Mono no aware

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Ken Liu

 

Suivant le conseil avisé d’un ami, j’ai lu il y a peu Mono no aware, une nouvelle poignante du célèbre auteur de Science-Fiction Ken Liu. Elle figure dans le recueil la ménagerie de papier et je vous la recommande chaudement.

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Mono no aware fait référence à un concept japonais difficilement traduisible. Je ne suis pas linguiste, mais pour ma part je vous propose « ah, que tout est éphémère ! ».

Dans la nouvelle de Ken Liu, le père du héros, un scientifique humaniste, tente de l’expliquer à son fils.

Rien ne dit
Dans le chant de la cigale
Qu’elle est près de sa fin
(…)
J’ai acquiescé. L’image semblait fugitive et permanente, comme mon ressenti du temps quand j’étais tout petit. Elle me rendait triste et heureux à la fois.
« Tout passe, Hiroto. Tu éprouves au fond de ton cœur ce qu’on appelle mono no aware, la sensibilité de l’éphémère. Le soleil, le pissenlit, la cigale, le Marteau, nous tous, sujets aux équations de James Clerk Maxwell, sommes des motifs transitoires destinés à disparaître, dans une seconde ou dans une éternité.  »


Je nourris souvent cette réflexion quand je relis avec un mélange de honte, d’hilarité et de tendresse certains vieux écrits de jeunesse, que je pensais à l’époque être publiables. Des textes condamnés à végéter dans les méandres de mon disque dur.

Lorsqu’on regarde de vieilles photos de proches disparus, le constat est, bien sûr, infiniment plus douloureux… du moins, pour nos esprits occidentaux matérialistes. Au Japon, l’expression mono no aware ne possède pas la force dramatique de notre antique formule latine memento mori (« souviens-toi que tu vas mourir »). Mono no aware est associée à une douce tristesse, « douce » parce que la paix vient avec l’acceptation de l’éphémère, au sens où l’impermanence du monde renvoie à la vacuité de nos propres existences, au lâcher-prise. Naturellement, cela s’applique aussi à l’écriture.

Quoi qu’on en dise, je pense qu’au fond de lui chaque auteur rêve d’écrire le roman parfait, sans parler de cette aspiration à l’immortalité. Le concept de mono no aware met à mal ce fantasme d’absolu, puisqu’il remet en question l’idée même de chef d’oeuvre et de perfection, la faute à un ennemi implacable : le temps. Le constat est sévère, mais J.R.R. Tolkien aurait aujourd’hui toutes les peines du monde à faire publier la Communauté de l’Anneau, dont l’intrigue met un temps fou à démarrer. Comme le dit si bien Tyler Durden dans Fight Club, « même la Joconde subit les outrages du temps ».

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Il est vrai que certains textes traversent les millénaires, mais honnêtement ils sont souvent davantage appréciés pour leur valeur historique ou religieuse, que littéraire. Ils ont été écrits pour un lectorat donné, dans un contexte bien particulier. J’aurais beau consacrer ma vie à l’étude de l’Épopée de Gilgamesh en VO, c’est-à-dire dans sa version akkadienne du XVIIIe siècle avant J.-C., je n’arriverai jamais à comprendre certaines subtilités propres à une culture antique disparue depuis longtemps. Il est même probable que je passe à côté de jeux de mots.

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L’Épopée de Gilgamesh, « le Déluge », en VO. Le plan galère.

Sans aller si loin, c’est un peu le même constat avec nombre de romans étrangers traduits en français.

L’écriture est un art, mais un art périssable car on écrit d’abord pour ses contemporains, dans un milieu donné, voué à changer. Ce qui signifie que pour l’auteur, le temps est l’alpha et l’oméga de l’écriture, celui qui donne et celui qui prend.

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Saturne dévorant l’un de ses enfants, Goya

Ce temps nous façonne, ne serait-ce que lorsqu’on écrit durant une ère troublée. Les auteurs et leurs livres ne sont que les reflets d’une époque, preuve en est avec les best-sellers descendus en flammes par la critique. Devant les chiffres de ventes faramineux de Marc Lévy, certains amis écrivains m’ont confié leur envie de se se passer la corde au cou. Ce n’est pas mon cas car je respecte Marc Lévy, sincèrement. Je n’ai pourtant jamais lu un seul de ses livres, et je ne l’ai même jamais rencontré, mais j’imagine qu’il possède au moins un mérite, celui d’avoir trouvé une recette propre à notre époque, bien qu’un jour ou l’autre elle sera passée de mode. C’est loin d’être improbable : certains écrivains populaires des siècles précédents ont sombré dans l’oubli, tandis que des poètes maudits morts dans la misère sont parvenus à la reconnaissance, ce qui ne manque pas de relativiser les succès et des uns, et des autres.

Loin d’être décourageant, ce constat est très utile pour qui veut dédramatiser l’acte d’écrire. Je ne sais pas vous, mais on a tous en tête un romancier qui nous inspire un profond respect. À mes yeux c’est Jean-Philippe Jaworski, pour moi la plus belle plume de la fantasy francophone, qui a connu un grand succès avec des livres vendus à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires. Un exemple qui aurait fait rêver bien des auteurs classiques de la littérature blanche du XIXe siècle !

Ainsi pour ses premiers pas dans le monde de l’édition, le jeune Victor Hugo commence à travailler avec un petit éditeur, Persan, chez qui il publie Odes et Han d’Islande… non sans rencontrer des difficultés. Le futur auteur des Misérables souhaite faire une seconde édition de son roman mais Persan proteste publiquement dans un article de presse (!), affirmant qu’il reste encore 500 exemplaires invendus du premier tirage et qu’il n’a vendu que 200 exemplaires des Odes… au beau milieu d’une faillite. La classe !

L’exemple le plus émouvant est probablement celui de John Kennedy Toole. Persuadé de n’avoir aucun talent, l’auteur américain se suicide, laissant derrière lui un livre non publié, la Conjuration des imbéciles. Sa mère remuera ciel et terre pour lui trouver un éditeur, avec succès. Le roman sera un best-seller et John Kennedy Toole recevra à titre posthume le prix Pulitzer…

Dans l’absolu, quelle différence entre un l’un des auteurs de la Bible, mort depuis longtemps dans l’anonymat, et Christine Boutin, dont le livre a été vendu à 38 exemplaires sur cinq ans ? À l’échelle de l’Histoire, aucune.

Au final, le temps investi et le temps subi conditionnent l’écriture, et c’est pour cette raison qu’à mon sens il faut écrire  dans l’instant présent, sereinement, prendre du plaisir et faire de son mieux, à l’image de l’émouvant astronaute de la nouvelle de Ken Liu. Le temps est, avec le chat bien sûr, un dieu que l’écrivain doit apprendre à vénérer et respecter.

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Heidi, ma correctrice impitoyable

Le crépuscule contient une infinie beauté
Malgré sa proximité avec la fin du jour.

Ken Liu, Mono no aware

Published in: on février 17, 2017 at 10:40  Comments (7)  
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De l’art d’être kintsugi

J’ai appris qu’il existe un art japonais appelé kintsugi, qui consiste à réparer les poteries cassées avec de l’or.

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Comme tous les dao, c’est un art riche de sens. Au lieu d’essayer de cacher les cicatrices de l’objet, on les met en avant, pour montrer que non seulement elles font partie de son histoire, mais qu’en plus elles peuvent le rendre encore plus résistant et plus beau. Cette philosophie est au cœur de la culture populaire nippone, ne serait-ce qu’avec le personnage d’Auron dans le jeu vidéo Final Fantasy X. Auron est handicapé, il a été grièvement blessé par le passé  et pourtant, malgré son bras en écharpe, c’est un redoutable (et charismatique) guerrier.

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Le kintsugi est un non-attachement, un renoncement, l’acceptation du changement et du destin. Les vicissitudes du temps dont nous sommes les victimes ne peuvent pas être mieux représentées par les fêlures et les bosses d’une céramique. Cette empathie envers les choses est appelée mono no aware, une sensibilité pour l’éphémère. La conscience de l’impermanence.

Je pense qu’on devrait éprouver la même empathie pour son premier roman, appelé à vieillir avec le temps, et même à se briser comme une fragile céramique sous le regard critique de son auteur ! À mesure qu’on  évolue dans son écriture, il est parfois pénible de relire ses premiers écrits. Je me souviens d’une nuit blanche passée sur le Bon À Tirer de mon tome 1. Vérifier le BAT est toujours un moment stressant car c’est la dernière occasion de corriger son texte avant l’impression, dans un délais de temps assez réduit. J’avais bossé tellement de mois sur les corrections éditoriales que je ne pouvais plus voir mon bouquin en peinture. Pour être franc, cette nuit-là je me rappelle m’être dit à 5h00 du matin « ce livre est nul, personne ne l’aimera »… Pendant longtemps, j’ai eu du mal à ouvrir ce tome 1, de peur de trouver une coquille. Désormais, je porte un regard attendri sur les Terres Interdites. Ce regard bienveillant n’est pas lié à une majorité de bonnes critiques, j’ai conscience que ce premier ouvrage présente réellement des défauts de jeunesse. Mais je crois également qu’il possède une certaine fraicheur que je ne retrouverai jamais plus. Par la suite, j’ai beaucoup progressé sur les Feux de mortifice et les corsaires de l’Écosphère. Mes tomes 2 et 3, plus aboutis, sont de meilleurs romans, mais mon tome 1 reste complètement kintsugi.

C’est pour cette raison qu’un auteur non publié doit être conscient qu’un livre n’est jamais achevé, même quand un éditeur a un coup de cœur pour le texte d’un inconnu. Avec lui, on travaille du mieux possible sur les corrections éditoriales, mais au final il y a toujours une deadline qui nous oblige à nous arrêter. Ce n’est pas propre au monde de l’édition : pour la post-production des effets spéciaux d’un long-métrage, les artistes numériques œuvrent jusqu’au dernier jour, même constat pour le montage. Certains cinéastes ont coutume de dire « les films ne sortent pas, ils s’échappent ».

Cette vérité peut sembler bassement commerciale, mais c’est la logique éditoriale qui impose le lâcher-prise, et heureusement ! Sans cette contrainte, je serais encore en train d’écrire ma trilogie… Bien sûr, cela ne veut pas dire qu’il faut envoyer un premier jet aux éditeurs, mais après plusieurs années de travail de correction sur un texte il faut savoir s’en détacher, se confronter à la réalité et aller de l’avant. Un premier roman est presque toujours une céramique imparfaite, morcelée, mais l’or qui va permettre de le mettre en valeur, c’est tout simplement l’enthousiasme des lecteurs.

N’ayons pas peur d’être kintsugi !

Published in: on janvier 27, 2017 at 10:39  Comments (15)  
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Hygiène de l’écrivain

Je pastiche le titre d’un livre d’Amélie Nothomb pour aborder un sujet peu évoqué par les auteurs : l’hygiène de vie ! Dit comme ça, cela peut sembler bizarre. Après tout, un écrivain n’est pas un sportif.

En fait, l’écriture, comme n’importe quelle autre activité, peut devenir une addiction avec ce que cela comporte de danger. Un danger vraiment insidieux.

Péché originel

Il y a quelques années, comme bon nombre d’amis romanciers, j’avais un boulot alimentaire et j’éprouvais le plus grand mal à concilier écriture et travail. Quand je pouvais écrire une heure par jour, j’étais heureux ! C’était d’autant plus frustrant que je sentais que ce premier roman avait le potentiel pour être publié. Le gros problème, c’est que j’avançais à la vitesse d’un escargot asthmatique.

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Tous les auteurs le savent, il est difficile d’écrire quotidiennement. Parfois, j’étais coupé dans mon élan par la vraie vie, et il m’arrivait de passer des jours, des semaines, voir des mois sans écrire. Combien d’années allait-il encore me falloir à ce rythme ? Je ne m’en suis jamais caché, j’ai toujours été lucide sur le fait que j’étais un « Didier Deschamps de l’écriture ». Pour les plus jeunes d’entre vous, Deschamps était un footballeur pas très impressionnant physiquement. Il ne possédait pas la technique de Zinédine Zidane, il n’était pas vraiment cool (pour être franc, il était aussi charismatique qu’une huitre), mais il était endurant.

DIDIER DESCHAMPSFRANCE 13/06/1996 CG99G22C

Moi en train d’écrire

En dehors de mon imagination fertile, je ne suis pas spécialement doué et je ne dispose pas d’une plume extraordinaire, mais j’ai toujours compensé en essayant de travailler énormément, c’est là d’où vient ce que j’appelle « mon péché originel ». À l’époque, j’avais l’impression que la plupart de mes amis auteurs possédaient naturellement un meilleur style que le mien, et que je devais travailler deux fois plus que les autres si je voulais un jour, à mon tour, être publié. C’était un complexe profondément enraciné dont je n’avais pas conscience. Un péché originel, qui allait avoir des conséquences.

Après mûre réflexion avec Anne-Lorraine, qui m’encourageait depuis longues années à aller au bout de mon rêve, je décidais d’accomplir le grand saut. En juin 2011, je quittais donc l’Éducation Nationale non sans une certaine appréhension euphorie, et pour cause : j’allais enfin travailler tous les jours à la maison sur les Pirates de L’Escroc-Griffe, sans interruption, et donc progresser dans mon écriture… le rêve ! C’est là où les choses se sont sérieusement compliquées, sans même que je m’en rende compte. Inconsciemment, je culpabilisais de ne pas avoir un « vrai » métier. Avec cet objectif de publication, j’avais des choses à prouver à ma famille, à mes amis, aux proches qui (légitimement) s’inquiétaient pour ma santé mentale mon avenir… Si je devais concrétiser mon rêve, je devais redoubler d’efforts.

Au fil des semaines, puis des mois, je passais de plus en plus d’heures à écrire. Ça devenait aussi naturel que de respirer. Comme je le disais dans cet article, n’importe quel auteur sait que l’inspiration relève en grande partie du mythe : au bout de quelques semaines d’écriture non stop, les idées viennent facilement.

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En réalité ce sont surtout les corrections et autres réécritures qui constituent le cœur du problème. À l’époque, il m’arrivait de me mettre au boulot dès le réveil, ou même au milieu de la nuit, à 4h00 du matin, après un songe particulièrement inspirant. L’écriture a vite fait de devenir une obsession quand l’auteur a des failles, ce qui était mon cas. J’écrivais comme si ma vie en dépendait, mais je ne m’en rendais pas compte. Lentement mais sûrement, écrire devenait une souffrance.

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L’étrange marathon

Juste avant de soumettre mon roman aux maisons d’édition, il m’arrivait de passer huit heures par jour derrière l’écran de mon ordinateur, parfois plus. Je commençais à travailler le matin, je continuais l’après-midi et une  bonne partie du soir, ce qui limitait mes activités sportives. Ne pas me dépenser physiquement était catastrophique, car cela entraînait des insomnies, aggravées par le fait que mon cerveau surexcité était programmé pour être en permanence sollicité. Je savais pertinemment que je ne pouvais pas tenir ce rythme sur le long terme, mais que voulez-vous, j’étais accroc à cet étrange marathon, ce qui m’a valu de me retrouver dans le rouge à plusieurs reprises, complètement carbonisé…

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La première fois, c’était durant un été. J’étais au restaurant japonais avec ma femme, occupée à regarder la carte. À un moment donné elle lève les yeux et me demande si j’ai choisi, je lui dis que je ne sais pas. Je n’avais envie de rien. Inquiète, elle me demande si ça va, mais là encore, j’étais incapable de lui répondre. Je ne me sentais ni bien ni mal, j’étais comme neurasthénique. Je n’éprouvais plus d’émotions. Je me souviens de m’être couché à 19h00, et d’avoir dormi jusqu’au lendemain. Au réveil, j’étais dans le même état psychologique. L’après-midi, bien sûr, je n’ai pas écrit. J’ai encore pioncé comme un loir de 19h00 à midi et, heureusement, mon état s’est par la suite amélioré. Sans Anne-Lorraine pour tirer la sonnette d’alarme, je pense que ça aurait pu déboucher sur quelque chose de plus grave.

L’autre danger qui menace l’écrivain, c’est l’attente des soumissions éditoriales, j’en ai largement discuté avec vous dans cet article. Écrire à plein temps rend cette phase beaucoup plus difficile, surtout quand on n’a jamais été publié. Quand je guettais à 4h00 du matin les mails d’éditeurs, je me demandais parfois si je n’avais pas gâché plusieurs années de ma vie pour une trilogie qui ne verrait jamais le jour. J’avais bien conscience que je devais penser à autre chose, mais comment pouvais-je travailler sur les tomes 2 et 3 sans connaître le sort réservé au tome 1 ? Et quand j’arrivais enfin à bosser sur mes suites, je ne pouvais m’empêcher de songer au premier volet… Je n’arrivais pas à maîtriser ces pensées insomniaques.

L’écrivain de Schrödinger

Je n’étais pas en paix, même après la belle rencontre avec Stéphane Marsan aux Imaginales, et son « oui » enthousiaste dans un mail de septembre 2013 : au moment de le recevoir, je ne lisais que les premières lignes du message, car j’avais  compris à tort qu’il s’agissait d’un refus. Je disais même à Anne-Lorraine « c’est mort pour Bragelonne ». Je ruminais dans mon coin, jusqu’au moment où elle lut à son tour le mail en grommelant « tu es con ou quoi ? Il veulent te publier dans une nouvelle collection ! ». Pourtant, plus les mois passaient, moins j’y croyais. Je n’avais pas confiance en moi. J’étais un chat de Schrödinger qui n’avait rien signé, à la fois publié et non publié, pas préparé à gérer l’incertitude. Entre le « oui » de Bragelonne par mail et la signature effective du contrat, il s’est passé pratiquement un an, une éternité pendant laquelle j’imaginais tous les scénarios possibles comme par exemple « ils ont changé d’avis mais ne savent pas comment me le dire », « ils attendent de voir si le tome 2 est à la hauteur » ou bien encore « ils veulent d’abord être sûrs que les corrections éditoriales se passent bien ». En parler en boucle était complètement irrationnel de ma part, et pénible pour mes proches, mais je n’arrivais pas à me contrôler. Ma souffrance devenait carrément physique. L’hiver, j’étais frileux et mon poids variait constamment, car même si j’essayais de faire attention à ma santé en marchant quotidiennement, mes efforts étaient insuffisants. Écœuré par la viande, je compensais en mangeant toujours plus de fromage, j’étais victime de violents maux de tête, mon cholestérol et ma tension artérielle n’étaient pas au top… Mon corps, ce traître que je croyais connaître, devenait un étranger et refusait de m’obéir. Quel sens devais-je donner à ma vie ? Je traversais une crise existentielle profonde. Durant mes nuits blanches, je me passionnais pour la mécanique quantique et la théorie des cordes car la science et ses implications métaphysiques me permettaient de comprendre l’univers, mais il manquait une pièce dans le puzzle de ma vie, depuis longtemps, peut-être même depuis toujours.

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J’avais soif de spiritualité, je l’avais déjà senti en visitant des temples bouddhistes au Japon. Paradoxalement, c’est à partir du moment où j’ai envisagé la possibilité de ne jamais être publié que mon état s’est amélioré. Lentement, je réalisais que ce que je croyais être une déprime était en réalité une dépression. Un beau jour, je tombais par hasard sur deux livres de Matthieu Ricard, le traducteur français du Dalaï-Lama, qui avait été chercheur en biologie avant de devenir moine. J’étais intrigué par le fait que de grands physiciens comme Albert Einstein, ainsi que des spécialistes de la mécanique quantique ou de la théorie des cordes, s’intéressaient au bouddhisme, une sagesse qui n’est ni de la philosophie, ni de la religion, mais une science contemplative. Moi qui vivait constamment dans le futur, je découvrais avec fascination des moines qui , eux, appréciaient l’instant présent. Par la méditation, ils tentaient de parvenir à une totale maîtrise de leurs corps avec ce graal : l’extinction des souffrances.

À cette époque, je voyageais régulièrement entre l’Alsace, la Lorraine et la Provence Alpes Côte d’Azur, et j’eu l’opportunité de fréquenter des centres bouddhistes de différentes traditions, de rencontrer d’authentiques moines tibétains réfugiés en France après les massacres de l’armée chinoise durant les années 50. Des exilés qui avaient infiniment plus de raisons que moi de se lamenter et qui pourtant demeuraient sereins, sans  stress post-traumatique, malgré les atrocités perpétrées par Pékin et la destruction de dizaines de milliers de temples.

Au contact de cette culture, je comprenais que mes humbles souffrances, physiques et mentales me permettaient de remettre ma vie à plat, de saisir combien je vivais dans la vacuité. Je réalisais que tant que je n’avais pas évolué sur ce plan là, être publié ne ferait que déplacer mes problèmes… parce que la vie elle-même est source d’insatisfaction.

À partir de l’été 2014, je commençais à méditer tous les jours, à davantage écouter mon corps, à essayer d’être plus détendu. Auparavant, quand j’écrivais trop, je soignais mes migraines à coups de nurofen, et je découvrais avec stupeur qu’en faisant le vide, la douleur s’en allait. Au fil des mois, moins j’éprouvais de stress, plus mes défenses immunitaires se renforçaient, je devenais moins frileux. Je changeais complètement mon échelle de priorité. Je passais de « je veux être publié » à « je veux être heureux ». Lorsque le contrat de Bragelonne est arrivé dans ma boite aux lettres, je n’étais plus tout à fait le même homme. J’avais compris qu’avant de vouloir devenir un écrivain, je devais avant tout accepter d’être humain. Accepter de lâcher prise. Accepter de m’aimer enfin.

Bien sûr, cela ne veut pas dire que j’ai vaincu toutes mes névroses : lorsque le tome 1 a été publié en mars, avec l’effervescence de la sortie il m’a été difficile de continuer à méditer quotidiennement. Je surveillais continuellement le classement Amazon, les critiques de la blogosphère, je dormais mal… Je commençais à oublier les leçons du passé. Là encore, il a fallu franchir un pallier. Au mois de septembre 2015, j’étais encore dans les corrections éditoriales du tome 3 lorsque je me suis mis à fréquenter tous les lundi un petit centre bouddhiste tibétain à Metz. Quelle ne fut pas ma surprise quand je réalisais que ce temple avait été fondé par le Vénérable Guéshé Losang Thupten, alias « Guéshé La », un vieux lama qui avait eu comme maître le Dalaï-Lama en personne, et deux de ses précepteurs ! J’habitais près de ce centre sans même le savoir. Auparavant j’avais eu l’opportunité de rencontrer des sages de premier plan comme Ringo Tulkou Rinpoché et Khandro Rinpoché, mais pour la première fois je sentais que le courant passait avec ce maître, quelque chose de particulier, une sorte de complicité. J’étais impressionné par la chaleur et la simplicité de ce vieil homme souriant, mais dans le même temps, j’avais le sentiment étrange qu’il m’attendait, que nous nous connaissions depuis très longtemps. Un soir, en écoutant un de ses enseignements, je ne pus m’empêcher de penser combien j’étais imparfait, j’avais l’impression d’avoir commis tout au long de ma vie toutes les erreurs possibles et imaginables. D’une manière ou d’une autre, Guéshé La sentit mon trouble car il se mit à me sourire et me dit, en me regardant droit dans les yeux, « il faut apprendre à se pardonner ».

Doucement, j’ai fini par accepter la leçon du vieux maître et j’ai commencé à vraiment lâcher prise, accepter le fait que je n’étais pas un surhomme, que mon tome 3 ne sortirait pas en février, et surtout que ce n’était pas bien grave, n’est-ce pas George ?

Aujourd’hui, après le bon accueil réservé à mon premier roman, l’écriture n’est plus une souffrance ou un marathon, mais un vrai métier qui me permet de voyager avec mes lecteurs dans d’autres univers. Je ne me mets plus la pression pour les livres à venir. Le matin, je consacre deux heures à troller Star Wars VII la méditation et la marche, deux activités qui ont fait baisser ma tension artérielle et mon poids. Le midi, j’ai même réussi à me calmer sur le fromage et grâce à un vrai régime végétarien sérieux, je n’ai plus de cholestérol. L’après-midi, j’écris, mais le soir, je déconnecte mon cerveau. Et plus important encore, j’ai arrêté de m’auto-flageler. J’apprends à recevoir des compliments sans leur donner trop d’importance, et de la même manière, je relativise les critiques, je ne les prends en compte que si elles sont pertinentes. Mon style est simple, ni pire ni meilleur que celui de nombreux écrivains, et c’est très bien comme ça. Finalement…

C’est cool d’être Didier Deschamps.

PS : Et vous amis auteurs, le fait d’écrire régulièrement change-t-il votre hygiène de vie ? Comment arrivez-vous à concilier écriture, travail et vie de famille ?

 

Published in: on janvier 5, 2016 at 8:33  Comments (51)  
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Refonte du site, vie en construction

Comme vous l’avez peut-être remarqué, au fil des mois le blog s’est transformé en usine à gaz, il était de plus en plus long à charger. Cela devenait un problème pour héberger la totalité de la bande-originale des Pirates de l’Escroc-Griffe, qui sera en ligne début 2015. Dans mon esprit, le blog devait être facilement consultable depuis un smartphone ou une tablette (vive les sites codés en Ajax !), du coup j’ai procédé à quelques changements.

Bien qu’il me fallait un site plus léger, je n’avais pas envie que ma longue liste de liens soit reléguée au second plan, j’ai donc eu l’idée de créer une page « Voisins« . Je ne voulais pas d’un simple catalogue sans âme, mais au contraire une page conviviale. Je n’ai pas référencé tous les blogs que je connais, j’en suis sincèrement désolé, j’espère que certaines personnes ne m’en tiendront pas rigueur. En fait, pour être franc, cette démarche s’inscrit dans ma quête d’une autre temporalité, avec une blogosphère plus réduite, à échelle humaine. Un peu comme ce que j’ai vécu sur le forum d’écriture Cocyclics, une utopique bulle virtuelle qui m’a permis de nouer des amitiés bien réelles, et qui me manque. J’aimerais y être plus présent, mais depuis quelques mois j’ai des contraintes éditoriales. Ironie du sort, c’est Cocyclics qui m’a fait prendre conscience que l’écriture devait devenir mon activité principale, et voilà que je m’éloigne du forum à cause de… l’écriture. Depuis 2010, je lui consacre plusieurs heures par jour. Un pari fou, très risqué professionnellement, mais aussi une source infinie d’épanouissement au fil des ans. Depuis ce billet, j’ai pris conscience combien le temps était important pour qu’un projet de longue haleine mûrisse, qu’il soit artistique, scientifique, humanitaire ou même pédagogique1.

C’est pour cette raison que je suis moins présent sur Twitter et Facebook. Je ne snobe pas ces réseaux, je les trouve même géniaux. Ils me permettent de communiquer avec des personnes passionnantes que je n’aurais jamais pu rencontrer en vrai, sans parler du fait qu’il est pratique d’avoir des nouvelles de « proches éloignés » (ma famille et mes amis sont malheureusement éparpillés aux quatre coins du monde). Mais quand je ne suis pas sur Cocyclics, je privilégie désormais la blogosphère, car j’apprécie son rythme lent : comme on passe beaucoup de temps à rédiger des articles, et à les lire, la qualité des échanges et de la réflexion s’en ressent, sans parler du fait qu’on garde une trace des billets et des commentaires. Je souhaite éviter cette course au temps qu’on ne rattrape jamais, la déshumanisation qui nous guette, les trolls et la vacuité. À propos de vacuité, j’ai eu l’occasion de regarder la fameuse présentation de la montre Apple. J’adore travailler sur Mac, mais pourtant j’ai été frappé de constater combien cette iDéshumanisation 2.0 est insidieuse, notamment dans ce court extrait :

J’estime que je reçois déjà trop de notifications sur mon iPhone/iPad. Plus j’y réfléchis, plus je trouve ce projet d’Apple aussi vain que les lunettes de Google, tant ces deux multinationales tentent d’uniformiser notre rapport à l’Autre. Si un ami m’apprend le décès d’un de ses proches, quel émoticône sera suffisamment triste pour lui adresser toutes mes condoléances ? Faut-il lui envoyer un cœur ?

Je caricature, mais pas tant que ça. Je confesse qu’il m’arrive d’écrire des ♥ sur Facebook. Je suis geek le premier à utiliser des smileys, y compris dans les commentaires de ce blog, mais pour moi, en dehors d’une rencontre réelle, l’écrit, le vrai, demeurera toujours le moyen de communication le plus noble. Le blog est l’une des dernières armes de résistance qui reste pour échanger sur des sujets qui, j’ose l’espérer, ne sont pas superficiels… à condition « d’avoir le temps », pour reprendre la formule consacrée. Ah, ce temps…je suis désormais persuadé qu’il est une richesse qu’il nous faut préserver. Combien de fois nous sommes-nous plaints de ne pas avoir le temps de lire ou d’aller au musée ? La vie vaut-elle la peine d’être vécue si elle ne devient qu’un matérialisme utilitariste imposé par une pensée unique, pour ne pas dire inique ?

Le temps est une richesse qui appartient à tous, luttons pour ne pas en être dépossédé !

PS : si vous trouvez que je suis incendiaire en ce qui concerne l’Apple Watch, je vous invite à découvrir cet article de Slate particulièrement édifiant. On apprend que chez lui, Steve Jobs limitait les gadgets… comme la plupart des patrons de la Silicon Valley ! Tous ces riches technophiles ont conscience des problèmes qu’ils contribuent à créer, car ils envoient leurs enfants dans une école ultra-traditionnelle façon les Choristes pour les protéger des ordinateurs et du monde moderne… Un constat ironique, qu’il faut mettre en perspective avec la futur Apple Watch, surtout le modèle haut de gamme. Je ne connais pas encore le prix précis de la déclinaison or de cette montre, mais faut-il investir plus de 1000 dollars dans un appareil électronique doté d’une batterie à durée de vie limitée, ou bien dans une montre mécanique que l’on transmettra à ses enfants, et petits-enfants ? En ce qui me concerne, le choix est fait…

1. N’y voyez aucun cynisme de ma part, mais je constate que les médias parlent de la logistique d’une troisième guerre en Irak, mais beaucoup moins du budget qui sera investi là-bas pour construire des écoles et former des enseignants progressistes capables de faire reculer l’intégrisme sur le long terme. Tuer des terroristes est infiniment plus facile que d’éduquer des millions de personnes, car l’éducation nécessite… du temps.

Published in: on septembre 19, 2014 at 9:43  Comments (19)  
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S’inspirer, c’est souffrir


– Il faut avoir de l’inspiration pour écrire des livres !

Quel auteur n’a jamais entendu cette phrase au détour d’une conversation ? Ah, « l’écrivain inspiré » ! une idée reçue qui a la vie dure… Bien sûr, je n’en veux pas aux gens de croire en ce stéréotype vieux comme le monde. Chez les Grecs, on parlait volontiers d’extase, de furor poeticus, l’artiste se transformant en possédé !

Les Romains étaient plus pragmatiques : ils distinguaient le talent, l’ingenium, de  l’inspiration proprement dite. Mais avec le Christianisme, plus possible d’échapper à une inspiration in spiritum. Cette conception surnaturelle de l’écriture triomphera au XIXe siècle avec les poètes romantiques. Tout cela explique pourquoi l’écrivain est aujourd’hui considéré comme un branleur qui attend tranquillement que les idées tombent du ciel un inactif, et non une personne qui fréquente les ateliers d’écriture pour travailler sa technique. Et même travailler tout court…

Au même titre que le peintre, le romancier a une image de dilettante qui lui colle à la peau. D’ailleurs, les médias rappellent régulièrement que les Français écrivent beaucoup, ce qui renforce l’idée que l’écriture est une activité facile réservée aux oisifs « inspirés ». Pourtant, très peu de gens terminent la rédaction d’un premier roman. Pour franchir ce palier décisif il faut des semaines, des mois, parfois des années de travail et beaucoup de temps et de persévérance, j’en avais d’ailleurs longuement discuté avec vous. Mais qu’est-ce qui peut pousser une personne à se livrer à une activité si ingrate ? En posant la question, on a un début de réponse.

La frustration

Un terme aussi négatif va probablement choquer pas mal d’amis auteurs, et pourtant je pense qu’il est essentiel. Faut-il avoir souffert dans sa vie pour écrire ? A priori, on pourrait répondre que non. La question parait même saugrenue : l’écriture est avant tout une passion, un plaisir ! Enfin, surtout au premier jet… Après l’euphorie des premiers mois, les corrections arrivent ! Quand on travaille des années sur un texte, il faut bien avouer qu’être écrivain peut s’avérer pénible.

La joie des corrections

Si un auteur s’impose un second métier, en plus d’un travail alimentaire, cela signifie bien évidemment que, pour lui, écrire relève du masochisme d’un besoin essentiel. Que l’on exerce cette activité pour soi ou dans le but d’être publié, peu importe. Tous les écrivains seront à-peu-près d’accord pour reconnaître que l’écriture tient une place importante dans leur quotidien.

Et alors ? Quel rapport avec un éventuel mal-être ?

On ne doit pas forcément avoir vécu des drames insensés pour être « inspiré ». Le pauvre Tsutomu Yamaguchi, seul homme a avoir survécu aux bombardements d’Hiroshima et Nagasaki, n’a jamais ressenti le besoin d’écrire. Avec son horrible expérience, il aurait pourtant pu créer une œuvre artistique comme la magnifique nouvelle de Akiyuki Nosaka, la Tombe des lucioles, qui a d’ailleurs été adaptée par le studio Ghibli. Néanmoins, j’ai le sentiment que la plupart des auteurs ont commencé à écrire parce qu’ils ont, à un moment de leur vie, éprouvé le besoin d’échapper à leur quotidien en racontant une histoire. Comme si l’écrivain ressentait une frustration. Il lit des livres, visionne des films, vit des événements, mais à un moment donné, cela ne suffit plus. Il veut partager un récit plus ou moins imaginaire (je reviendrai sur ce point à la fin).

Bon, d’accord, mais George R.R. Martin n’a pas forcément vécu le quart du dixième de ce qu’il fait subir à ses personnages de Game of thrones !

Oui, et tant mieux pour lui. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’est pas torturé. Récemment, Jérôme Cigut a écrit sur son blog un article passionnant, « écrire sur le vécu ». Au fil de notre discussion, il m’a appris que Stephen King, encore enfant, a vu un ami d’enfance se faire tuer par un train. Bien qu’il n’en ait pas un souvenir clair, cet épisode traumatisant a inspiré à l’auteur sa fameuse nouvelle le Corps, qui a elle-même inspiré le magnifique long-métrage Stand by me. Quand on découvre dans l’autobiographie Écrire l’enfance de Stephen King, il apparait évident que l’auteur a ressenti le besoin de partager ses névroses. Lorsqu’Anne Rice invente le personnage de Claudia pour Entretien avec un vampire, sa fille Michèle vient d’être emportée par une leucémie à l’âge de six ans… Une fois encore, si peu d’entre nous ont vécu d’horribles tragédies, la mort nous concerne tous, hélas. Un deuil n’est-il pas la plus grande des frustrations ?

Chagrin inconsolable, Ivan Kramskoy, 1884

Chagrin inconsolable, Ivan Kramskoy, 1884

Le deuil n’est pas forcément le sentiment de perdre un être cher, il peut-être aussi lié à d’autres événements comme le passage à l’âge adulte, ou bien un exil douloureux dans un pays lointain. D’un point de vue plus positif, on peut considérer que l’existence humaine n’est qu’une suite de deuils que chacun d’entre nous devra gérer du mieux possible pour apprécier pleinement la vie à sa juste valeur. Peut-être que l’écrivain ne fait qu’emprunter une voie philosophique particulière pour progresser dans ce lent apprentissage ? Il n’est donc pas le seul à être inspiré au sens large :  on peut concevoir qu’un athé puisse devenir chercheur en mécanique quantique afin de comprendre les lois scientifiques qui régissent l’univers, et ainsi donner un sens à sa vie. Un religieux partira dans un pays pauvre s’occuper de personnes défavorisées pour consacrer son existence aux autres et/ou à Dieu. Un athlète de haut niveau se réfugiera dans le sport pour canaliser son agressivité, et se réaliser, tandis qu’un chef d’entreprise parti de rien créera une entreprise qui changera la face du monde…

Nous sommes tous des gens inspirés

C’est d’ailleurs, peut-être, le postulat d’Éric-Emmanuel Schmidt  : dans son uchronie la part de l’Autre, Adolf Hitler réussit son concours d’entrée au Beaux-Arts et devient… un artiste, car il a canalisé ses frustrations héritées d’une enfance difficile. Si on part de ce postulat optimiste, au moment de se retrouver devant sa feuille blanche chaque écrivain, célèbre ou inconnu, est à égalité. Quel que soit son vécu, son inspiration, il s’en nourri pour aller aussi loin que nécessaire dans l’émotion. Que l’on écrive un conte pour enfants, ou une tragédie, cette émotion est la matière première qui donne à un livre son caractère universel. C’est pour cette raison que les classements par genres sont si artificiels. On oppose la littérature blanche à celle de l’imaginaire, la réalité à la fiction, mais au final, seule l’émotion importe. Certaines personnes méprisent la littérature jeunesse parce quelle serait « puérile », et pourtant Max et les maximonstres est un récit sombre qui traite de la colère, telle qu’on peut la ressentir durant l’enfance. Inversement, il y a énormément de lumière dans le film la Vie est belle de Roberto Begnini, une histoire qui se déroule en grande partie dans un camp de concentration.

La vie est belle, l'amour plus fort que tout

La vie est belle, l’amour plus fort que la mort

Max et les Maximonstres, un conte inquiétant

Max et les Maximonstres, un conte inquiétant

Ces deux oeuvres atypiques sont la preuve qu’on peut, grâce à son vécu, s’approprier certains sujets pour en livrer une (re)lecture différente selon sa propre sensibilité… et son inspiration. Pour Freud, un être humain est, sa vie durant, partagé entre ses pulsions de vie et de mort. À défaut d’être inspiré, peut-être que l’écrivain, comme d’autres artistes, est plus sensible à ce combat Éros vs Thanatos. Pour lui, s’inspirer, c’est souffrir. Mais souffrir, c’est également s’inspirer. À mon humble niveau, en 1999 j’ai vécu l’une des périodes les plus riches de mon existence. J’ai eu le bonheur et la chance de participer à des fouilles archéologiques en Jordanie, non loin de Pétra, mais j’ai également connu la souffrance et la frustration en étant cloué sur un lit d’hôpital pendant de longues semaines, à cause de graves problèmes de santé. Et comme tout le monde, j’ai vécu le deuil d’une rupture…

Cette année là, j’ai beaucoup écrit.

D’autres articles de la blogosphère sur l’inspiration : Nathalie Bagadey, Syven, Vestrit.

PS : un grand merci à Marie Caillet, Célia Deiana, Carole Rxq, Angou Levant, Saile, @ARRIBASNatalia, @avalyn_w et @paindesegle pour les idées de GIF !

Published in: on mars 28, 2014 at 8:36  Comments (40)  
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Les pays qui m’ont inspiré : le Japon

Nagasaki

Aujourd’hui un article (et des photos) sur un voyage qui a influencé l’écriture de ma trilogie, les pirates de l’Escroc-Griffe. J’ai en effet eu la chance de visiter des pays lointains qui ont profondément changé ma vision du monde. Au Japon, j’ai rencontré des gens exceptionnels qui ont nourri ma plume et pour cause : imaginez qu’en France les vêtements médiévaux soient toujours à la mode, et que nous ayons conservé nos valeurs chevaleresques ?

Des musiciens à Tokyo

Je suis allé trois fois au pays du Soleil-Levant, sans être rassasié. Le dernier voyage a duré trois semaines, mais en suis-je jamais revenu ? Ce pays continue à me hanter au quotidien. Partir au Japon, c’est revenir irrémédiablement changé, tant cette culture transforme le regard que vous portez sur les autres. En France, lorsque nous faisons la queue nous n’avons qu’une seule peur : que quelqu’un nous grille la politesse. Au Japon, la crainte, c’est de manquer de respect à son prochain. Jamais je n’ai rencontré de peuple aussi hospitalier, serviable et respectueux. Une mentalité de samouraï. Je me souviens qu’un jour, de grosses inondations ont bloqué le train dans lequel nous étions avec ma compagne. Nous posons des questions au contrôleur :  comme il ne parle pas anglais, il demande de l’aide au micro. Un passager se lève spontanément, nous explique la situation et nous propose de nous accompagner jusqu’à Tokyo via le métro. Il nous guide pendant trois quart d’heure, avant de s’excuser platement : il doit repartir travailler ! Je me rappelle aussi d’un magasin high-tech, et de l’expression effarée de cette vendeuse lorsque je lui demande si je peux acheter le robot en vitrine. Sur le coup, je me dis qu’elle va m’annoncer que le produit n’est pas disponible. Elle m’avoue alors d’une voix craintive que le robot est dans l’arrière-boutique, mais qu’il faut que je patiente cinq minutes, et elle s’en excuse…

Un train en bois traditionnel

Un train en bois traditionnel

Lorsque vous êtes perdu, il ne faut pas plus de quelques instants pour que quelqu’un vous vienne en aide, sans arrière-pensée : le Japon est le pays doté du plus faible taux de criminalité au monde. Si vous égarez votre porte-feuille, vous avez toutes les chances de le récupérer aux objets trouvés. On a la sensation d’évoluer dans une bulle aseptisée, étrangement familière pour notre regard occidental : les symboles sont omniprésents. Le Japon est en effet une civilisation de l’image.

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On rencontre quotidiennement des gens à des années-lumières du stéréotype de l’asiatique froid : il faut entendre les tokyoïte faire la fête le soir, après une dure journée de travail ! Les habitants de l’île méridionale de Kyushu ont un tempérament encore plus chaleureux, aussi explosif que le volcan de Kagoshima.

Bien que le climat de cette partie du Japon soit subtropical, la culture a quelque chose de méditerranéeen, notamment au niveau de la cuisine, délicieuse. Un jour, dans un restaurant nous avons tellement apprécié le plat que j’ai innocemment dit au serveur « vous féliciterez le cuisinier, en France je n’ai jamais mangé un plat aussi bon ».

À la fin du repas, le cuisiner vient à notre table, et avant que je puisse dire quoi que ce soit, s’incline trois fois devant nous, le plus bas possible ! Une touchante marque de respect quand on connait les codes sociaux. Face à un ami, on s’incline de la même façon. Mais face à un supérieur hiérarchique, on s’incline plus bas en signe de respect… Je le sais d’autant plus que j’ai eu une dette morale à honorer  ! En effet, lors de mon premier voyage, j’ai invité un ami japonais au restaurant. Pendant le repas, je lui offre une bouteille de vin, et à la fin je pars discrètement payer : erreur ! Mon ami s’incline avec gêne, il est vexé, car il se sent incapable de rendre la pareille, ce que je n’avais bêtement pas prévu. Chacun doit amener un cadeau d’une valeur égale. Aussi, lors de mon troisième voyage, je me suis laissé inviter par mon ami qui a payé le restaurant, et offert un cadeau. Au moment de recevoir le présent, je me suis profondément incliné, le mal était ainsi réparé.

On parle de respect, mais quand il le faut, les Japonais savent aussi relever la tête : il s’agit du seul peuple à avoir subi deux bombardements nucléaires. Visiter Hiroshima au coucher du soleil est une expérience bouleversante : alors qu’on contemple les stigmates de cette apocalypse, on réalise que le Japon s’est relevé de toutes les catastrophes. Un journaliste américain racontait que dans les années 50, il était difficile d’imaginer qu’Hiroshima avait été ravagée par la bombe atomique tant les travaux de reconstruction étaient impressionnants. Sentiment renforcé à Nagasaki, ville d’une rare beauté. Quelques monuments témoignent encore de la sauvagerie de ces deux bombardements.

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En 1945, un habitant d’Hiroshima a retrouvé la maison de son oncle ravagé par l’incendie du bombardement. Il a ramené à pied une flamme à Tokyo. Plus tard, les flammes d’Hiroshima et de Nagasaki furent réunies en une seule qui, depuis 1945, n’a jamais cessé de brûler, entretenue religieusement par les moines du parc de Ueno.

La flamme d’Hiroshima et Nagasaki

 

Pour toutes ces raisons (en fait il me faudrait plusieurs articles…), le Japon a profondément changé le rapport que j’avais à l’Autre, et m’a donné l’impression d’avoir trouvé une civilisation si raffinée qu’elle parait, sur certains aspects, en avance sur la nôtre… Si, bien sûr, aucune civilisation n’est parfaite, celle du Japon a néanmoins beaucoup à nous apprendre. En tout cas en ce qui me concerne, c’est le cas, et je crois qu’il y a un peu de Soleil-Levant dans le personnage de Goowan et du peuple Kazarsse : le respect de soi et des autres, la philosophie fataliste de la Voie… De la même façon, Hiroshima et Nagasaki m’ont fait prendre conscience que l’Humanité ne sera jamais à l’abris d’une catastrophe majeure, susceptible de la faire régresser à l’âge de pierre… Pourvu que ce cataclysme n’arrive jamais.