The Fountain, deux œuvres, un film

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Mother ! m’a donné envie de revoir une œuvre majeure dans la carrière de Darren Aronofsky : The Fountain. J’ai toujours aimé les films de SF mystiques comme Cloud Atlas, The Tree of Life,  ou 2001 Odyssée de l’Espace, et The Fountain s’inscrit clairement dans cette lignée.

Au XVIe siècle un conquistador part en quête de la légendaire fontaine de jouvence, censée offrir l’immortalité.
De nos jours, un scientifique cherche désespérément le traitement capable de guérir le cancer qui ronge son épouse.
Dans un futur lointain, un cosmonaute voyage à travers l’espace et prend peu à peu conscience des mystères qui le hantent.

La vie, l’amour, la mort, tel est le propos de ce film bouleversant qui a bien failli ne jamais voir le jour. La genèse de ce long-métrage mériterait à elle-seule un documentaire ! Ce que peu de cinéphiles savent, c’est qu’il existe deux versions de cette histoire.

À l’origine, The Fountain devait être un blockbuster à 75 millions de dollars… un budget colossal au début des années 2000. En 2002, alors que les décors sont prêts, Brad Pitt annonce à sept semaines du tournage qu’il abandonne le film à cause d’une divergence artistique. Le projet est annulé, ce qui plonge Darren Aronofsky dans une profonde dépression, d’autant plus que sa mère lutte contre un cancer… cruelle ironie pour un réalisateur obsédé par le thème de l’immortalité et de la fontaine de jouvence.

Sachant que The Fountain ne sera probablement jamais tourné, Darren Aronofsky décide de confier l’adaptation du roman graphique au peintre Kent Williams qui s’inspire de la première version du film (bien que l’édition de ce livre soit épuisée, j’ai pu me procurer cette semaine un exemplaire). Au fil des pages on découvre qu’initialement, l’histoire de The Fountain commençait par une scène à grand spectacle, une bataille sur une pyramide, avec des conquistadors affrontant une armée maya.

 

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Pendant que Kent Williams travaille sur cette adaptation du synopsis original, Aronofsky tente de faire le deuil de son ancien projet :

Au fur et à mesure que le boulot avançait, j’avais de plus en plus de mal à dormir. Une nuit, je finis par sauter de mon lit, excédé. Dans mon bureau, j’épluchais toute la documentation dont j’avais eu besoin pour écrire The Fountain. Il devenait clair que je n’arriverais pas à me sortir l’histoire des tripes si je ne la réalisais pas moi-même.  Il me vint alors une idée. Quand j’avais commencé à faire des films, j’écrivais les scénarios avec en tête un budget minimum, un budget de film indépendant. Pourquoi diable avais-je placé celui-là d’emblée dans la catégorie des films de studio ? Je décidais de tout recommencer. De faire de mon histoire un scénario de film indépendant. C’était un vrai défi, ça me plaisait bien. Du coup, si je ne dormais plus, c’était pour écrire. Et ça faisait longtemps que je n’avais plus écrit pour le plaisir. Deux semaines plus tard, j’avais terminé. La même histoire, mais cette fois-ci le film avait une chance de se faire. Pendant des mois, avec Kent (Williams, l’auteur du roman graphique), on a parié qu’on serait le premier à terminer, lui l’album, moi le film. Et bien, c’est match nul. Et c’est impeccable. Avec les mêmes géniteurs, et la même histoire, l’album et le film réunissent l’exploit d’être uniques, chacun dans leur genre.

(The Fountain, postface de l’édition française du roman graphique)

Tandis que Kent Williams termine l’adaptation du premier scénario, Darren Aronofsky se décide à travailler sur une nouvelle version de The Fountain avec un budget divisé par deux. Une approche plus intimiste qui va, contre toute attente, servir le film. Cate Blanchett et Brad Pitt laissent la place à Rachel Weiz et Hugh Jackman, qui forment à l’écran un couple émouvant, magnifié par la caméra d’un cinéaste amoureux… Rachel Weiz étant la femme de Darren Aronofsky !

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Alors que le premier script commençait avec une (coûteuse) bataille entre conquistadors et Mayas, dans la nouvelle version on se retrouve propulsé dans le futur au milieu d’une magnifique séquence spatiale psychédélique. Crâne rasé, l’astronaute interprété par Hugh Jackman est enfermé avec un arbre dans une mystérieuse bulle.

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Pour mettre en images cette séquence contemplative, le responsable des effets visuels, Dan Schrecker, délaisse le numérique et utilise des micro-clichés de minuscules réactions chimiques dans des boîtes de Pétri… de simples collages photos qui ne sont pas sans rappeler les sublimes effets artisanaux de Douglas Trumbell sur The Tree of Life.

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Comme pour Pi et Requiem for a dream, Darren Aronofsky confie la musique à Clint Mansell, accompagné du Kronos Quartet et du groupe rock Mogwai. L’équipe livre une bande-originale mémorable, à la fois épique et mélancolique, tout en sensibilité, qui sert de trait d’union entre les deux versions, que j’ai d’ailleurs réécoutée en feuilletant les pages de l’album.

Au final, impossible de nourrir une quelconque amertume en fantasmant sur ce qu’aurait pu être la première version de The Foutain. Ce que le film a perdu en spectaculaire, il l’a gagné en émotion avec une histoire plus simple que celle du premier script, riche en symboles. L’arbre de vie de l’Ancien Testament est aussi l’arbre de la Bodhi, permettant d’atteindre l’éveil spirituel, la mort n’étant qu’une porte pour accéder à cette illumination. De la même façon, l’inquisiteur qui met à feu et à sang l’Espagne est également la métaphore du cancer qui est en train de tuer Izzi…

Film aussi expérimental que radical, The Fountain fait aujourd’hui partie des œuvres SF qui ont profondément divisé la critique… et les cinéphiles. La marque des oeuvres visionnaires.

Published in: on octobre 17, 2017 at 9:32  Comments (9)  
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9 commentairesLaisser un commentaire

  1. Il y a Rachel, donc ce film est bon 🙂 Non plus sérieusement, c’est une oeuvre assez hermétique, qui pourtant parle simplement d’amour, et je l’ai en effet également rapproché de Cloud atlas, autre oeuvre que j’aime beaucoup, malgré ses faiblesses en tant que film.

  2. Hihi 😀 Tu trouves que Cloud Atlas a des faiblesses ? 🙂

  3. Je plussoie patate des Ténèbres pour la présence de Rachel Weisz ^^
    Sinon, The Fountain… ce film, la première fois que je l’ai vu, j’étais toute retournée ! Il porte tellement d’émotions, et cet amour si fort entre les deux personnages…. bref, j’ai adoré ! 🙂 Merci pour ce bel article !

    • Je t’en prie, merci pour ton commentaire enthousiaste, je suis ravi que tu sois également fan de ce film ❤ Ah Rachel Weiz… Je crois que son plus beau film, c'est "Agora", il m'a vraiment marqué…

  4. Et bien tu vois, j’avais détesté ce film. Je l’avais trouvé trop contemplatif. En revanche, la BD m’intéresserait davantage.

    • C’est un film qui déchaîne les passions 🙂 J’espère que tu auras l’occasion de la lire !

  5. J’adore ce film (et je désespère de trouver des gens qui l’apprécient égalment, c’est rare !). Très beau visuellement, étonnamment intimiste et avec des thèmes très intéressants. Faudrait que je relise la BD, j’ai souvenir qu’effectivement la direction prise était différente mais intéressante également.

    • C’est encore plus rare d’échanger avec une personne qui connait les deux versions, heureux que tu sois fan également ! Ton avis sur la BD m’intéresse du coup 🙂

  6. […] le film est une magnifique histoire de réincarnation, comme pouvait l’être The Fountain. Ainsi, le couple Frobisher/Vyvyan Ayrs tente de vivre un amour qui sera contrarié au cours des […]


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