deux ans que je n’ai pas eu d’actualité éditoriale. Ce n’est ni bien, ni mal. De la même façon qu’il est toujours intéressant de savoir si l’on est architecte ou jardinier, il est tout aussi utile de connaître ses limites, ne serait-ce que pour éviter le burnout. En ce qui me concerne, à mon humble niveau, je suis la philosophie du sakka-do***
Non, pas celui-là ! Je parle du dao de l’écrivain, en japonais 作家道 (merci à Cécile Duquenne pour m’avoir repris sur l’orthographe), un concept que j’avais imaginé dans cet article. L’idée, c’est de prendre mon temps… parce que de toute manière je ne sais pas travailler autrement. J’ai pourtant la chance inouïe d’écrire à la maison chaque après-midi sur mon ordinateur, cela signifie que je suis « riche » en capital-temps, mais je demeure aussi lucide. Si je multipliais les projets, ce serait la catastrophe assurée. Il y aurait un moment où je serais obligé de « bâcler » un bouquin. J’ai beau être un architecte dans mon écriture, mes idées, elles, ont besoin de prendre de la maturité, de grandir comme des arbres avant que je puisse en récolter les fruits. Bien sûr, savoir d’avance que je vais écrire peu de livres dans ma carrière d’auteur ne m’immunise pas contre un échec critique et/ou commercial ! D’un point de vue statistique, mon approche aurait même tendance à minimiser considérablement mes chances d’écrire un jour un hypothétique « best-seller »… mais en écrivant plus vite, je sais instinctivement que je décevrais mes lecteurs et ça, c’est quelque chose qui m’est insupportable. Cela ne veut pas dire que mes romans sont parfaits, loin de là ! Des lecteurs ont forcément été déçus par l’un de mes bouquins. Cependant, qu’on les aime ou pas, j’ai la prétention de croire que chacun de mes livres a au moins amené des idées originales et/ou distrayantes, et cela me suffit largement.
Au final, peu importe la variable artistique ou économique, l’essentiel est de trouver son propre rythme et de prendre du plaisir dans l’écriture !
* Un ami éditeur m’a d’ailleurs brisé le cœur en me confiant que cela ne l’étonnait guère que Michael Moorcock ait écrit ses romans les plus connus en trois jours car ils n’étaient « pas terribles »… Un autre éditeur m’a avoué qu’il était tout autant intrigué que moi par la disparition de cet auteur phare du paysage éditorial français et m’expliquait que c’était peut-être lié à une traduction parfois médiocre. Mes beaux souvenirs d’adolescence seraient-ils subjectifs ? Maintenant que j’y pense, j’ai un peu peur de relire du Moorcock, argh !
** « Vous en vivez ? » est, je pense, la question qu’on m’a le plus posé en tant qu’auteur.
*** J’espère que vous ne m’imaginez pas comme le Duke de The Big Lebowski, hein ?
Alors… arriver à écrire plus vite, chez moi, c’est venu à l’usage. j’avais une cadence misérable au départ, et maintenant j’arrive à produire relativement régulièrement, et parfois en grande quantité.
Pour Moorcock, j’ai relu des trucs qui tiennent encore pas mal la route, comme Corum, et d’autres qui m’ont fait de la peine (Hawkmoon, que j’adorais ado). en mettant de côté ses romans plus expérimentaux et plus travaillés, qui eux sont encore parfaitement lisibles (Glogauer, le troisième Cornelius, etc.) (ça me fait penser que je voudrais me relire Gloriana, tiens)
Argh, je suis fan d’Hawkmoon, mon coeur saigne 😄 Je vais faire comme toi et m’intéresser à ses autres romans alors 😉 Intéressant ce que tu dis sur l’usage, ça rejoint un peu ce que disait Laurent dans l’article, à mon avis ce n’est pas un hasard.
Hawkmoon, l’univers est super, mais les péripéties sont tirées à la ligne, c’est assez dommage, on sent que ça a été écrit trop vite.
bon équilibre entre la fantasy et le plus pointu, c’est Le Chien de Guerre, une quête du graal déviante, le premier tiers est un bijou et le reste tient bien la route.
Il faut absolument que je lise le Chien de guerre, alors ! Merci pour le conseil 😉
Ton article propose un réflexion intéressante. C’est vrai que peu publier risque de faire oublier l’auteur. D’un autre côté, aller trop vite et faire de la mauvaise qualité le fera oublier encore plus sûrement 🙂
C’est paradoxal de constater que les cycles longs ne sont pas forcément suivis par les lecteurs alors qu’ils me semblent plébiscités par certains, et par les éditeurs également (sans doute le côté « rassurant »). Sans parler des trilogies… Oups !
Oui c’est paradoxal ! Pour en avoir parlé avec mon éditeur, le lecteur a beaucoup changé en l’espace de 10 ans, et c’est ce qui fait peur aux maisons d’édition. Comme je le disais dans l’article, un auteur peut perdre la moitié de ses lecteurs sur un tome 2, et même plus ! La situation est particulièrement délicate quand un éditeur annonce qu’une série va devoir s’arrêter, faute de succès. Sur les réseaux sociaux tu as l’impression que des millions de personnes râlent… mais si tu n’as plus que, allez, quelques centaines de lecteurs pour acheter un tome 5 sur une saga qui en compte 7, la maison d’édition se retrouve carrément en situation difficile et va perdre de l’argent. Bien souvent les éditeurs font le grand écart…
Après, chacun son rythme, il n’y a pas de règle. Personnellement, je constate qu’il me faut écrire un peu chaque jour, sinon il est difficile de se remettre dans l’histoire mais aussi dans le « processus mental » de l’écriture. Et puis, même si je ne ponds que trois lignes, j’ai au moins l’impression d’avancer un peu…
C’est pareil pour moi. Écrire coûte que coûte…
Je confirme : « Le Chien de Guerre et la douleur du monde » (réédité à L’Atalante) est un remarquable roman, sans doute l’un des meilleurs, et des plus originaux, de Moorcock. Je recommande aussi « Le Nomade du temps », sa trilogie uchronique (lue dans la version Galaxies bis) et Le superbe « Navire des Glaces » !.
J’ajoute que j’ai eu le plaisir de publier autrefois dans la revue Galaxies (n° 17) une splendide nouvelle de Moorcock, « L’Os de Londres (London Bone »).
Merci Stéphanie pour ces conseils de lecture, que je vais suivre ! J’avais lu « le Navire des Glaces », j’en garde effectivement un excellent souvenir.
A chaque écrivain, sa méthode de travail. Tant que tu t’y retrouves, c’est le principal! Je n’ai lu que le premier tome des Pirates de l’Esroc-griffe mais ce qui en ressort, c’est : « Wahou! Quel travail! ». Le worldbuilding est vraiment ta principale force!
Oh merci, c’est très gentil ! En fait je prends autant de plaisir à créer des univers qu’à écrire, c’est une vraie passion 🙂
Oui, cela se voit!