La Stratégie Ender (roman) vs la Stratégie Ender (film)

Ender's game

Cette semaine, j’avais prévu de lire le monument d’Orson Scott Card juste avant de visionner le long métrage. Résultat : j’ai terminé le roman en deux jours, quelques heures avant d’aller au cinéma !

Un livre que j’ai découvert sur le tard

Pendant des années, j’ai culpabilisé d’être passé à côté de cette référence de la Science-Fiction. Pour prendre un exemple en rapport avec la Fantasy, c’est un peu comme si je n’avais pas lu le Seigneur des Anneaux ! Ignorant volontairement la polémique autour de l’homophobie revendiquée d’Orson Scott Card, j’ai donc commencé avec enthousiasme cette lecture. Et là, j’ai vécu un drame : pendant plus de la moitié du livre, l’auteur raconte un entraînement militaire qui m’a emmerdé laissé de marbre. Si j’ai apprécié la psychologie tordue des personnages (pour info, Ender et ses amis sont des gosses psychotiques de 5 ans qui pensent comme des adultes), j’ai beaucoup moins aimé les simulations de bataille, trop techniques à mon goût. Détail qui n’arrange rien, Ender est un personnage très froid, comme les autres protagonistes, ce qui donne le sentiment qu’on a limite affaire à des robots : pas évident de s’attacher à eux dans ces conditions. Je me suis quand même accroché, jusqu’au moment où quelques stéréotypes ethniques m’ont franchement irrité : les Juifs sont aux postes clefs, les Français ne sont que des « séparatistes arrogants », sans parler du traditionnel « honneur espagnol » et d’une blague raciste aussi drôle qu’un membre du Ku Klux Klan.

Bref, j’ai découvert par moi-même qu’Orson Scott Card était un beauf, rien de nouveau sous le soleil.

Encouragé par mes amis Cocyclics alors que je râlais comme un putois sur Facebook et Twitter, j’ai poursuivi ma lecture. Et je dois dire que je ne l’ai pas regretté : on gagne en tension, en émotion (Ender va-t-il survivre à cet entraînement hors-normes ?) jusqu’à cette révélation finale qui m’a époustouflé… Au-delà de ce twist, j’ai été forcé d’admettre que Card a fait preuve d’un génie visionnaire : en 1985, il a imaginé que ses personnages utilisaient des tablettes tactiles (les fameux « bureaux ») connectées au Net ! Sans parler de la place des réseaux sociaux, largement exploités par le frère et la sœur d’Ender. Si on oublie les références au Pacte de Varsovie et à la Guerre Froide, on a l’impression que le roman a été écrit hier : l’auteur avait déjà eu l’intuition que les jeux vidéos prendraient une place prépondérante dans le futur. Dans la seconde partie, Ender joue quotidiennement à un jeu de stratégie en temps réel pour se préparer à combattre une armée alien, mais les enjeux sont tels, que ses parties n’ont plus rien de ludique ! Le titre anglais, « Ender’s Game » entretient l’ambiguïté à travers son jeu de mot : « Game » signifie bien sûr « le jeu », mais aussi « la stratégie ». « Ender’s game », c’est moins « la Stratégie Ender » que « le dernier jeu », celui qui apportera la victoire totale à l’Humanité, une Humanité face à ses contradictions : peut-on commettre des actes de barbarie pour sauver une civilisation ?

C’est donc avec le cerveau en ébullition que je suis allé voir quelques heures plus tard le long-métrage, en me demandant comment le réalisateur allait bien pouvoir adapter un roman si complexe…

Mission impossible ?

Un film respectueux. Ce sont les premiers mots qui me sont venus à l’esprit quand j’ai découvert cette œuvre. Respectueux ne veut pas dire fidèle : exit la sous-intrigue intrigue Locke et Démosthène, l’histoire de Mazer Rackham est simplifiée… Le cinéaste s’est concentré sur le point de vue d’Ender car il était impossible de restituer la richesse du roman en si peu de temps. C’était le bon choix, mais on se retrouve devant un long-métrage plus lumineux : j’ai trouvé les gosses moins psychotiques que dans le livre, particulièrement sombre à ce niveau. Peut-être parce que le cinéaste a voulu davantage humaniser les personnages du roman ? Si on fait abstraction de ces remarques, le film est fidèle à la trame originale, servi par de magnifiques effets spéciaux. Mon unique regret concerne la motivation des Doryphores, un ennemi qui n’a jamais communiqué avec l’Homme : j’ai trouvé le long-métrage peu clair à ce sujet.

Et le gagnant est…

Orson Scott Card m’a irrité, passionné, intrigué. Je n’arrête pas de penser à ses personnages. Son œuvre, souvent aride, est loin d’être politiquement correcte, mais elle a le défaut de ses qualités et j’ai décidé de la prendre dans sa globalité (même si je me situe aux antipodes des idées de son auteur). Card a beau être un misanthrope au même titre que Howard Philip Lovecraft ou Louis Ferdinand Céline, cela n’enlève rien au fait que ce sont de grands auteurs, tout comme Richard Wagner fut un immense compositeur. Il serait toutefois injuste de réduire Card à sa dimension réactionnaire tant la Stratégie Ender est une œuvre au message intéressant : menace extra-terrestre ou pas, l’Homme est un loup pour l’Homme, une espèce dangereuse qui possède les germes de sa propre destruction.

Le film est plus lisse, les producteurs ont pris soin d’éviter qu’il sombre dans la controverse, mais paradoxalement c’est peut-être cette subversion malsaine qui manque le plus. Il n’en demeure pas moins que le long-métrage reste une passerelle agréable pour découvrir ce bouquin hors normes qui n’a pas pris une ride.

D’autres avis : RSF blog, Anudar, Vert

Published in: on novembre 7, 2013 at 10:25  Comments (27)  
Tags: , , , , , ,

The URI to TrackBack this entry is: https://escroc-griffe.com/2013/11/07/la-strategie-ender-roman-vs-la-strategie-ender-film/trackback/

RSS feed for comments on this post.

27 commentairesLaisser un commentaire

  1. Je suis assez d’accord avec toi, sur les deux analyses.
    Ce n’est pas parce qu’on n’adhère pas à la personne et à ses idées que son travail est mauvais. Et en l’occurrence, il n’est pas mauvais du tout ! Certains stéréotypes énervent, en effet, mais ça n’est pas ce qu’il faut retenir du livre.
    Quant au film, il est plus lisse et a prit quelques raccourcis. Mais c’est inévitable pour pouvoir le porter au grand écran. Je trouve le résultat plutôt réussi tout en restant fidèle aux grandes lignes du roman. J’ai passé un bon moment de cinéma.

    • Oui, en espérant qu’Hollywood mette en route la suite ! En attendant je vais lire le tome 2. Merci pour ton commentaire qui fait plaisir ! 😀

  2. Merci pour cet article, je suis pleinement d’accord avec toi et Dorifac et je vais aller voir le film au plus vite.

    • Merci à toi pour ta visite ! J’ai hâte d’avoir ton avis 😉

  3. […] Lire aussi chez : Anudar, Escroc-griffe, […]

  4. Pas toujours simple de faire la différence entre les écrits et les positions d’un auteur… Card, Simmons, Céline, on peut en effet en trouver un paquet qui posent problème…

    Pour autant, j’ai le même ressenti que toi vis à vis du roman : très froid, je n’ai pas ressenti d’empathie pour les personnages, ce qui est tout de même un problème puisque une bonne part du roman s’appuie justement sur cette dureté psychologique infligée aux enfants… En revanche, j’ai été aussi impressionné par ce Card visionnaire (tablettes, réseaux sociaux en armes politiques, etc…) et par ce génial twist final. Et aussi par le dernier chapitre, au ton bien différend qui annonce des choses intéressantes pour la suite.

    Je n’ai pas encore vu le film, je vais essayer d’y aller prochainement.

  5. C’est clair que c’est un roman qui ne laisse pas indifférent : en bien ou en mal, il y a beaucoup de choses à dire, c’est aussi ce qui fait son intérêt. J’ai hâte d’avoir ton avis concernant le film, merci pour ta visite 😉

  6. Eh bien voilà, tu donnes envie de faire le même exercice que toi : le livre et le film. J’ai déjà lu du Card mais pas Ender. Donc j’en ai encore un de plus sur ma PAL !

    • Je trouve cet exercice de comparaison sympa. C’est vrai que très souvent le roman est « supérieur » au film, mais parfois on a de grosses surprises ! Je pense aussi que nous sommes conditionnés par la première œuvre :
      j´avais aimé le film « Entretien avec un vampire », mais j’avais été déçu par le roman (alors que j’avais adoré sa suite, « Lestat »). Tu me diras ce que tu as pensé de « la Stratégie Ender » 😉

  7. J’ai tout luuuu ! 😀
    Long article, mais très intéressant. Je sors tout juste de la salle de cinéma, et ma lecture du roman remonte à très très loin, au point de ne plus me souvenir de l’intrigue ni des éléments clefs. Et tes remarques quant au roman ont fait tilt : si j’ai oublié pas mal de choses (mis à part ma mémoire de poisson rouge) c’est aussi pour ça, ne pas avoir accroché pleinement sur le coup, j’ai du buter sur un certains nombres d’éléments… Le film m’a vraiment donné envie de m’y replonger, relecture prévue pour 2014 !
    Par contre, le 2ème tome n’a absolument rien à voir (c’est celui là qui m’a fait lâcher la série sur Ender…) donc c’est très perturbant. Une coll!gue me recommande plus la Saga de l’Ombre, qui se penche sur les personnages secondaires comme Bean ou Petra. 🙂

    • Merci pour ton commentaire sympathique ! 😀 Encore un avis dithyrambique sur la suite, du coup j’ai encore plus envie de lire ce tome 2 ! 😉 En espérant que cette suite sera également portée sur grand écran, qui sait ? 😉

      • Argh, j’avais mal lu ton commentaire, ne jamais réagir à une heure si tardive ! 😀 Tu n’as pas aimé la suite donc, ce qui est tout aussi intéressant car c’est le premier avis dissonant que j’entends à ce sujet. J’écrirai un article à l’occasion si j’arrive à lire cette suite.

  8. Pr info « game » ça veut aussi dire gibier, cible en anglais, ce qui laisse entendre qu’il faut s’interroger aussi sur l’ennemi.

    Autre critique intéressante (mais en anglais) ici :

    Why Did Ender’s Game Flop at the Box Office?

  9. Article intéressant, merci ! Pour ma part, je n’ai pas du tout accroché au dernier film de M. Night Shyamalan que je trouve pour le coup, beaucoup plus froid qu’Ender’s game. Mais comme l’auteur de l’article, je pense que l’histoire d’Orson Scott Card est beaucoup trop impolitiquement correct pour bénéficier d’un succès commercial…

  10. Pour avoir lu ce roman il y a fort longtemps, j’avoue ne pas avoir été spécialement dérangé par les opinions de l’auteur ! Je n’ai pris ce livre que pour ce qu’il est, à mon humble avis, un très bon roman de SF, bien, très bien écrit, avec en effet une fin à couper le souffle. Je me suis quand même attaché à Ender. Sinon, je crains fort que les suites (il y en a 2 si mes souvenirs sont encore bons) ne te déçoivent.
    Sinon, le coté « précurseur » en matière de réseau ne m’a pas spécialement marqué ! J’avais été bien plus impressionné par celui de John Brunner dans son roman Sur l’onde de choc. Sa vision des réseaux est sans conteste bien plus effrayante que celle de Card (même si moins spectaculaire).

    Bon, et comme de bien entendu, il faut prendre les opinions de l’auteur pour ce qu’elles sont… Bien réac (mot faible). Il y a en d’autres comme lui, Heinlein par exemple…

  11. Ah, encore un avis négatif sur la suite, j’ai l’impression que soit on l’adore, soit on la déteste ! J’ai hâte de me faire mon opinion. Pour Heinlein, visiblement le débat fait rage en ce qui concerne ses opinions politiques présentées dans « Etoiles, garde-à-vous ! », notamment dans un Bifrost : http://fr.wikipedia.org/wiki/Étoiles,_garde-à-vous_!#R.C3.A9ception
    Mais bon, ironie du sort, c’est grâce à Heinlein si on a eu le subversif Starship Trooper ^^
    Merci pour ton passage 😉

    • Heinlein est bel et bien un auteur à double visage ! Réac et presque fascisant dans Étoiles, garde à vous ! et Humaniste et éclairé dans En terre étrangère… Comme schizophrène en somme 😉

  12. Je ne sais pas, je lui laisse le bénéfice du doute, j’ai l’impression que sa personnalité était pour le moins complexe 😉

  13. coucou ! Bon alors je ne suis pas vraiment d’accord avec toi ^^ certes ma lecture du premier tome remonte à quelque temps déjà, mais je ne vois pas en quoi Card a des opinions dérangeante, au contraire. Tu le verras surtout dans la suite, dont je suis complètement fan par sa vision justement humaniste, tolérante et incroyablement ouverte vis à vis des extraterrestres et des différences culturelles. En fait je pense que le « danger » c’est de prendre le tome au premier degré (comme starship trooper). Pour moi le premier tome dénonce avec une froideur glaçante les enfants-soldats, comment on peut manipuler les esprits, le « problème » de la guerre si bien résumé par la phrase d’Ender : à partir du moment où il est assez proche de la compréhension de l’ennemi pour le détruire, il l’aime. Pourquoi dit on que l’ennemi est un « monstre » dans toute guerre, c’est justement pour laisser de côté ses émotions et sa compassion, sinon on ne peut pas faire la guerre et tuer. Mais c’est de la manipulation, les soldats ne le voient pas clairement, contrairement ici à Ender trop intelligent pour ça, mais pourtant quand même manipulé malgré lui. Bref toute cette dénonciation là, magistrale de bout en bout et mise en apothéose par sa fin, n’a rien de racisme ou je ne sais quoi, bien au contraire. D’ailleurs le lecteur aussi se fait manipuler, peut être est ce ça qui provoque des réactions chez certains, mais je trouve justement ça très fort, on vit comme Ender cette manipulation et ce twist assez attroce où là brusquement on comprends tout. S’il avait écris ça autrement, s’il n’y avait pas cette froideur qui met c’est vrai mal à l’aise au début, on aurait pas la claque que l’on prend à la fin, et on classerais sans doute ce roman dans « bien mais sans plus. » Sa force c’est ce jeu dangereux avec le lecteur qui fait détester ou adorer, c’est un quitte ou double. Moi je trouve que c’est un coup de génie. Plutot que de nous faire un pamphlet « la guerre c’est mal » il nous la fait vivre de l’intérieur, et on comprends avec effroi que non ce n’est pas un jeu (en effet le titre à plus d’un sens), il nous fait sentir toute cette atrocité glaçante pour l’esprit même (sans tomber dans une quelconque violence gratuite, si ce n’est la vision hardcore de la société dans laquelle ils vivent avec l’extraction de la sonde au début, damned je ne m’en souvenais pas dans le livre, mais dans le film j’ai trouvé ça traumatisant :S ).
    Le fait qu’Ender soit un enfant montre encore plus l’horreur psychologique que c’est, et dénonce un fait réel avec la manipulation des enfants-soldats.

    Bref, je pense vraiment que la Stratégie Ender est un grand livre très riche, qui crée polémique parce qu’il prend le risque de nous faire comprendre les choses par un vécu et non une explication textuelle. Je suis la première en générale à ne pas rentrer dedans et à trouver ça trop angoissant, trop dur, mais lorsque ça m’arrive c’est parce que le livre ne parvient pas du tout a faire passer son message et me laisse juste avec des sensations pénibles, alors qu’ici, c’est grandiose, c’est de l’art, c’est un même temps effrayant mais fascinant, tout est d’une grande force et d’une grande justesse.

    Vous voulez savoir ce que c’est que de faire la guerre, que d’être manipulé ? Lisez le.
    Vous voulez intimement comprendre et ressentir ce que c’est que d’être différent et conscient, comment comprendre et communiquer avec une autre culture, avec un « autre » tout court ? Lisez la suite 🙂

    ps : sinon le film est une chouette adaptation, j’ai apprécié retrouver certaines phrases du livre. Il ‘simplifie’ un peu le livre ce qui peu être un atout, mais je l’ai trouvé un peu trop court, il manque quand même un peu plus de scène sur l’évolution d’Ender au sein de l’école militaire (là ça fait un peu trop rapide quoi).
    note : ah ben j’ai ecrit un pavé moi XD j’vais ptet le mettre sur mon blog tient.

    • Merci Lael pour ce long commentaire qui a le mérite d’être fort bien argumenté ! 😀
      Je te rassure tout de suite : on est d’accord sur l’essentiel 😉 Je ne remets pas en cause les points forts de ce roman, que j’ai globalement apprécié (notamment la fin, magistrale). Mais cela ne m’a pas empêché de tiquer sur certains stéréotypes qui, pour le coup, m’ont irrité, et que je n’ai malheureusement pas inventé (tu peux d’ailleurs vérifier). Après, je suis d’accord pour dire que ça reste un grand livre, n’est-ce pas l’essentiel ? 😀
      Merci pour ton passage 😉

  14. […] Mouche, RoboCop, New York 1997, les romans cyberpunks des années 80 de William Gibson ainsi que la Stratégie Ender. À partir des années 90, les auteurs de Science-Fiction rencontrent un paradoxe : bien que la […]

  15. […] les avis de Myhtologica, Le Hulk, Escroc-Griffe, Anudar, […]

  16. Merci pour le partage, je n’est pas encore lu le livre ou vu le film mais j’ai l’impression que l’article m’a spoiler avec cette phrase: « …menace extra-terrestre ou pas… ». Attention ou prévenez !

  17. Merci

    • Soyez rassurée, ce n’est pas un spoil, je parlais de l’Humanité en général 😉 Bonne fête de fin d’année.

  18. J’ai lu le livre , j’ai vu le film (http://www.idee-film.com/la-strategie-ender.html sur http://www.idee-film.com). Franchement ce dernier est à la hauteur du livre! L’un de mes films SF préférés …

    • Heureux que tu l’aies apprécié ! Tu m’as donné envie de revoir ce film du coup 😉


Laisser un commentaire