Hygiène de l’écrivain

Je pastiche le titre d’un livre d’Amélie Nothomb pour aborder un sujet peu évoqué par les auteurs : l’hygiène de vie ! Dit comme ça, cela peut sembler bizarre. Après tout, un écrivain n’est pas un sportif.

En fait, l’écriture, comme n’importe quelle autre activité, peut devenir une addiction avec ce que cela comporte de danger. Un danger vraiment insidieux.

Péché originel

Il y a quelques années, comme bon nombre d’amis romanciers, j’avais un boulot alimentaire et j’éprouvais le plus grand mal à concilier écriture et travail. Quand je pouvais écrire une heure par jour, j’étais heureux ! C’était d’autant plus frustrant que je sentais que ce premier roman avait le potentiel pour être publié. Le gros problème, c’est que j’avançais à la vitesse d’un escargot asthmatique.

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Tous les auteurs le savent, il est difficile d’écrire quotidiennement. Parfois, j’étais coupé dans mon élan par la vraie vie, et il m’arrivait de passer des jours, des semaines, voir des mois sans écrire. Combien d’années allait-il encore me falloir à ce rythme ? Je ne m’en suis jamais caché, j’ai toujours été lucide sur le fait que j’étais un « Didier Deschamps de l’écriture ». Pour les plus jeunes d’entre vous, Deschamps était un footballeur pas très impressionnant physiquement. Il ne possédait pas la technique de Zinédine Zidane, il n’était pas vraiment cool (pour être franc, il était aussi charismatique qu’une huitre), mais il était endurant.

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Moi en train d’écrire

En dehors de mon imagination fertile, je ne suis pas spécialement doué et je ne dispose pas d’une plume extraordinaire, mais j’ai toujours compensé en essayant de travailler énormément, c’est là d’où vient ce que j’appelle « mon péché originel ». À l’époque, j’avais l’impression que la plupart de mes amis auteurs possédaient naturellement un meilleur style que le mien, et que je devais travailler deux fois plus que les autres si je voulais un jour, à mon tour, être publié. C’était un complexe profondément enraciné dont je n’avais pas conscience. Un péché originel, qui allait avoir des conséquences.

Après mûre réflexion avec Anne-Lorraine, qui m’encourageait depuis longues années à aller au bout de mon rêve, je décidais d’accomplir le grand saut. En juin 2011, je quittais donc l’Éducation Nationale non sans une certaine appréhension euphorie, et pour cause : j’allais enfin travailler tous les jours à la maison sur les Pirates de L’Escroc-Griffe, sans interruption, et donc progresser dans mon écriture… le rêve ! C’est là où les choses se sont sérieusement compliquées, sans même que je m’en rende compte. Inconsciemment, je culpabilisais de ne pas avoir un « vrai » métier. Avec cet objectif de publication, j’avais des choses à prouver à ma famille, à mes amis, aux proches qui (légitimement) s’inquiétaient pour ma santé mentale mon avenir… Si je devais concrétiser mon rêve, je devais redoubler d’efforts.

Au fil des semaines, puis des mois, je passais de plus en plus d’heures à écrire. Ça devenait aussi naturel que de respirer. Comme je le disais dans cet article, n’importe quel auteur sait que l’inspiration relève en grande partie du mythe : au bout de quelques semaines d’écriture non stop, les idées viennent facilement.

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En réalité ce sont surtout les corrections et autres réécritures qui constituent le cœur du problème. À l’époque, il m’arrivait de me mettre au boulot dès le réveil, ou même au milieu de la nuit, à 4h00 du matin, après un songe particulièrement inspirant. L’écriture a vite fait de devenir une obsession quand l’auteur a des failles, ce qui était mon cas. J’écrivais comme si ma vie en dépendait, mais je ne m’en rendais pas compte. Lentement mais sûrement, écrire devenait une souffrance.

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L’étrange marathon

Juste avant de soumettre mon roman aux maisons d’édition, il m’arrivait de passer huit heures par jour derrière l’écran de mon ordinateur, parfois plus. Je commençais à travailler le matin, je continuais l’après-midi et une  bonne partie du soir, ce qui limitait mes activités sportives. Ne pas me dépenser physiquement était catastrophique, car cela entraînait des insomnies, aggravées par le fait que mon cerveau surexcité était programmé pour être en permanence sollicité. Je savais pertinemment que je ne pouvais pas tenir ce rythme sur le long terme, mais que voulez-vous, j’étais accroc à cet étrange marathon, ce qui m’a valu de me retrouver dans le rouge à plusieurs reprises, complètement carbonisé…

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La première fois, c’était durant un été. J’étais au restaurant japonais avec ma femme, occupée à regarder la carte. À un moment donné elle lève les yeux et me demande si j’ai choisi, je lui dis que je ne sais pas. Je n’avais envie de rien. Inquiète, elle me demande si ça va, mais là encore, j’étais incapable de lui répondre. Je ne me sentais ni bien ni mal, j’étais comme neurasthénique. Je n’éprouvais plus d’émotions. Je me souviens de m’être couché à 19h00, et d’avoir dormi jusqu’au lendemain. Au réveil, j’étais dans le même état psychologique. L’après-midi, bien sûr, je n’ai pas écrit. J’ai encore pioncé comme un loir de 19h00 à midi et, heureusement, mon état s’est par la suite amélioré. Sans Anne-Lorraine pour tirer la sonnette d’alarme, je pense que ça aurait pu déboucher sur quelque chose de plus grave.

L’autre danger qui menace l’écrivain, c’est l’attente des soumissions éditoriales, j’en ai largement discuté avec vous dans cet article. Écrire à plein temps rend cette phase beaucoup plus difficile, surtout quand on n’a jamais été publié. Quand je guettais à 4h00 du matin les mails d’éditeurs, je me demandais parfois si je n’avais pas gâché plusieurs années de ma vie pour une trilogie qui ne verrait jamais le jour. J’avais bien conscience que je devais penser à autre chose, mais comment pouvais-je travailler sur les tomes 2 et 3 sans connaître le sort réservé au tome 1 ? Et quand j’arrivais enfin à bosser sur mes suites, je ne pouvais m’empêcher de songer au premier volet… Je n’arrivais pas à maîtriser ces pensées insomniaques.

L’écrivain de Schrödinger

Je n’étais pas en paix, même après la belle rencontre avec Stéphane Marsan aux Imaginales, et son « oui » enthousiaste dans un mail de septembre 2013 : au moment de le recevoir, je ne lisais que les premières lignes du message, car j’avais  compris à tort qu’il s’agissait d’un refus. Je disais même à Anne-Lorraine « c’est mort pour Bragelonne ». Je ruminais dans mon coin, jusqu’au moment où elle lut à son tour le mail en grommelant « tu es con ou quoi ? Il veulent te publier dans une nouvelle collection ! ». Pourtant, plus les mois passaient, moins j’y croyais. Je n’avais pas confiance en moi. J’étais un chat de Schrödinger qui n’avait rien signé, à la fois publié et non publié, pas préparé à gérer l’incertitude. Entre le « oui » de Bragelonne par mail et la signature effective du contrat, il s’est passé pratiquement un an, une éternité pendant laquelle j’imaginais tous les scénarios possibles comme par exemple « ils ont changé d’avis mais ne savent pas comment me le dire », « ils attendent de voir si le tome 2 est à la hauteur » ou bien encore « ils veulent d’abord être sûrs que les corrections éditoriales se passent bien ». En parler en boucle était complètement irrationnel de ma part, et pénible pour mes proches, mais je n’arrivais pas à me contrôler. Ma souffrance devenait carrément physique. L’hiver, j’étais frileux et mon poids variait constamment, car même si j’essayais de faire attention à ma santé en marchant quotidiennement, mes efforts étaient insuffisants. Écœuré par la viande, je compensais en mangeant toujours plus de fromage, j’étais victime de violents maux de tête, mon cholestérol et ma tension artérielle n’étaient pas au top… Mon corps, ce traître que je croyais connaître, devenait un étranger et refusait de m’obéir. Quel sens devais-je donner à ma vie ? Je traversais une crise existentielle profonde. Durant mes nuits blanches, je me passionnais pour la mécanique quantique et la théorie des cordes car la science et ses implications métaphysiques me permettaient de comprendre l’univers, mais il manquait une pièce dans le puzzle de ma vie, depuis longtemps, peut-être même depuis toujours.

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J’avais soif de spiritualité, je l’avais déjà senti en visitant des temples bouddhistes au Japon. Paradoxalement, c’est à partir du moment où j’ai envisagé la possibilité de ne jamais être publié que mon état s’est amélioré. Lentement, je réalisais que ce que je croyais être une déprime était en réalité une dépression. Un beau jour, je tombais par hasard sur deux livres de Matthieu Ricard, le traducteur français du Dalaï-Lama, qui avait été chercheur en biologie avant de devenir moine. J’étais intrigué par le fait que de grands physiciens comme Albert Einstein, ainsi que des spécialistes de la mécanique quantique ou de la théorie des cordes, s’intéressaient au bouddhisme, une sagesse qui n’est ni de la philosophie, ni de la religion, mais une science contemplative. Moi qui vivait constamment dans le futur, je découvrais avec fascination des moines qui , eux, appréciaient l’instant présent. Par la méditation, ils tentaient de parvenir à une totale maîtrise de leurs corps avec ce graal : l’extinction des souffrances.

À cette époque, je voyageais régulièrement entre l’Alsace, la Lorraine et la Provence Alpes Côte d’Azur, et j’eu l’opportunité de fréquenter des centres bouddhistes de différentes traditions, de rencontrer d’authentiques moines tibétains réfugiés en France après les massacres de l’armée chinoise durant les années 50. Des exilés qui avaient infiniment plus de raisons que moi de se lamenter et qui pourtant demeuraient sereins, sans  stress post-traumatique, malgré les atrocités perpétrées par Pékin et la destruction de dizaines de milliers de temples.

Au contact de cette culture, je comprenais que mes humbles souffrances, physiques et mentales me permettaient de remettre ma vie à plat, de saisir combien je vivais dans la vacuité. Je réalisais que tant que je n’avais pas évolué sur ce plan là, être publié ne ferait que déplacer mes problèmes… parce que la vie elle-même est source d’insatisfaction.

À partir de l’été 2014, je commençais à méditer tous les jours, à davantage écouter mon corps, à essayer d’être plus détendu. Auparavant, quand j’écrivais trop, je soignais mes migraines à coups de nurofen, et je découvrais avec stupeur qu’en faisant le vide, la douleur s’en allait. Au fil des mois, moins j’éprouvais de stress, plus mes défenses immunitaires se renforçaient, je devenais moins frileux. Je changeais complètement mon échelle de priorité. Je passais de « je veux être publié » à « je veux être heureux ». Lorsque le contrat de Bragelonne est arrivé dans ma boite aux lettres, je n’étais plus tout à fait le même homme. J’avais compris qu’avant de vouloir devenir un écrivain, je devais avant tout accepter d’être humain. Accepter de lâcher prise. Accepter de m’aimer enfin.

Bien sûr, cela ne veut pas dire que j’ai vaincu toutes mes névroses : lorsque le tome 1 a été publié en mars, avec l’effervescence de la sortie il m’a été difficile de continuer à méditer quotidiennement. Je surveillais continuellement le classement Amazon, les critiques de la blogosphère, je dormais mal… Je commençais à oublier les leçons du passé. Là encore, il a fallu franchir un pallier. Au mois de septembre 2015, j’étais encore dans les corrections éditoriales du tome 3 lorsque je me suis mis à fréquenter tous les lundi un petit centre bouddhiste tibétain à Metz. Quelle ne fut pas ma surprise quand je réalisais que ce temple avait été fondé par le Vénérable Guéshé Losang Thupten, alias « Guéshé La », un vieux lama qui avait eu comme maître le Dalaï-Lama en personne, et deux de ses précepteurs ! J’habitais près de ce centre sans même le savoir. Auparavant j’avais eu l’opportunité de rencontrer des sages de premier plan comme Ringo Tulkou Rinpoché et Khandro Rinpoché, mais pour la première fois je sentais que le courant passait avec ce maître, quelque chose de particulier, une sorte de complicité. J’étais impressionné par la chaleur et la simplicité de ce vieil homme souriant, mais dans le même temps, j’avais le sentiment étrange qu’il m’attendait, que nous nous connaissions depuis très longtemps. Un soir, en écoutant un de ses enseignements, je ne pus m’empêcher de penser combien j’étais imparfait, j’avais l’impression d’avoir commis tout au long de ma vie toutes les erreurs possibles et imaginables. D’une manière ou d’une autre, Guéshé La sentit mon trouble car il se mit à me sourire et me dit, en me regardant droit dans les yeux, « il faut apprendre à se pardonner ».

Doucement, j’ai fini par accepter la leçon du vieux maître et j’ai commencé à vraiment lâcher prise, accepter le fait que je n’étais pas un surhomme, que mon tome 3 ne sortirait pas en février, et surtout que ce n’était pas bien grave, n’est-ce pas George ?

Aujourd’hui, après le bon accueil réservé à mon premier roman, l’écriture n’est plus une souffrance ou un marathon, mais un vrai métier qui me permet de voyager avec mes lecteurs dans d’autres univers. Je ne me mets plus la pression pour les livres à venir. Le matin, je consacre deux heures à troller Star Wars VII la méditation et la marche, deux activités qui ont fait baisser ma tension artérielle et mon poids. Le midi, j’ai même réussi à me calmer sur le fromage et grâce à un vrai régime végétarien sérieux, je n’ai plus de cholestérol. L’après-midi, j’écris, mais le soir, je déconnecte mon cerveau. Et plus important encore, j’ai arrêté de m’auto-flageler. J’apprends à recevoir des compliments sans leur donner trop d’importance, et de la même manière, je relativise les critiques, je ne les prends en compte que si elles sont pertinentes. Mon style est simple, ni pire ni meilleur que celui de nombreux écrivains, et c’est très bien comme ça. Finalement…

C’est cool d’être Didier Deschamps.

PS : Et vous amis auteurs, le fait d’écrire régulièrement change-t-il votre hygiène de vie ? Comment arrivez-vous à concilier écriture, travail et vie de famille ?

 

Published in: on janvier 5, 2016 at 8:33  Comments (51)  
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