ATTENTION, NOMBREUX SPOILERS DU FILM !
Déception. Tel est le premier mot qui me vient à l’esprit lorsque le générique de fin arrive brutalement. Autant vous prévenir tout de suite : si vous êtes de ceux qui n’ont pas aimé les libertés prises par Peter Jackson dans les Deux Tours (les Elfes qui débarquent dans le gouffre de Helm) ainsi que dans le précédent Hobbit, vous allez être servi… Tout avait pourtant si bien commencé ! J’ai fait partie de ceux qui ont défendu le premier volet. Même si, à l’époque, j’avais déploré l’énorme proportion d’effets spéciaux numériques au détriment des masques et des costumes artisanaux, notamment dans la séquence avec les Gobelins, j’avais adhéré à la vision de Jackson. Lorsque le réalisateur néo-zélandais a révélé aux fans que Bilbo le Hobbit allait être une trilogie, là encore, je me suis montré enthousiaste. Le cinéaste a voulu se servir du conte de Tolkien pour introduire le Seigneur des Anneaux, en exploitant au passage ses appendices, ce qui explique l’apparition de Radagast le Brun (entre autre). Peter Jackson a décidé d’accomplir le grand écart entre le conte pour enfants qu’est Bilbo le Hobbit et la fantasy épique du Seigneur des Anneaux, un grand écart visiblement impossible car Un voyage inattendu a provoqué la colère d’une partie des fans. Un sentiment que je peux comprendre lorsque, dans le premier volet, Bilbo manie son épée au lieu d’utiliser sa ruse… À l’époque, je pensais que Peter Jackson essayait d’assurer une cohérence avec le Seigneur des Anneaux.
Quel gogo naïf je fus…
Une introduction inattendue
Les toutes premières minutes sont révélatrices d’un certain malaise. La séquence s’ouvre avec un flashback sur le village de Bree, et un caméo (prétentieux ?) de Peter Jackson en train de croquer une carotte ! Au Poney Fringuant, Gandalf retrouve Thorin, le roi des nains, pour le persuader de mener une expédition vers la Montagne Solitaire. La première question que je me suis posé c’est : pourquoi Bree ? Peter Jackson abuse tellement des clins d’oeil qu’on a l’impression de visionner une séquence coupée de la Communauté de l’Anneau, lorsqu’Aragorn rencontre Frodon et ses amis. À croire que le réalisateur manque cruellement d’imagination… Pourtant, la suite est bien plus entraînante : Beorn, la forêt de Mirkwood et ses araignées sont franchement réussies, jusqu’au moment où l’on découvre les Elfes de la Forêt Noire.
Et soudain c’est le drame
Peter Jackson voulait-il absolument une nouvelle Arwen ? On est en droit de se poser la question lorsque le réalisateur introduit Legolas et surtout Liv Tyler l’elfe Tauriel, venue de nulle part. Le cinéaste avait clairement annoncé la présence du personnage d’Orlando Bloom, pourquoi pas. Mais là où le bât blesse, c’est quand une grosse intrigue secondaire, totalement absente du conte de Tolkien, apparait. Legolas est secrètement amoureux de Tauriel (!), qui elle-même va nourrir des sentiments pour… le nain Kili(!!). Oui, vous avez bien lu. Bref, un triangle amoureux ridicule, inutile, et surtout, je le répète, absent du livre ! Dès lors, le film est déséquilibré, parce ce que sa romance est aussi crédible que le pique-nique sur l’herbe d’Anakin Skywalker dans l’Attaque des Clones.
Le Seigneur des tonneaux
Lors de la (spectaculaire) évasion des nains dans des tonneaux, Kili est blessé par une flèche empoisonnée, un prétexte scénaristique pour que Tauriel puisse venir le sauver plus tard. Elle rejoint donc la ville d’Esgaroth (magnifique), accompagnée de l’incontournable Legolas qui massacre à tour de bras de l’orc en pleine rue (!), comme s’il fallait impérativement offrir aux spectateurs le plus de péripéties possibles. C’est aussi, à mon sens, un autre point noir du long-métrage : au lieu de s’appuyer sur l’essentiel, à savoir le conte de Tolkien et sa dimension enfantine, naïve, Jackson tombe dans une surenchère adolescente en multipliant les scènes d’action… ce qui affaiblit considérablement l’intrigue principale : l’exploration du donjon du dragon.
Le dragon le plus bête jamais créé
Les passages avec Smaug sont superbes, mais Peter Jackson a cru bon d’alterner avec des séquences sur Esgaroth, triangle amoureux oblige… ce qui est extrêmement frustrant. Du coup, quand Jackson filme ses héros aux prises avec le terrible dragon, il tente de se rattraper en multipliant les péripéties artificielles (qui ne sont pas dans le roman), au point où le monstre se retrouve dans l’incapacité d’attraper le moindre nain alors qu’il connait parfaitement son antre ! L’image de Smaug en prend un sacré coup et par la même occasion, le film perd énormément en tension. Même constat pour la sous-intrigue avec Gandalf et ses aventures dans Dol Guldur, largement dispensables : pourquoi avoir développé cette histoire qui n’apporte rien de plus que ce que l’on savait déjà dans Un voyage inattendu (un nécromancien va reprendre vie, n’importe quel fan aura compris qu’il s’agit de Sauron) ? Vous allez me dire que ces sous-intrigues donnent de la consistance au long-métrage, et approfondissent les personnages. Je pensais la même chose, jusqu’au moment où la fin est arrivée sans crier garde.
Le pire pour la fin
Peter Jackson coupe son film au plus mauvais moment : Smaug le dragon s’apprête à attaquer Esgaroth. Une fin brutale, qui pour moi est l’exemple même de ce qu’un scénariste ne devrait jamais écrire. En décidant de ne pas refermer toutes les portes, non seulement le cinéaste frustre ses spectateurs, mais en plus il se moque ouvertement d’eux. Vous me trouvez trop dur ? Faisons le compte de toutes les séquences ajoutées dans Un voyage inattendu et La Désolation de Smaug. En résumé, nous avons :
– la chute d’Erebor (séquence inspirée par les appendices du Seigneur des Anneaux)
– l’orc Azog (inspiré par les appendices, n’a jamais poursuivi les nains !)
– Radagast le Brun (tiré des appendices)
– la longue séquence avec Galadriel, Saroumane et Elrond à Fondcombe (invention totale EDIT : inspiré par d’autres écrits de Tolkien d’accord, mais une séquence inutile)
– la séquence des géants de pierre (création de Guillermo Del Toro, semble-t-il EDIT : à partir d’une vague séquence dans le roman qui, une fois encore, était très dispensable…)
– la sous-intrigue Tauriel-Legolas
– la sous-intrigue politique avec Bard et le Maître d’Esgaroth
– la sous-intrigue Gandalf-Radagast
On comprend vite pourquoi il fallait une trilogie à la place d’un diptyque…
Si, au final, la Désolation de Smaug n’est pas un mauvais film d’action, on ne peut pas en dire autant de son adaptation. Je suis très déçu par le passage du côté obscur de Peter Jackson qui a sacrifié son intégrité artistique, probablement pour des raisons bassement commerciales. Le constat est d’autant plus amer quand on réalise combien toutes ces séquences supplémentaires sont inutiles, comme si le réalisateur n’a jamais vraiment cru à ce conte pour enfants : en choisissant de favoriser l’action au détriment de la réflexion, Peter Jackson a préféré, comme J.J. Abrams et ses Star Trek, livrer une œuvre grand public, qui ravira certains adolescents, mais qui pour le coup trahit en grande partie la poésie de Tolkien. C’est bien triste…