Sakado, l’art de l’écriture

En 2016, année de la publication de l’intégrale de ma trilogie, j’écrivais sur ce blog un article à propos de l’écriture, avec notamment ce passage :

Au Japon, pays que je connais un peu, il y a un art (un dao, « la Voie » ), et donc un temps, pour tout : l’art de faire du thé (le cha dao, dont la cérémonie peut durer cinq heures), l’art de dégainer un sabre (l’iaido, que l’on peut pratiquer toute une vie), l’art de la main vide (karate-do), l’art de la composition florale (le… kado, ça ne s’invente pas)*. Et si il existait un dao pour écrire ? Un dao de l’écrivain (en japonais 作家道, « sakado« ). Un art qui prendrait son temps ? Comme son nom l’indique, le dao, « la Voie », est un concept philosophique inspiré du tao chinois. Dans les arts cités plus haut, il y a la notion d’art de vivre, d’harmonie. S’il existe un art de l’écriture, celui-ci ne peut que respecter le temps, c’est-à-dire suivre le tao, la force fondamentale de l’univers, l’essence même de la réalité. Cet art de l’écriture, un non-agir, serait donc à l’opposé des contraintes éditoriales d’aujourd’hui.

Respecter le temps… Je ne pensais pas si bien dire ! Il m’a fallu un long moment pour laisser infuser le projet d’un quatrième roman. Entre-temps j’ai eu beaucoup de chance : je suis devenu père, j’ai découvert le bouddhisme, créé un atelier d’écriture qui a accouché d’un festival, je suis également devenu bibliothécaire, j’ai visité le Caucase, le Brésil et la Malaisie, pratiqué un petit peu l’aïkido et beaucoup le taï chi, appris à gérer mon autisme, traversé des épreuves aussi… des épreuves qui m’ont fait réaliser que je ne pouvais pas vivre sans l’écriture. Si cet art donne tellement de sens à ma vie, c’est parce que, même dans les pires moments, mes ateliers d’écriture me procuraient le sentiment d’être utile, car ils ont en effet contribué à ce que plusieurs personnes soient publiées. J’ai moi-même bénéficié de ces séances car, comme pour les arts martiaux, pour continuer à progresser techniquement, il faut transmettre son savoir-faire… mais plus important encore, j’ai aussi découvert qu’une majorité de personnes venaient à mes ateliers non pas pour être publiées, mais pour s’amuser, sortir de l’isolement et se faire des amis, parfois même pour faire la paix avec soi-même et se sentir mieux… En nous permettant de nous réconcilier avec notre passé, l’écriture nous relie les uns aux autres.

J’ai progressivement réalisé que l’écriture peut être une activité méditative bienveillante qui soigne les blessures de l’âme et qui peut conduire à un véritable éveil spirituel. Fort de ce constat, j’ai décidé de proposer une voie de l’écriture qui s’appuie à la fois sur mon expérience pratique des ateliers d’écriture, mais aussi sur ce que j’ai appris en tant qu’être humain, que ce soit lors de mes voyages au Japon, avec la méditation tibétaine et les arts martiaux. J’appelle donc cette voie de l’écriture sakado, 作家道. Le but du sakado, c’est d’aider tout un chacun à écrire des histoires via une méthode ancestrale simple : apprendre à mieux se connaître. Il s’agit d’une voie progressive.

Pour toutes ces raisons, je proposerais de temps en temps sur ce blog des articles en rapport avec le sakado. Il y aura un vrai programme, avec des consignes d’écriture ludiques… L’idée étant de s’amuser ! Ce programme sera à la fois destiné aux grands débutants avec des pratiques préliminaires pour gagner de la confiance en soi, ainsi qu’aux auteurs confirmés qui souhaitent aller plus loin dans leurs connaissances de la narratologie… J’ai hâte de partager tout cela avec vous !

Published in: on avril 14, 2024 at 11:36  Comments (1)  

Vers un nouvel âge d’or de la Science-Fiction ?

Film magistral inspiré de l’œuvre culte du génie visionnaire Franck Herbert, Dune Partie 2 a été à la hauteur de mes attentes, particulièrement élevées. Il faut dire qu’en tant que fan absolu du réalisateur Denis Villeneuve, j’avais été impressionné par Dune Première Partie et la capacité du cinéaste canadien à se détacher de l’adaptation de David Lynch pour livrer sa propre version, un film à l’esthétique minimaliste, très éloignée du baroque industriel du premier long-métrage des années 80 (que j’adore pourtant).

Il faut dire que Villeneuve est un cinéaste à part, un auteur à la sensibilité européenne tel que peut l’être Christopher Nolan, preuve en est avec sa façon de concevoir un film : contrairement à beaucoup de réalisateurs, Villeneuve dresse d’abord un storyboard de son projet, scène par scène, avant d’écrire le scénario et les dialogues, afin que son récit soit le plus show don’t tell possible. Son but est de vouloir faire ressentir les émotions plutôt que d’expliquer son univers via des dialogues comme Lynch… quitte à renoncer au projet (vain) d’être parfaitement fidèle au livre de Herbert, une tâche impossible à accomplir. Villeneuve privilégie l’immersion, et c’est particulièrement le cas dans Dune Partie 2 : lorsque Paul chevauche pour la première fois un ver des sables, on a l’impression d’être aveuglés par les grains de sable. La bataille finale est toute aussi saisissante, avec ses impacts nucléaires, ses attaques de vers, ainsi que ses hordes de Fremens fanatisés… mais chez Villeneuve, jamais la forme ne prime sur le fond. Le réalisateur livre en effet une puissante réflexion métaphorique sur l’intégrisme, symbolisé par le personnage du charismatique Stilgar.

Un intégrisme largement exploité par les puissances politiques dans Dune, notamment l’organisation du Bene Gesserit qui, à des fins de propagande, distille depuis des siècles des légendes sur l’arrivée d’un messie chez les Fremens… jusqu’au moment où le djhad survient et devient hors de contrôle.

Même s’il a pris certaines libertés en délaissant certains personnages du roman, Villeneuve a parfaitement conservé la force visionnaire du livre de Franck Herbert, qui avait prévu les tensions au Moyen-Orient autour du pétrole (« l’Epice »), le 11 septembre et le djihadisme, parfois instrumentalisé par l’Occident comme ce fut le cas en Afghanistan lors de la Guerre Froide contre l’Union Soviétique ou bien en Irak… Une réflexion très adulte qui montre que la Science-Fiction n’est jamais aussi efficace que lorsqu’elle parle de notre présent.

Le triomphe de Dune Partie 2 au cinéma est pour moi révélateur d’une attente chez le grand public : alors que les années 2010 ont été marquées par le règne de Marvel et des super-héros, et par l’échec artistique de Disney avec sa pitoyable trilogie Star Wars, on assiste désormais au plébiscite d’une SF moins americano-centrée, plus mature… et pas seulement au cinéma.

En l’espace de quelques années, la littérature de SF est redevenue une source d’inspiration majeure pour le petit et le grand écran, avec le retour des récits subversifs : je pense en particulier à Fondation d’Isaac Asimov, l’autre grand cycle de la SF avec Dune, qui a donné lieu à une série profondément originale sur Apple TV. Une oeuvre philosophique qui se détache (beaucoup) des romans originaux, mais qui nourrit une véritable réflexion sur la décadence d’une civilisation impérialiste avec cette question fondamentale : qu’est-ce que le pouvoir ? Pour moi, ce renouveau de la SF a été initié en 1999 par l’écrivain américain d’origine chinoise Ted Chiang, auteur d’une nouvelle poignante, l’Histoire de ta vie, adaptée par Denis Villeneuve dans son chef d’oeuvre, Premier Contact.

Le fait qu’un grand écrivain tel que Ted Chiang soit d’origine chinoise n’est pas un hasard : alors que la SF était traditionnellement dominée par les auteurs anglo-saxons, on observe une orientalisation du genre avec l’arrivée d’auteurs étrangers qui amènent un vent de fraicheur, une sensibilité particulière. Je pense notamment à Ken Liu, l’auteur de la magnifique nouvelle Mono no aware, une histoire dans laquelle il est question d’espace et de spiritualité.

On retrouve cette sensibilité orientale dans le film The Creator, qui a marqué les esprits en proposant, pour un budget bien inférieur aux long-métrages Marvel, un spectaculaire récit non manichéen racontant une opposition idéologique entre Orient et Occident : dans un futur proche, l’armée américaine se livre en effet à une guerre contre des intelligences artificielles qui se sont développées en Asie. Ces dernières ont atteint un tel niveau d’évolution que certains robots ont développé une vraie spiritualité en devenant des moines bouddhistes… mais sont-ils humains pour autant ? Et d’ailleurs, qu’est-ce qu’on appelle « Humanité » ?

En proposant un anti-blockbuster qui repose sur des effets spéciaux particulièrement réussis, et de magnifiques décors naturels, le réalisateur britannique Gareth Edwards a essayé de livrer un film expérimental dans l’esprit de District 9 de Neill Blomkamp, très critique envers l’Amérique, à la fois humaniste et désenchanté.

« Désenchanté », parce que la Science-Fiction mondiale parle de la crise des valeurs morales occidentales et de nos angoisses civilisationnelles, on le constate avec l’écrivain chinois Liu Cixin, et son Problème à trois corps, un best-seller brillamment adapté en série Netflix, et qui a pour toile de fond la révolution culturelle de Mao. Que se passerait-il si les accélérateurs à particules du monde entier se mettaient à livrer des résultats incohérents et que des scientifiques de premier plan se suicidaient ? Comment réagirait l’Humanité si, un soir, les étoiles se mettaient à clignoter ? Oeuvre anxiogène réaliste, Le problème à trois corps traite de la rencontre avec une civilisation extra-terrestre bien supérieure à la nôtre et (peut-être ?) de notre incapacité à communiquer avec elle de façon pacifique… Notre espèce serait-elle foncièrement belliqueuse ? C’est la question que l’on peut se poser à la fin de la saison 1, riche en promesses… en espérant que Netflix n’annule pas la saison 2.

Assiste-t-on à un nouvel âge d’or de la Science-Fiction ou à un simple effet de mode sans lendemain ? Seul l’avenir nous le dira, mais grâce au succès international de Dune et le triomphe annoncé de la troisième partie, le Messie de Dune , il y a fort à parier que les autres livres du cycle de Franck Herbert, beaucoup plus complexes à adapter au cinéma (notamment les enfants de Dune et l’Empereur Dieu de Dune) seront proposés a minima au format série, sans parler de l’autre grand projet de Villeneuve : l’adaptation de Rendez-vous avec Rama, écrit par l’auteur de 2001 Odyssée de l’Espace, Arthur C. Clarke… Autant dire que les années 2020 s’annoncent passionnantes !

Published in: on avril 12, 2024 at 1:55  Comments (1)  

La fabuleuse découverte du toumo

Alexandra David-Néel et son fils adoptif, Yongden

Indiana Jones était une femme ! Oui, vous avez bien lu, je parle d’Alexandra David-Néel, une exploratrice que j’admire et qui m’a beaucoup inspiré. Cette aventurière mena une vie extraordinaire : lassée par sept années de mariage, et peu encline à devenir mère de famille, elle décida un beau jour de partir explorer l’Asie. En 1924, elle fut la première occidentale à pénétrer clandestinement dans Lhassa, la capitale du Tibet, à une époque où les étrangers qui bravaient cet interdit risquaient la peine de mort. Pour réussir cet exploit, Alexandra David-Nel se déguisa : elle recouvrit son visage de suie, apprit le tibétain, se fit passer pour une mendiante… tout en cachant sous ses haillons un pistolet. Son récit est souvent drôle, preuve en est le soir où Alexandra et son fils adoptifs, Yongden, sont invités par des paysans à un « repas de fête »… qu’ils sont obligés d’honorer si Alexandra ne veut pas être démasquée !

Lors de son voyage initiatique, Alexandra David-Néel ne se contenta pas de changer d »identité, elle reçut également les enseignements des plus grands maîtres spirituels du Tibet, dont le 13e dalaï-lama. Elle s’initia au bouddhisme tantrique, une spiritualité ésotérique appelée vajrayana. Cette spiritualité se retrouve dans le Moine de Samarcande, (le désert du Taklamakan ayant appartenu à l’Empire du Tibet) et elle est, comme je l’expliquais dans un article précédent, source de malentendus en Occident.

Le bouddhisme tantrique tibétain est en effet une voie spirituelle qui a révolutionné le bouddhisme traditionnel tel qu’on le pratiquait en Inde et en Asie du Sud-Est au sens où, qu’on soit moine, laïc ou même hors-la-loi, il est question d’atteindre l’Éveil en une seule vie sans passer par de multiples renaissances, à condition de se soumettre à des pratiques ésotériques rigoureuses : méditations, récitations de mantras, visualisions de divinités tantriques appelées yidams qui ne font qu’une avec le yogi, telles que Dorje Naldjorma, Prajnaparamita ou Tara… des divinités souvent féminines, très valorisées, le principe féminin symbolisant la sagesse. On peut admirer les peintures de ces divinités tantriques dans les grottes de Mogao.

Point important, à la différence de ce qui se pratique au sein d’un culte polythéiste égyptien, grec ou romain, le yidam n’est pas visualisé comme une divinité extérieure à soi qu’on vénère via des sacrifices, mais comme une divinité qui est en soi, et avec laquelle on s’unit symboliquement, pour le bien de tous les êtres. L’idée n’est plus, comme dans le bouddhisme traditionnel, de se détacher des désirs et autres pulsions sexuelles, mais de les sublimer à travers des yogas tantriques tels que « le feu interne », le toumo, une discipline particulièrement spectaculaire.

Alexandra David-Néel fut la première occidentale à rapporter l’existence de ce tantra permettant de survivre dans les montagnes de l’Himalaya, et qui fut pratiqué par Milarépa en personne, le mystique dont je vous parlais dans cet article. Un jour, alors qu’elle avait très froid, Alexandra David-Néel utilisa le toumo pour se réchauffer. À son retour en Europe, personne ne prit au sérieux son récit… jusqu’au jour où d’autres occidentaux confirmèrent l’existence de cette pratique décrite dans un des livres de l’exploratrice, Mystiques et magiciens du Tibet :

Par une nuit d’hiver où la lune brille, ceux qui se croient capables de subir victorieusement l’épreuve, se rendent, avec leur maître, sur le bord d’un cours d’eau non gelé (…) Les candidats au titre de Repa, complètement nus s’assoient sur le sol, les jambes croisées. Des draps sont plongés dans l’eau glacée, ils y gèlent et en ressortent raides. Chacun des disciples en enroule un autour de lui et doit le dégeler et le sécher sur son corps (note : c’est la « technique du drap mouillé », d’un mètre sur deux, plongé dans l’eau froide et dégoulinant, les moines s’en couvrent le corps presque nu et méditent. Une vapeur apparaît en 3 à 5 minutes, et le drap est asséché en 45 minutes. Les moines répètent l’opération trois fois par nuit, parfois à une température inférieure à 0°C). Dès que le linge est sec, on le replonge dans l’eau et le candidat s’en enveloppe de nouveau. L’opération se poursuit, jusqu’au lever du jour. Alors celui qui a séché le plus grand nombre de draps est proclamé le premier du concours.

De nos jours, les scientifiques ont mis en évidence l’efficacité du toumo et l’influence de l’esprit sur le corps, notamment au niveau de l’élévation de la température corporelle, ce qui permet aux extrémités (doigts, orteils) de ne pas geler. Force est de constater que le toumo est pratiqué par des individus au mental exceptionnel, d’une grande spiritualité, le toumo devant être pratiqué à des fins altruistes, pour le bien de tous les êtres. Ces individus au mental hors-norme ont su souvent transcender de terribles épreuves personnelles.

C’est le cas d’un néerlandais, Wim Hof,devenu célèbre en nageant dans des eaux glacées et en accomplissant toutes sortes d’exploits, repoussant les limites du corps humain.

Wim Hof a une histoire particulièrement touchante : suite au suicide de sa femme, fou de chagrin, il s’est un jour jeté dans l’eau d’un canal. Au contact du froid, il a vécu une expérience mystique qui lui a redonné envie de vivre… et de pratiquer le toumo.

En 2004, il reste 68 minutes dans un tube rempli de glace. En 2008, il demeure 72 minutes dans un conteneur translucide similaire, battant ainsi son record de 4 minutes.

En 2007, Wim Hof entreprend l’ascension de l’Everest en short et parvient à atteindre 7400 mètres d’altitude. Une étude sur son cerveau montre que la température de sa peau est régulée volontairement, ce qui est inhabituel et explique la résistance aux gelures ; des chercheurs ont aussi pu observer que l’activité de son système lymphatique (qui joue un rôle majeur dans l’immunité), normalement régulé de façon autonome et non consciente, augmente lors de son exposition au froid. Par ailleurs les muscles intercostaux de Wim Hof consomment beaucoup plus de glucose qu’en situation normale, ce qui se traduit par une production calorifique. De cette façon, l’air passant dans ses poumons se réchauffe avant d’entrer dans le sang.

En France, Maurice Daubard a lui aussi pratiqué le toumo et participé à des expériences organisées par des scientifiques. Atteint d’une grave tuberculose dans sa jeunesse, les médecins l’avaient condamné, jusqu’au jour où un prêtre lui parla d’une pratique spirituelle venue d’Orient susceptible de fortifier son souffle…

Le cas le plus extrême fut celui du tibétain Lobsang Tenzing, qui fut arrêté par les Chinois lors du soulèvement de 1959, puis emprisonné et torturé. Dans son malheur, Lobsang Tenzin eut deux prises de conscience déterminantes. D’une part, il estima que sa souffrance dans les geôles chinoises résultait d’un lien karmique du fait des atrocités qu’il avait infligées à ses tortionnaires dans une vie antérieure… Lobsang Tenzin pensait qu’il purgeait du mauvais karma. D’autre part, il comprit que s’il réagissait par la haine et le désir de vengeance, il deviendrait fou. Ne pouvant contrôler les souffrances physiques que lui infligeaient les Chinois, il adopta une attitude positive envers ses bourreaux. Il sublima sa haine en pardonnant à ses geôliers, développant une compassion à leur égard. Le pardon qui l’aida à survivre en prison sans stress traumatique lui permit d’accélérer sa progression spirituelle : il apprit seul la pratique de toumo, en méditant dans une grotte et devint insensible au froid. Le dalaï-lama en personne le rencontra et lui conseilla de faire du toumo sa pratique principale…

De nos jours, plus personne ne conteste le fait qu’Alexandra David-Néel disait vrai à propos du toumo et qu’elle fut une vraie pionnière dans ce domaine en Occident. Autrice, bouddhiste et féministe, cette aventurière du XX siècle fut tout cela à la fois, et je vous invite à lire ses passionnants récits d’aventures, Voyages d’une Parisienne à Lhassa ainsi que Mystiques et magiciens du Tibet, deux livres fascinants qui racontent un Tibet qui n’existe plus que dans les légendes… et sur les magnifiques peintures des grottes de Mogao, au Taklamakan.

Published in: on mars 25, 2024 at 8:13  Comments (2)  
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Interview de Kenya Leone

Lors des derniers articles, je vous ai beaucoup parlé du Moine de Samarcande, ce nouveau roman que je vais terminer dans le désert du Taklamakan, mais moins de l’aspect photographique du projet, l’artiste Kenya Leone prendra en effet des photos de cette expédition qui donnera lieu à une exposition, Sur les traces de Zhiyan. Aujourd’hui, je lui laisse la parole.

Bonjour Laurent, cela fait longtemps qu’on se connait, mais depuis quand t’intéresses-tu à la photo ? Tu ne m’as jamais parlé de tes débuts…

Bonjour JS, j’ai commencé à m’intéresser à la photo avec ma mère. J’avais autour de douze – quatorze ans. Elle aimait photographier les oiseaux et la nature en général. En bon geek, j’aimais la technologie, c’était un amour latent, bien que la pellicule me posait problème. Après, j’ai eu la chance de travailler à l’Espace de l’Art Concret, un centre d’art contemporain dans les Alpes Maritimes. On avait là-bas l’un des premiers appareils-photo numériques, un Sony Mavica qui fonctionnait avec des disquettes 3,5 pouces. La qualité était déplorable, mais j’aimais faire des photos de texture. Puis, avec des amis qui éditent plusieurs magazines d’événements, nous nous sommes mis à suivre la technologie numérique. Nous avons eu accès aux premiers appareils professionnels comme le Nikon D1… Pour nous, c’était de la Science-Fiction. Peu de temps après, j’ai enfin pu m’acheter mon premier reflex numérique : un Canon EOS Rebel 300D... Je l’adorais. J’ai pu commencer à travailler mon œil, mais c’est vraiment avec un ami, qui m’a fait découvrir la photo animalière, que le vrai déclic (jeu de mot…) a eu lieu, en 2006.

D’où ce voyage au Kenya… Est-ce qu’avec ce périple il y a eu un avant et un après dans ta façon d’appréhender le métier de photographe ?

Le Kenya a été un avant et un après concernant mon approche de la vie, un bouleversement si profond que les échos de cette onde de choc résonnent encore en moi aujourd’hui. Ce voyage m’a fait comprendre la vraie nature de la mort et m’a fait encore plus prendre conscience de la fragilité de notre habitat et la responsabilité de notre espèce envers les autres, espèces avec lesquelles nous cohabitons. La photo est un messager pour rappeler aux gens qui sont dans leur quotidien l’importance de lever les yeux et de regarder le monde qui les entoure. Donc on peut dire que le Kenya, et les autres pays d’ailleurs, m’ont fait prendre conscience que la photo était un moyen très efficace de témoigner. Je n’invente rien, les photographes de guerre sont les pionniers dans ce domaine.

L’artiste photographe Kenya Leone

« La vraie nature de la mort ? »

J’ai une anecdote pour illustrer ma pensée : un jour, j’arpentais la savane avec le guide. On repère une antilope que je trouve peu vive, deux chacals la guettent déjà. On s’arrête, on observe et je photographie. En peu de temps, c’est la mise à mort, elle ne s’est même pas débattue. On voit souvent d’ailleurs que les animaux se résignent très vite au trépas. Je crois qu’on observe ça souvent chez les humains aussi dans des situations sans espoir. On reprend la piste et on arrive à un troupeau de gnous, une femelle est en train de mettre bas. Là, c’est fulgurant : je suis témoin que la mort des uns servent à la naissance des autres. Dit comme ça, ça paraît naïf, mais voir une mise à mort en direct (spoiler : j’en ai vu d’autres) c’est quelque chose de fort à vivre. Et une naissance, c’est aussi fort dans l’autre sens. N’oublions pas que dans nos sociétés occidentales tout est fait pour nous cacher ces événements. La mort est considérée aujourd’hui comme la fin dans notre culture. Bien sûr, certaines personnes, par leur spiritualité, voient les choses différemment, mais il n’empêche que la réalité de notre société fait qu’on ne voit que très peu la mort et que c’est un événement associé à la tristesse. Pareil pour les naissances dans l’intimité d’une maternité. Dans la nature, l’intimité n’existe pas, on est témoin de tout, on voit ce qu’est la vie. On constate que sans la mort, la vie n’existe pas.

Tu as un lien particulier avec la nature, d’ailleurs tu vis en France dans un coin reculé, à Caussols… Pourquoi ce mode de vie ?

Caussols… vaste sujet. J’ai choisi cet endroit en premier lieu parce que j’ai toujours eu un lien particulier avec ce paysage karstique, très minéral. Avant cela j’habitais à Nice Ouest, je ne sortais que rarement de mon appartement sauf pour aller travailler. Il s’agissait d’une zone légèrement verte, mais les projets d’urbanisme galopant ne cessant jamais, je commençais à me sentir de plus en plus cerné par le béton. Un jour, j’ai dit à ma compagne de l’époque : « je meurs à petit feu ici ».
Notre séparation m’a permis de sauter le pas grâce à un concours de circonstances miraculeux. Caussols m’a apporté plusieurs choses essentielles : tout d’abord l’isolement, je n’ai pas de voisins et j’ai très peu de passages près de chez moi ; le silence aussi, car en tant qu’hypersensible, j’ai une ouïe très développée et le moindre bruit me dérange. Il y a bien sûr également l’observatoire, car je suis passionné par l’astronomie et je peux y aller quand je veux, je suis d’ailleurs bénévole sous contrat et je participe à des missions scientifiques. Caussols, c’est aussi un paysage – car je suis cerné par les montagnes et les plateaux, je peux presque voir la mer de ma terrasse – et la nature, je suis entouré de forêts et comme je vis dans une maison sans clôture, les animaux sauvages viennent souvent me rendre visite. Chevreuils, sangliers, renards, blaireaux, lièvres, lapins, écureuils, hiboux, buses, aigles, vautours, toutes sortes de passereaux sont mes voisins…

Un vautour pris en photo par Kenya Leone chez lui. Tout en bas de la photo, en flou, les congénères du vautour

Là, pendant cette interview, j’entends dans le bassin naturel qui se trouve en face de la fenêtre, un crapaud qui chante… un vrai bonheur pour moi. Il s’agit de Pelodytes punctatus, le crapaud persillé. Il est peu fréquent, il est même protégé. Il est très difficile à observer, mais on l’entend souvent. Il mesure seulement trois centimètres de long. Discret, il vit dans les trous d’eau ou les petites marres, il possède des taches vertes sur le dos.
L’année dernière, j’ai eu une cinquantaine de vautours fauves qui sont venus se poser dans mon jardin. C’était un spectacle incroyable. Ils sont venus pour se nourrir des restes d’un blaireau.
J’ai aussi pu observer et photographier, le premier envol de jeunes pics noirs, un moment magique.

On a parlé du Kenya, des Alpes… et en octobre, on part ensemble dans le désert du Taklamakan, un paysage où en apparence la vie n’a pas sa place… Qu’est-ce qui te motive dans cette expédition ?

Le désert… Je n’ai jamais vu le désert. En fait, je suis très sensible aux nuances. Par exemple, j’adore la robe du puma pour ça, c’est le félin avec les nuances se succèdant avec le plus de subtilité… mais le désert, c’est un peu comme une grande robe de puma. Niveau photo, pour moi c’est fantastique. Ces dunes qui se succèdent pour donner du relief, les jeux d’ombres et de lumières, les couleurs qui changent au fil de la journée… un peu comme un tableau qui évolue.
On pense souvent à tort qu’un désert est un endroit sans vie. Or, rien n’est plus faux, un désert grouille de vie, que ce soit au niveau des plantes, des animaux, des insectes… C’est juste que cette vie est plus discrète, plus subtile.
Je pense que comme la savane, il s’agit d’un lieu qui me perturbera, dans le bon sens du terme. J’ai hâte de voir ça.

J’ai hâte aussi ! En dehors des somptueux paysages, il y-a-t-il des animaux que tu as particulièrement envie de photographier dans le Taklamakan ?

Les serpents, en particulier Naja oxiana, un cobra qui fait partie des reptiles les plus venimeux au monde et dont il faut se méfier, car son poison, neurotoxique, peut tuer un être humain en moins d’une heure.

On partira donc avec de bonnes paires de bottes… Merci Laurent pour cette interview !

Merci à toi.

L’équipe de Sur la route de Zhiyan au moment de se séparer après une belle fête, d’où ma tristesse sur la photo… C’était il y a dix ans ! En 2024, le temps a laissé des traces… mais la passion des voyages, elle, demeure intacte…

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Épisodes précédents

Episode 1 : le Moine de Samarcande

Episode 2 : Sur les traces de Zhiyan

Episode 3 : Qu’est-ce qui nous pousse à écrire ?

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Published in: on mars 18, 2024 at 10:36  Comments (2)  

Qu’est-ce qui nous pousse à écrire ?

Les grottes de Mogao

Après avoir lu mon article précédent, une amie autrice m’a téléphoné pour me dire : « tu parles de ton expédition dans ce désert en Chine, mais qu’est-ce que tu cherches vraiment là-bas ? ». Sur le coup, j’ai été surpris par cette question, tant la réponse me paraissait évidente (au hasard, m’imprégner de l’ambiance de ce voyage pour terminer mon roman et revenir avec une exposition photographique d’une des régions les plus méconnues du globe), mais à la réflexion j’ai trouvé que la remarque de mon amie était d’une grande pertinence, car elle renvoie à l’éternelle question de la motivation chez les autrices et les auteurs. Cette question est moins « qu’est-ce que je vais chercher en Chine ? », que « qu’est-ce qui nous pousse, nous artistes, à écrire » ?

Je n’aurai pas la prétention d’énoncer des généralités et de parler à la place de mes amis écrivains, car chaque auteur est différent, sans parler des projets. Mon héros du Moine de Samarcande, Zhiyan, se rend dans le désert du Taklamakan afin de trouver un remède pour sauver celle qu’il aime, au péril de sa vie. Le héros est toujours a minima l’alter ego de l’auteur, et je dois reconnaître que la passion est ce qui me motive à écrire : c’est l’amour des livres qui me fait tant aimer mon métier de bibliothécaire… mais comme Zhiyan, la passion amoureuse est ma pire ennemie, parce qu’elle peut me conduire à prendre des risques insensés, me mener à ma propre perte… et à m’oublier. Je le sais désormais, on peut mourir par amour, et même renier toutes ses valeurs, un destin pour moi pire que la mort, surtout quand la relation est toxique. C’est la thématique d’une de mes nouvelles, la Putain du Caravage.

Dans mon roman, Zhiyan suit un parcours singulier au sens où au début de son voyage initiatique, il ne possède pas de spiritualité particulière. C’est un soldat, pragmatique, qui va rencontrer sur les routes de la soie des maîtres bouddhistes… avec cette interrogation, une véritable graine semée en lui : qu’est-ce qui distingue la passion de l’amour ? En traversant des déserts, il trouvera des éléments de réponse, parce que dans le silence, nous sommes confrontés à nous-mêmes.

Le Taklamakan

Nous pénétrons dans le désert profond, si vaste que les prières du matin des moines résonnent longtemps, avant de se perdre dans le ciel azuré. La nuit, la lune nous écrase de son immensité, jamais je n’ai contemplé une voûte aussi étoilée. Dans l’obscurité, le silence est vivant,  palpable, si bien qu’à l’aube, lorsque de petites pierres dévalent la pente d’une montagne, le son semble tout proche. Tout est sens.

Extrait du Moine de Samarcande

L’année dernière, j’ai connu un parcours inverse à celui de Zhiyan. À cause de ma relation toxique j’avais l’impression d’avoir perdu toutes mes valeurs spirituelles, d’être « figé » dans ma dépression : je ne parvenais plus à méditer dans mon petit studio qui me complexait de par son côté « bohème » et je n’arrivais pas à terminer l’écriture de mon roman. Je trouvais qu’il manquait du vécu à ce livre, la vraie expérience du Taklamakan, la contemplation des dunes immenses, l’odeur des grottes de Mogao… Je voulais vivre pour de vrai cette aventure, et dans le même temps je n’arrivais plus à vibrer. Je ne me sentais plus légitime en tant que bouddhiste, encore moins en tant qu’écrivain, je ne pouvais plus concilier ces deux identités.

J’étais résigné à abandonner l’écriture, jusqu’au moment où je me suis rappelé les paroles de feu mon maître tibétain sur le karma. Contrairement aux idées reçues, le karma n’est pas une notion métaphysique statique et fataliste du genre « si un oiseau m’a chié sur la tête, c’est à cause de mon karma ». Mon maître expliquait, avec bon sens, que :

le karma est quelque chose qui existe dans la conscience des individus (…). À ce titre donc, le karma pourrait être comparé à un aimant qui va attirer la limaille de fer car cet aimant est en fait ce qui va donner l’impulsion, qui va être à l’origine du mouvement de la limaille qui attire…

C’est donc l’état d’esprit, bon, neutre, ou mauvais, qui conditionne nos actions, nos paroles, nos pensées… et qui caractérise dans le bouddhisme le samsara, ce cycle de renaissance(s) qui mène à la souffrance. Pendant ma dépression, je songeais à Milarépa comme à une lumière dans la nuit. Milarépa était un mystique tibétain du XIIe siècle qui avait perdu son père dans sa jeunesse. La légende raconte que l’oncle et la tante de Milarépa dépouillèrent la mère et le fils de leurs biens et leur firent vivre une existence misérable de domestiques. La belle-famille de Milarépa fut tellement odieuse avec sa mère, que cette dernière fit promettre à son fils d’apprendre la magie noire auprès d’un sorcier pour la venger, dans le cas contraire elle se suiciderait. Milarépa obéit… malheureusement, son rituel alla bien au-delà de ses espérances puisque c’est tout le village qui fut ravagé. De nombreux innocents furent tués lors d’un mariage, la pluie de grêles qu’avait invoquée Milarépa épargna cependant deux personnes… l’oncle et la tante honnis. Malgré ce karma très négatif, Milarépa passa le reste de sa vie à essayer d’atteindre l’Eveil et après maintes souffrances et exploits, il y parvint, laissant à la postérité de magnifiques poèmes, les Cent mille chants... Milarépa n’était en effet pas seulement mystique, mais également poète :

Je suis heureux d’avoir rompu les relations avec mes proches, 
D’avoir renoncé à l’attachement au pays ;
Heureux car je suis libéré des devoirs officiels.
Je ne me suis pas chargé des accessoires d’un moine, 
[…]
J’ai interrompu le va-et-vient de l’intellect, 
J’en suis heureux.
[…]
Je suis un yogi qui chante d’allégresse
Et ne souhaite pas d’autre joie

Si spiritualité et art peuvent cohabiter dans un être en quête d’absolu, c’est parce que le dénominateur commun de cette alchimie est tout simplement « l’amour bienveillant », cet amour particulier qui ne vise plus à satisfaire son propre ego, mais tous les êtres, parce que le plaisir n’est jamais si fort que lorsqu’il est partagé. La recherche scientifique va dans ce sens : dans les années 60, le primatologue japonais Masao Kawai a découvert le concept de kyokan, une expérience subjective dans laquelle il n’y a plus d’observateur ni de cobaye : en jouant avec des singes, Kawai a réussi à créer des liens affectifs forts avec eux. C’est pour cette raison que les grands primates que nous sommes aimons aller au cinéma avec des inconnus découvrir de nouveaux films, il y a cette idée de partage. Shigeru Miyamoto, co-créateur des jeux vidéo Mario et Zelda, a insisté pour que ses développeurs « se sentent kyokan » avec les futurs utilisateurs de jeux, que « les joueurs ressentent à propos du jeu ce que les développeurs ont ressenti eux-mêmes ». Plus nous prenons du plaisir à vivre des expériences ensemble, plus nous tissons des liens affectifs, je l’ai moi-même constaté : j’aime écrire pour voyager avec mes lecteurs, je prends énormément de plaisir à faire rire mes collègues de boulot, j’adore jouer avec mon fils…

J’ai réalisé que pour être heureux, il ne fallait pas forcément être amoureux d’une femme, mais de la vie elle-même. Fort de ce constat, j’ai réinventé ma vie quotidienne. Progressivement, mon studio austère s’est métamorphosé pour s’enrichir d’une belle bibliothèque qui me permet de consulter mes livres sur l’Asie Centrale, j’ai même monté un autel bouddhiste pour méditer.

Si je veux terminer ce roman, je dois continuer à vibrer, c’est-à-dire partir au Taklamakan sur les traces de Zhiyan pour achever ce projet collectif, parce que j’ai enfin cerné ma vraie nature : je ne peux vivre sans passion(s), que ce soit la littérature, le cinéma ou la musique. Je me sens artiste et bouddhiste au sens et, j’insiste sur les guillemets, « tantrique », dans ce que cette voie a de plus sacrée, c’est-à-dire utiliser les plaisirs de la vie et le désir pour parvenir à un éveil spirituel (en occident il y a en effet un profond malentendu à propos de la nature du tantrisme, je reviendrai dessus dans un futur article). Autrement dit :

Dans le samsara, le désir mène au plaisir qui mène à une insatisfaction de plus en plus grande.
Dans le nirvana, le désir mène au plaisir qui mène à une satisfaction de plus en plus grande.
Paradoxalement, ce sont deux faces d’une même pièce : le désir, jusqu’à l’extinction de la saisie de l’ego.

Le quadragénaire que je suis assume désormais totalement cette vie bohème, à mi-chemin entre art et spiritualité, peu importe si elle ne cadre pas avec les valeurs bourgeoises de certaines personnes. Partir dans le désert du Taklamakan sur les traces de Zhiyan sera donc pour moi autant un projet artistique qu’une quête spirituelle, à la recherche de racines bouddhiques que j’ai moi-même plantées dans cette vie. À la question « pourquoi les auteurs écrivent ? », je serais tenté de répondre « peut-être tout simplement pour donner du sens au monde »…

Si ce projet vous intéresse et que vous souhaitez le soutenir, vous pouvez cliquer sur cette newsletter Ulule pour être prévenu le jour où la campagne de financement participatif sera lancée.

Published in: on mars 12, 2024 at 4:48  Comments (4)  

Sur les traces de Zhiyan

L’artiste photographe Kenya Leone

Suite à mon article précédent, je vous dévoile aujourd’hui dans son intégralité le projet artistique le plus important de toute ma vie, le Moine de Samarcande.

Un projet de roman hors-norme qui intéresse plusieurs éditeurs puisque, pour que ce livre soit le plus réaliste possible, je monte une expédition en Chine dans le désert du Taklamakan ! L’aventure ne s’arrête pas là car je serai accompagné par le photographe Kenya Leone, dont le travail servira de trait d’union entre mon récit et le voyage à proprement parlé : pour faire simple, un écrivain et un photographe vont vous raconter le désert du Taklamakan à travers une exposition qui aura lieu lors de la publication du Moine de Samarcande. Au menu de cette expérience artistique hybride, des photographies accompagnées d’extraits de mon livre, d’où le nom de l’expo : Sur les traces de Zhiyan.

« Zhiyan » est le héros de mon roman. Il s’agit d’un soldat chinois du IXe siècle qui part sur les routes de la Soie en quête d’un remède pour sauver la fille de l’empereur, malade, une femme dont il est éperdument amoureux. Zhiyan est accompagné d’un maître shaolin, il s’agit d’une épopée romanesque et historique en Asie Centrale aussi bien que d’une oeuvre contemplative à la lisière du fantastique, pour ne pas dire ésotérique… Zhiyan va en effet rencontrer des maîtres bouddhistes qui vont bouleverser ses certitudes.

Le Moine de Samarcande est un récit initiatique dans lequel j’ai mis beaucoup de moi, car je suis passionné par les déserts. À 22 ans j’avais déjà effectué des séjours dans le Sahara, ainsi qu’en Jordanie, lors de fouilles archéologiques sur un temple nabatéen près de Pétra (je suis historien et archéologue de formation).

Comme je l’expliquais dans mon article précédentle Moine de Samarcande est un projet de longue haleine, sur lequel je travaille depuis quatre ans, un projet qui revient de loin à cause de cette grave dépression qui a failli me tuer… Heureusement, j’ai vaincu cette maladie, et je me suis recentré sur les choses importantes comme l’écriture de ce livre, très personnel, ne serait-ce que parce que je suis bouddhiste. C’est pour cette raison que le Moine de Samarcande est, pour certains amis auteurs qui l’ont lu, mon roman le plus abouti. J’ai en effet travaillé dur sur ce bouquin, je l’ai même réécrit ! Mon ami écrivain Jean-Laurent Del Socorro va me relire cet été, mais le manuscrit est quasi-terminé.

Suite à mon expérience des déserts, je rêvais depuis des années de me rendre dans le Taklamakan au nord-ouest de la Chine pour m’inspirer de détails qu’on ne peut capter que sur place, travailler l’ambiance… car le Taklamakan est unique au monde !

Mon héros visite en effet les grottes de Mogao, que je surnomme « la bibliothèque d’Alexandrie de l’Orient ». Pour celles et ceux qui ne connaissent pas ces grottes, en 1900 un taoïste a découvert par hasard 50.000 rouleaux, des documents inestimables qui n’avaient pas été consultés pendant près de 1000 ans. On a par exemple mis à jour des soutras dans lesquels sont mentionnés le nom d’un « bouddha d’Occident » appelé Jésus-Christ, et quantité de textes aussi rarissimes qu’inestimables. Cela fait un siècle que les historiens étudient ces rouleaux, toujours en cours de traduction, au Musée Guimet ainsi qu’au British Museum…

Les grottes de Mogao sont ornées de peintures sublimes, dont certaines sont influencées par l’art gréco-bouddhique suite aux conquêtes d’Alexandre le Grand ! Il existait en effet des royaumes grecs en Asie centrale (comme par exemple l’Afghanistan) jusqu’au Ier siècle de notre ère. Toujours dans ces grottes, on peut admirer une statue de Bouddha de 35 mètres de haut et quantité de merveilles uniques en leur genre.

Le Taklamakan, ce sont aussi les immenses dunes de Mingsha. On les surnomme « dunes chantantes » car sous l’effet du vent elles émettent une curieuse mélodie qui fascine les personnages de mon roman. Au milieu de ces dunes s’étend le Lac du croissant de lune, un véritable oasis.

Aux portes de ce paysage crépusculaire on exhume parfois des momies tokhariennes appartenant à un mystérieux peuple nomade européen, ainsi que des citées antiques oubliées qui émergent du sable au gré des tempêtes… Perdu entre le désert de Gobi et le Tibet, le Taklamakan est vraiment une autre planète !

Lors des années Covid il était impossible de visiter la Chine, c’était une grande frustration pour moi, mais en janvier, j’ai appris qu’il n’y avait plus besoin de visa pour se rendre là-bas ! « Les astres se sont alignés ». Au départ, j’avais prévu de partir seul, avec les moyens du bord. Puis mon projet a pris de l’envergure puisque mon ami Damien, mon compagnon d’aventures avec qui je voyage depuis plus de vingt ans, a eu un coup de coeur pour le Moine de Samarcande. Avec Damien, nous avons bourlingué plusieurs fois au Japon, en Malaisie, au Brésil, dans les montagnes du Caucase en Géorgie où il nous est arrivé des aventures incroyables, j’en parle dans cet article… 

Je n’aurais pas pu faire tous ces voyages sans Damien car non seulement mon ami travaille dans une compagnie aérienne de renom, mais en plus il est un génie de la logistique. Damien, c’est le gars capable de vous trouver un réseau wifi en Amazonie, j’exagère à peine… et cette année, il m’a annoncé qu’il était partant pour venir avec moi en Chine ! En octobre nous allons visiter à dos de chameaux le désert du Taklamakan avec un guide local.

En février, le projet a pris encore plus d’ampleur car mon ami d’enfance, le photographe Kenya Leone, de son vrai nom Laurent Boulanger, a décidé de se joindre à nous pour prendre des photos de ce qui est devenu une expédition, afin que nous puissions vous proposer à notre retour cette magnifique exposition, Sur les traces de Zhiyan.

Comme son nom d’artiste l’indique, Laurent a une grande une expérience du Kenya, il est revenu d’Afrique avec des photos sublimes que vous pouvez admirer ici. Nous partageons une même sensibilité pour tout ce qui a trait à la Nature, une sensibilité amplifiée par trente ans d’amitié.

Pour cette aventure, Laurent sait exactement quelles sont mes attentes, il est le photographe idéal !

Le sous-titre de l’expo sera « Taklamakan, le pays d’où on ne revient jamais », car c’est l’une des traductions de « Taklamakan », qu’on surnomme « Mer de la mort » à cause de violentes tempêtes de sable qui peuvent atteindre 4000 mètres d’altitude, des températures extrêmes (jusqu’à 52 degrés l’été… et -20 en hiver) sans parler des dunes mouvantes qui peuvent perdre les guides les plus aguéris. Concrètement, il s’agira d’exposer des photos du voyage, accompagnées d’extraits de mon roman et ainsi partager cette formidable aventure humaine avec vous.

Vous l’aurez deviné, tout cela coûte très cher, notamment le tirage de photos de haute qualité sur plaque d’aluminium, recouverts de plexiglas de vingt millimètres d’épaisseur, avec des cadres de type « caisse américaine »… Nous avons besoin de votre aide, même minime, mais nous ne voulons pas vous demander de l’argent sans qu’il y ait de valeur ajoutée, nous souhaitons faire de vous les vrais partenaires de cette aventure hors-norme.

Du coup, nous avons trouvé un moyen sympa de vous permettre de vous investir dans le projet : ce que j’appelle « la figuration littéraire » : en échange d’une contribution de votre part, je m’engage à vous faire jouer un rôle de figurant dans mon livre ! Je vous rassure toute de suite : je ne vais pas raconter votre vie dans mon roman, mais vous proposer, comme dans le tournage d’un film, le choix d’un « déguisement » d’un personnage du IXe siècle des routes de la soie (exemple : un moine chinois, un marchand arabe, un cavalier des steppes, une danseuse sogdienne…) et vous apparaîtrez comme par magie dans le texte. Le jour de la sortie de mon roman, vous recevrez « un certificat de figuration littéraire » numéroté et illustré, à votre nom, un document mentionnant que vous figurez dans mon livre, avec l’extrait en question, ainsi que la fiche de votre personnage comportant son histoire secrète, qui ne sera connue que de vous ! Il s’agira d’un véritable contenu additionnel exclusif collector en tirage limité … et votre nom apparaitra évidemment dans les remerciements à la fin du roman.

Nous avons prévu de nombreuses autres contreparties, comme par exemple le livret collector de l’exposition Sur les traces de Zhiyan, qui sera un véritable making-of de cette aventure avec toujours plus de contenu additionnel exclusif (photos du voyage, journal de bord avec nos galères, anecdotes diverses, carte…), des romans dédicacés du Moine de Samarcande… Il y aura des contreparties encore plus folles, comme les douze exemplaires dédicacés et numérotés d’authentiques manuscrits du Moine, en version papier donc, ainsi que des visites guidées de l’exposition itinérante en notre compagnie. Enfin, si cette campagne dépasse nos attentes, pour celles et ceux qui auront précommandé le roman, nous le remplacerons par une édition collector à tirage limité exclusivement réservée aux contributeurs avec les photos du voyage et le journal de bord !

Vous l’aurez compris, ce projet, c’est bien plus que l’écriture d’un roman, ou l’organisation d’une expo, c’est l’aventure d’une vie, et nous espérons de tout coeur pouvoir vous embarquer avec nous. Si c’est le cas, il vous suffit de vous abonner en cliquant sur cette newsletter Ulule pour être prévenu le jour où la campagne de financement participatif sera lancée.

Si vous aimez ce projet, n’hésitez pas à partager cet article de blog sur vos réseaux sociaux, par mail… Merci infiniment !

Published in: on février 29, 2024 at 12:41  Comments (11)  

Le moine de Samarcande

Après un an d’absence sur ce blog, je vais vous parler du livre le plus important que j’ai jamais écrit, le moine de Samarcande, un roman qui se confond avec ma propre vie, l’histoire d’une mort et d’une renaissance.

Cela fait des années que je travaille sur ce manuscrit, l’histoire de Zhiyan, un soldat chinois du IXe siècle qui part sur les routes de la Soie en quête d’un remède pour sauver la fille de l’empereur, malade, une femme dont il est éperdument amoureux. Une épopée romanesque et historique aussi bien qu’une oeuvre contemplative à la lisière du fantastique, puisque ce soldat va rencontrer en Asie Centrale des maîtres bouddhistes lors d’une aventure ésotérique qui bouleversera ses certitudes. Ce récit initiatique me tient d’autant plus à coeur que j’appartiens moi-même à cette confession et que mon défunt maître tibétain était un proche du dalaï-lama. En 2016, nous sommes même allés assister à l’un de ces enseignements à Strasbourg. En 2022, j’avais prévu un voyage au Kirghizistan et dans le désert du Taklamakan, en Chine, « le désert d’où on ne revient jamais » afin que mon roman soit le plus réaliste possible.

Je me sentais en osmose avec ce projet, car pendant des années, j’eus l’impression d’être un « bon bouddhiste », j’étais végétarien, je ne buvais pas et ne fumais pas, ne mentais ni ne volais jamais (sauf les stylos de mes collègues de boulot). Je méditais tous les jours, y compris en hiver en T-shirt dans la neige, par 0 degrés : à mon très humble niveau, j’ai quelques notions de toumo, un yoga bien pratique en Lorraine, notre Tibet à nous… On retrouve ce toumo dans le moine de Samarcande.

À l’image de mon héros, je vivais une aventure initiatique au point où je ne savais plus si j’écrivais l’histoire de Zhiyan ou celle de ma vie… Aidé par mon hyposensibilité au froid et au chaud, je pratiquais de plus en plus le toumo, si bien que mon maître me tempérait. Un jour, il m’offrit même une authentique bure de moine tibétain de peur que je ne tombe malade…

Puis vinrent les années 2020, sombres : des décès de proches, dont mon maître, le confinement qui provoqua la fermeture de mon temple, le diagnostic de mon autisme, ainsi que d’autres épreuves personnelles. Je croyais passer à travers tout ça, mais malheureusement j’oubliais une vérité fondamentale : les problèmes qui n’ont pas été réglés avant 40 ans remontent nécessairement à la surface… Au fil des ans, de très mauvais choix mirent fin à mon mariage. En septembre 2022, je quittais mon domicile. Je vécus trois mois dans une cave meublée à écrire les carnets du sous-sol de Dostoïevski, la putain du Caravage, une nouvelle cathartique qui figure dans le recueil les royaumes de Stendhal (d’où la Méduse en couverture…), puis je quittais définitivement Hettange-Grande pour déménager à Metz.

Je l’ignorais, mais je m’enfonçais dans la vase d’une très grave dépression. Certains jours, j’avais très peur d’emprunter le pont pour aller au travail, de traverser la rue ou de me retrouver près de la voie de chemin de fer… de peur d’être « tenté » par une solution aussi radicale que définitive.

J’étais devenu une coquille vide. Je me mis à fumer, à manger de la viande, je n’arrivais plus à méditer, j’avais froid tout le temps, j’avais « perdu mon toumo », mon feu interne. Je ne nourrissais plus aucune passion pour quoi que ce soit. Je pouvais passer le dimanche allongé dans mon lit, les yeux ouverts, je faisais même preuve de cynisme à l’égard du monde… Moi qui étais d’habitude coquet, repasser mes chemises devenait une tâche herculéenne. J’étais devenu étranger à moi-même, incapable de poursuivre l’écriture du moine de Samarcande car je ne me sentais plus du tout digne et légitime pour un tel projet. À vrai dire je trouvais que je n’étais pas quelqu’un de bien, je me demandais si je n’étais pas un imposteur. Qui étais-je vraiment ? Même Google ne savait plus quoi me répondre, le célèbre moteur paniquait et m’ordonnait de « parler à quelqu’un aujourd’hui » quand j’envisageais sérieusement de quitter ce monde.

Un jour, alors que j’étais prêt à passer à l’acte, mon ami Nicolas m’hébergea chez lui plusieurs jours, pour m’écouter tandis que nous nous occupions des lapins de son jardin. Quand je lui confiais mes pulsions, ce que j’appelle pudiquement mes pensées « mélancoliques », il me parlait avec justesse du chagrin que mon fils éprouverait s’il venait à m’arriver malheur. Pendant ces quelques jours cruciaux, Nicolas fit plus que me venir en aide, il me sauva la vie. Nicolas devint mon frère.

Je me tournais aussi vers mes amis d’enfance ; Laurent, que j’avais quotidiennement au téléphone ; Damien, qui m’avait mis dans sa valise pour que nous allions méditer dans des temples bouddhistes en Malaisie pendant mon chemin de guérison, ainsi qu’au Brésil… Deux voyages extraordinaires.

Un temple extraordinaire qui m’a marqué, en Malaisie

Je pouvais aussi compter sur mon amie autrice Genny, mon musicien de frère et sa compagne, la non moins artiste Isabelle, et aussi l’héroïque Johann « Etrange Grande » Girost qui devint, en pleine préparation de la seconde édition, le président de mon festival. Dans mon malheur, je réalisais que non seulement j’avais la chance d’être bien entouré, y compris par la quasi-totalité des collègues de boulot de ma médiathèque, mais qu’Anne-Lorraine, mon ex-femme, eut la force de se montrer bienveillante malgré notre divorce qui, pour de nombreuses raisons, était inévitable. Cela étant, j’avais perdu l’essentiel de mes repères. J’avais parfois l’impression de trahir mon maître.

Un jour mon ami Dominique, bouddhiste, me confia en souriant : « mais JS, tu ES toujours bouddhiste ! ». J’en eus les larmes aux yeux. Je fus aussi ému quand mon ami auteur, l’immense Jean-Laurent Del Socorro, vint me voir à Metz alors que j’allais mal. Il me proposa de lire le manuscrit du moine de Samarcande pour m’aider dans mes blocages, quel honneur… Je ne pourrai jamais remercier assez toutes les personnes que j’ai citées, ainsi que mon mentor, le docteur Kieffer, le psychiatre qui a diagnostiqué mon autisme, cet inconnu intime qui, ironie du sort, est peut-être la personne qui me connaît le mieux sur Terre.

Pendant dix mois, je fus sous anti-dépresseurs, associés à un régulateur d’humeur car mon autisme asperger est (c’est courant dans ces cas-là) cyclothimique : les moments où je vais bien je suis très « haut », mais quand je vais mal, c’est une autre histoire… À une moindre échelle, être cyclothymique, c’est un peu comme être bipolaire. Je finis par découvrir que la dépression de l’autiste asperger était beaucoup plus violente que la version neurotypique. La bonne nouvelle avec ces médicaments, c’est que je guérissais lentement, la mauvaise c’était qu’au niveau de ma sensibilité, tout était terne. Tout était « pas mal », que ce soit la lecture d’un livre, la vision d’un film, l’organisation de mon propre festival, la dégustation d’une pizza ou Rachida Dati… Je ne vibrais plus, je n’arrivais toujours pas à écrire, j’étais, comme Christian Bale dans Equilibrium, anesthésié, sous camisole chimique.

J’éprouvais infiniment plus de plaisir à animer des ateliers d’écriture et à aider de jeunes écrivains à être publiés qu’à écrire mes propres romans ! J’étais sorti de ma dépression, mais étais-je encore un auteur ? Etais-je seulement bouddhiste, moi qui avais rompu presque tous mes voeux ? L’événement clef fut le jour où j’oubliais de prendre mon régulateur d’humeur : au moment de raconter l’histoire d’un film émouvant à un collègue de boulot, je commençais à avoir les larmes aux yeux… ça y est ! Je ressentais enfin les émotions pleinement, ce qui me manquait pour écrire. Une nuit, je fis un rêve : hilare, j’accomplissais des bonds extraordinaires dignes de Spider Man, poursuivi par un vieil agent de sécurité aigri qui se cognait partout sans jamais réussir à m’attraper, parce que la vie était légèreté… J’arrivais au travail de bonne humeur, et pendant plusieurs jours je ressentis la gaieté de ce songe.

Avec l’accord de mon thérapeute, je décidais de stopper progressivement, l’un après l’autre, mes deux traitements médicamenteux… et ce fut une aventure troublante : je me retrouvais un jour sous la pluie, à m’arrêter de marcher juste pour sentir les gouttes d’eau caresser mon visage. Peu à peu, je retrouvais cette sensibilité qui me faisait défaut, cette joie de vivre aussi. La joie d’écrire. Progressivement, les blocages sur le moine de Samarcande disparaissaient à mesure que je reprenais doucement la voie de l’écriture. Mieux : le manuscrit gagnait en maturité.

La semaine dernière, j’ai encore passé une étape, car j’écris désormais sans effort, n’importe quand, que ce soit le matin, avant le travail ou même le soir… À vrai dire, j’écris n’importe où sur mon MacBook Air, créer est redevenu naturel, presque banal… La nouvelle version du manuscrit sera terminée cette année, c’est une certitude. À ce jour, le moine de Samarcande est ce que j’ai écrit de mieux, ne serait-ce que parce que je suis de nouveau en accord avec les valeurs de mon héros, mais aussi avec le bouddhisme lui-même. Comme Zhiyan, j’ai mûri sur le plan spirituel : un jour, alors que j’étais pris dans une activité anodine, j’ai soudain senti la pleine présence de mon maître, son amour bienveillant et sa compassion, ainsi que son sourire rieur, comme s’il était physiquement près de moi, au point où les poils de mon corps se hérissaient. Par-delà la mort il était toujours là pour moi, sans jugement aucun pour mes actes ou ma personne. J’ai senti cette présence plusieurs fois.

Aujourd’hui, je ne nourris pas d’amertume, j’ai fait la paix avec mon passé et j’ai bien plus d’expérience qu’avant. Je suis heureux de vivre à Metz, peu importe ce que la vie m’offrira, je le prendrai sans rien attendre en retour.

Comme Zhiyan, j’ai appris à me pardonner. Même si je suis sensible, j’ai découvert que je suis beaucoup plus fort que je ne l’imaginais de prime abord, j’ai retrouvé mon toumo, mon feu interne. Sans la boue pas de lotus : malgré tout ce que j’ai pu penser de moi par le passé, sans vouloir me montrer prétentieux, aujourd’hui je sais que je suis quelqu’un de bien. Je ne suis pas un bodhissattva parfait pour autant, juste un être humain, dont les imperfections font la richesse. Je suis serein, confiant en l’avenir. L’ancien moi est mort, mais de ces cendres est né un être plus équilibré, plus mature, et en même temps toujours aussi passionné : cet été j’ai très envie de partir en Chine dans le désert du Taklamakan, sur les traces de mon héros, Zhiyan. Jamais je ne me suis senti plus en adéquation avec la fameuse phrase de Nietzsche :

ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts.

Allez viens Zhyan, on a un bouquin à terminer.

Published in: on janvier 29, 2024 at 2:47  Comments (16)  

Les mots, l’amour, les livres

Plus d’un an sans écrire un article sur ce blog… autant dire une éternité, mais en l’espace de 12 mois j’ai eu une vie digne d’un roman.

Je ne pensais pas que c’était possible, mais je ne sais pas le dire autrement : il y a un an, je suis tombé fou amoureux d’un métier.

En revenant de Géorgie, je désirais absolument trouver un travail qui me permette de sortir de mon quotidien d’auteur-seul-dans- son-coin, et en janvier 2022 j’ai eu le bonheur d’être recruté dans une médiathèque en tant que bibliothécaire (enfin, « médiathécaire »)… Et là, vous êtes en train de vous dire « on parle quand même de vieillards aigris qui passent l’essentiel de leur temps à lire des livres poussiéreux dans une bibliothèque sombre et mal éclairée en exigeant de parler moins fort »… En fait, rien n’est plus faux.

Travailler en médiathèque, c’est vraiment une expérience, un voyage dans un monde aussi méconnu qu’exaltant, avec des personnes formidables, passionnées par le polar, l’Histoire, le manga ou la littérature de l’imaginaire. Ici, tout le monde a sa spécialité, mais dans le même temps, tout est pluridisciplinaire, parce que nous travaillons en équipe. Karma oblige, j’ai atterri en « Sciences et Société », je suis responsable des rayons philosophie, religion, psychologie, langues, sans oublier le domaine le plus cool de la médiathèque : ésotérisme et occultisme ! Lorsque je présente à un usager cette section, j’ai l’impression d’être un Egon Spengler tout droit échappé de Ghostbusters à mesure que je déblatère sur un ton monocorde mon laïus:  « ici vous trouverez tout ce qui est en rapport avec le spiritisme, les fantômes, l’alchimie

… à ceci près que je dois constamment respecter un équilibre. Il faut en effet contenter le grand public friand de ce genre de livres  tout en veillant à suivre une démarche sérieuse : même si nous ne sommes pas une bibliothèque universitaire ultra spécialisée, nous nous devons d’acheter des bouquins un minimum crédibles, éviter les ouvrages de charlatans et/ou complotistes.

Dans cette médiathèque, il existe des outils incroyables, comme le bibliobus qui permet d’amener les livres dans des quartiers populaires où la population a des difficultés à accéder à la culture.

Il parait qu’il existe même, dans la Meuse, un bibliobus équipé d’un Fablab ainsi que d’une antenne satellite permettant de capter Internet, de jouer aux jeux vidéos ou même de regarder des films ! J’ai également découvert un lieu impressionnant, la réserve, munie de vastes et lourds rayons mobiles qu’on actionne avec des leviers et dont il faut se méfier, afin d’éviter de se retrouver écrasé entre deux rayons.

Dans certaines salles de la médiathèque, il est possible d’enregistrer des podcasts et autres audiobooks, d’utiliser des fonds verts si, par exemple, un auteur donne une interview. C’est ainsi que j’ai eu l’idée de faire lire à Fabien Cerutti une nouvelle qu’il a écrite spécialement pour Thionville, et qui sera bientôt en ligne ! 

L’atmosphère ici est stimulante et créative. Des vernissages et des concerts ont lieu régulièrement. Une rencontre improbable m’a particulièrement marqué  : dans une ambiance oniro-poétique qui rappelle les films de Michel Gondry, de jeunes comédiens ont fait irruption dans nos locaux administratifs pour nous inviter à tester leur spectacle, « la souvenirothèque », un lieu imaginaire dans lequel sont entreposés des souvenirs de personnes âgées, ce qui a donné lieu à un spectacle émouvant. L’instant magique, c’est lorsqu’à la fin les comédiens nous ont demandé, anxieux, notre avis : il s’agissait de leur toute première représentation face à un public !

Un autre jour, j’ai également été touché par le spectacle d’artistes ukrainienes qui chantaient des airs folkloriques, émotion garantie.

Des étoiles dans les yeux, j’ai rapidement repris le travail, un travail conséquent et pour cause : être bibliothécaire, c’est accomplir plusieurs métiers. Il faut acheter des livres qui ont retenu notre attention, constamment mettre en avant les titres en rapport avec l’actualité et les besoins, mais aussi équiper les ouvrages, c’est-à-dire les couvrir. Moi qui ne suis pas à la base très manuel, je suis devenu un pro en la matière (au point de m’occuper des livres d’école de mon fils).

Je suis désormais, au sein de l’univers « Sciences et Société », le type qui veut à tout prix réparer les livres, y compris les cas les plus désespérés ! J’utilise de la colle caoutchouc pour les reliures

ainsi que les fameuses « araignées » (des élastiques)

mais aussi la massicot, une machine dotée d’un rayon laser et de lames dangereuses qui permettent de couper les extrémités usées des pages d’un livre afin de lui redonner une seconde jeunesse.

Au fil du temps j’ai acquis la confiance de mes collègues qui me confient volontiers leurs « malades » car nous économisons ainsi de l’argent au lieu d’envoyer des ouvrages au « pilon »… 

Hélas, parfois, quand un livre n’est plus emprunté depuis des années il faut « désherber »… Un moment difficile pour moi, mais heureusement, avant d’être pilonnés les livres orphelins sont vendus à une foire de la dernière chance…

Pour désherber, j’utilise la méthode IOUPI :

I comme Incorrect
O comme Obsolète
U comme Usé
P comme Périmé
I comme Inadéquat

Le désherbage est nécessaire parce qu’il permet également de faire de la place pour se procurer de nouveaux livres, parce que la bibliothèque est comparable à un organisme vivant qui doit se régénérer au fil des ans. Nous sommes au service d’un objectif social vital : permettre à l’ensemble de la population d’accéder au savoir. 

Ce ne sont pas de vains mots ! J’ai en effet été très touché d’observer un brassage incroyable au niveau du public : la médiathèque est l’un des rares endroits où l’on peut retrouver dans un même espace une grand-mère amatrice de polars et un ado fan de mangas. J’ai moi-même fait une belle rencontre avec un jeune d’un quartier populaire qui venait emprunter… Blade Runner, de Philip K. Dick, un auteur qui me passionne. Notre bref échange m’a permis de lui expliquer qui était cet auteur, et de lui faire découvrir Carbonne Modifié, de Richard Morgan, qu’il était ravi de découvrir… Quel bonheur que de se sentir utile !

Travailler dans une médiathèque, ce n’est pas seulement aimer les livres, c’est également donner du sens. Certaines personnes vont pouvoir utiliser gratuitement Internet, parce qu’elles n’ont pas les moyens de se payer un abonnement. Dans l’univers « Images et sons », le mercredi et le samedi nous permettons aux gosses de jouer à la PS5, la X-Box, la Switch… et même à d’anciens jeux comme Mario, Mortal Kombat 2 !

Cerise sur le gateau, nous disposons même de lecteurs CD et vinyle qui permettent de diffuser de la musique. C’est ainsi que j’ai fait découvrir à des jeunes mon groupe préféré, Radiohead. À l’inverse, qu’elle ne fut pas ma déception lorsque des adolescents demandèrent aux collègues de la sécurité si je ne pouvais pas un peu baisser le volume lorsque je passais du Nirvana ! #faitesdesgosses.

Puisqu’on parle des jeunes, je suis aussi le médiathécaire qui bougonne « on ne court pas » aux jeunes… des jeunes qui m’apprécient. Lors d’un événement, je les ai invités à un « voyage dans le temps » sur des consoles antédiluviennes comme la Megadrive ou la Super Nintendo… Ils ont adoré Prince of Persia !

Comme nous sommes un service public, nous nous devons de prendre le temps d’échanger avec les usagers, de les aider, sans être animés par une quelconque logique de rentabilité. Responsable des méthodes d’apprentissage des langues, j’ai plusieurs fois accueilli des réfugiés ukrainiens qui cherchaient à apprendre le français, mention spéciale à cet adolescent à qui j’ai fait visiter la médiathèque en lui disant « tu es chez toi ici », et qui m’a remercié, les larmes aux yeux. J’ai attendu qu’il parte pour craquer à mon tour…

Nous sommes là pour servir le public… autant dire que nous n’avons jamais le temps de lire !#lecordonnierleplusmalchaussé

Il faut aussi s’occuper de la médiation culturelle, inviter des artistes comme l’auteur de Yojimbot qui a eu droit à son vernissage, organiser des événements.

J’ai ainsi animé plusieurs tables de jeux de rôle, des ateliers d’écriture, joué du didgeridoo dans le cadre d’un spectacle sur le folklore australien, et même créé un rayon méditation ainsi qu’une table pour mettre en valeur cette pratique.

J’en arrive au seul point négatif de ce métier : nous sommes tout le temps dérangés dans notre travail, car nous avons 1000 tâches à accomplir.

Il me reste à vous raconter une dernière anecdote. Ma prédécesseuse, Fernande, une bibliothécaire partie à la retraite et que je remplace, a eu la gentillesse de me rendre visite pour me parler de mes rayons, et du très sérieux et mondialement connu système Dewey : tout le savoir de l’Humanité est rangé de 0 à 1000.

À mesure que Fernande me parlait avec amour des livres qu’elle avait passé des années à patiemment rassembler, je me rendis compte que nous avions énormément de passions communes, comme par exemple Mircea Eliade, l’ami de mon grand-père qui était spécialiste des religions. À un moment donné, Fernande me parla de la nécessité de bien séparer relaxation et méditation… que nous pratiquons en fait tous les deux.

— Je suis vraiment honoré d’être ton successeur, dis-je, ému.

— Et moi je suis fier que ce soit toi, me répondit-elle.

J’avais les larmes aux yeux.

Fernande est partie en me laissant son numéro de téléphone si j’avais besoin d’aide, rassurée d’avoir transmis le travail d’une vie à une personne qui l’appréciait.

Quand je suis revenu à mon bureau, une collègue de travail m’a dit :

— Hé ! Ton roman vient d’être emprunté ! Et devine par qui ? Fernande ! 

C’est à ce moment-là que j’ai souri.

Published in: on janvier 31, 2023 at 8:14  Comments (24)  

Le moine, la vague et l’océan

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Ces dix derniers jours ont été riches en émotions. Comme tous les membres du temple bouddhiste que je fréquente, j’ai vécu un événement marquant : le moine tibétain qui m’a appris la méditation, le Vénérable Guéshé Lobsang Thupten, dit « Guéshé La », a quitté cette existence terrestre. À la différence des plus anciens, je ne le connaissais que depuis six ans, mais c’est une personne qui a beaucoup compté pour moi… et qui ne vivait que pour les autres.

Je l’ai rencontré en 2015, alors que j’étais en pleine correction du tome 3 des pirates de l’Escroc-Griffe. Son nom apparait en dédicace, ainsi que dans les remerciements de l’édition intégrale, mais en réalité, c’est son ombre qui plane sur l’ensemble de ce troisième opus, très mystique.

À cette époque, je surveillais continuellement les critiques, angoissé à l’idée qu’un échec du tome 1 compromette la publication du reste de ma trilogie… et je haïssais mon père, pour de bonnes et de mauvaises raisons. Pour aller mieux, je pratiquais tout seul la méditation, mais je me rendais bien compte qu’il fallait un maître pour progresser. Je cherchais sur Internet un centre pour méditer, et j’eus la surprise de constater qu’il existait un temple tibétain… pas loin de chez moi. Un temple tibétain à Metz ? Je n’en croyais pas mes yeux. N’était-ce pas une secte ?

Lorsque je me rendis, un jour de septembre, au temple Thar Deu Ling, Guéshé La se tenait devant la porte, tout sourire… comme s’il m’attendait depuis toujours.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, Guéshé La avait eu comme maître Tenzin Gyatso… le Dalaï-Lama en personne, et deux de ses précepteurs, dont Loungri Namgyél Rinpoché ! Var Matin avait même consacré un article à Guéshé La. Cette bonne nouvelle était tellement improbable qu’au début, j’avais presque du mal à y croire. Auparavant, j’avais eu la chance de visiter plusieurs centres en France, et l’opportunité d’écouter des sages de premier plan comme Ringo Tulkou Rinpoché ainsi que le lama Khandro Rinpoché, mais pour la première fois je sentais que le courant passait avec ce maître. Guéshé La avait le don d’éveiller chez les personnes qu’il rencontrait quelque chose de particulier, une complicité, si bien que j’allais chaque lundi à ce temple. Un soir, en écoutant l’un de ses enseignements, alors que j’en voulais à mon père, je ne pus m’empêcher de penser combien j’étais imparfait. D’une manière ou d’une autre, Guéshé La perçut mon trouble. Il se mit à me sourire et me dit, en me regardant droit dans les yeux, « il faut apprendre à se pardonner ».

De temps en temps, comme les autres membres du temple, j’étais invité à prendre le délicieux thé tibétain chez lui, à recevoir des enseignements personnalisés, entre deux pâtisseries ! Guéshé La était toujours présent pour répondre à des questions philosophiques… ainsi que celles, plus éthiques, qui concernaient la vie courante, sans jamais rien exiger en retour. Détail touchant, j’étais tellement enthousiaste que Guéshé La me demandait régulièrement si la méditation et le fait de suivre des pratiques quotidiennes ne perturbaient pas ma famille ! Je désirais devenir bouddhiste, mais, à ma grande surprise, loin de me pousser dans cette direction, Guéshé La me freinait lors de nos entretiens. Il était particulièrement attentif au fait que non seulement le prosélytisme était interdit dans le bouddhisme, mais qu’il fallait vivre en harmonie avec tous les êtres sensibles, humains comme animaux,  peu importe sa religion ou sa philosophie. Nous ne sommes tous que des vagues au sein d’un même océan. C’est la tolérance hors normes de Guéshé La et son abscence de prosélytisme à mon égard qui, paradoxalement, me firent prendre refuge et « devenir » bouddhiste en 2016. J’utilise des guillemets, car l’équivalent du baptême n’existe pas dans le bouddhisme. La prise de refuge est juste une petite cérémonie durant laquelle on fait vœu de ne pas tuer d’êtres sensibles, de voler, mentir, dire des paroles blessantes, se livrer à des inconduites sexuelles ou se droguer… Des vœux plus difficiles à suivre qu’il n’y parait, et qui peuvent être renouvelés au fil du temps afin qu’ils conservent leur force… s’ils ne sont pas rompus.

Ce fut une aventure incroyable, qui me permit d’accompagner Guéshé La, avec d’autres pratiquants, à Strasbourg afin d’assister à un enseignement du dalaï-lama en personne, qui lui donna le titre de « protecteur du dharma ». Je n’oublierai jamais les yeux pétillants de Guéshé La, semblables à ceux d’un enfant, heureux de vivre un si beau moment. Le voir aux côtés du dalaï-lama était émouvant, l’accomplissement d’une vie quand on sait que Guéshé La entra au monastère à 9 ans, pour obtenir le prestigieux titre de guéshé à… 41 ans, après bien des années d’étude, et une joute orale !

Malgré sa position, au fil des ans, jamais Guéshé La ne se départit de sa simplicité, sans parler de son humour légendaire. Un jour, nous nous rassemblâmes tous ensemble au temple dans le cadre d’une retraite silencieuse. Nous ne pouvions échanger un mot de la journée, seulement communiquer avec les mains… et rire. Vers 13h00, nous sortîmes pendant une heure afin de nous dégourdir les jambes. Guéshé La voulut visiter une église, et nous nous retrouvâmes en petit comité, à quatre personnes, pour l’accompagner. Alors que Géshé La admirait la voute de l’édifice, un prêtre intrigué vint nous saluer en nous expliquant que la porte avait été accidentellement laissée ouverte, que d’habitude à cette heure-ci l’église était fermée, qu’il fallait plutôt privilégier d’autres horaires, mais que pour cette fois, notre présence ne posait pas de problèmes. Le souci, c’est que Guéshé La ne comprit pas les paroles du prêtre et que, de notre côté, nous avions fait vœu de silence ! Peu désireux de rompre ce vœu journalier, je me contentais de sourire. Personne ne répondit au prêtre, qui devait se demander s’il n’était pas tombé sur les évadés d’un hôpital psychiatrique… ou d’une secte ! Un ami compatissant finit par lui expliquer que nous venions du temple tibétain non loin de là. Lorsque nous sortîmes enfin dehors et que je repensais au visage stupéfait du prêtre, je ne pus m’empêcher de rire…

L’humour faisait partie intégrante de l’enseignement de Guéshé La. Parfois, quand je lui demandais comment il allait, il me répondait du tac au tac « très mal ! ». Me voyant tressaillir, il me jetait un regard taquin, comme pour me dire « il faut prendre un peu de recul ».

Au fil des années, grâce à lui j’appris à guérir de certaines blessures… même si, lors de ce travail d’une vie, je connus des moments plus difficiles que d’autres. Je n’arrivais pas à me détacher de cette colère contre mon père, et je m’inquiétais pour ma mère. Un jour, après avoir téléphoné à mes parents, je me retrouvais désemparé. Une heure plus tard, à ma grande surprise un ami du temple m’appela pour savoir si mes parents allaient bien. Lorsque je demandais pourquoi, il m’expliqua que Guéshé La lui avait demandé de prendre de mes nouvelles à ce sujet… Il possédait une empathie quasi surnaturelle.

Un autre jour, alors que je méditais, cette colère si familière réapparut une fois de plus. Cette perturbation mentale me consternait, parce que j’essayais de me purifier… en vain. Pourquoi méditer de façon analytique, si c’était pour me retrouver confronté à un ennemi intime, invincible, qui me torturait ? Mais ce jour-là, alors que j’étais assis sur mon coussin, mon imagination me procura une curieuse vision, de celles qu’on a parfois lorsqu’on médite longtemps et que l’esprit s’échappe tel un cheval sauvage. Je visualisais devant moi un petit garçon en colère, le petit garçon que j’étais autrefois, et qui n’avait jamais vraiment disparu. Intérieurement, j’essayais de le consoler, mais je le voyais me repousser en criant de rage. J’imaginais alors que je le prenais dans mes bras malgré tout, sans le craindre. Au début le petit garçon se débattit, puis il finit par éclater en sanglots, tandis que je le berçais doucement, tout contre moi, en tentant de lui prodiguer cet amour paternel que je n’avais pas reçu, un amour qui avait lui-même fait défaut à mon propre père. Alors que l’enfant disparut, je comprenais que cette rage était surtout dirigée contre moi-même. Injustement, je m’en voulais d’avoir été ce petit garçon vulnérable. « Il faut apprendre à se pardonner », m’avait un jour dit Guéshé La. Une immense vague de soulagement se diffusa alors dans mon corps. La colère s’en était allée pour de bon.

La vague rejoignait de nouveau l’océan.

Il faudrait un livre entier pour raconter l’histoire de Guéshé La qui, malgré sa santé précaire, atteignit les 80 ans. Sentant sa mort approcher, il expliquait qu’il était heureux d’avoir mené cette longue vie d’exil en France, d’avoir enseigné et traduit, avec l’aide de Georges Driessens, un texte aussi important que le Lamrim, « la Voie Progressive vers l’Éveil ». Il affirmait qu’au Tibet, il n’aurait jamais vécu aussi longtemps… et qu’il fallait continuer à pratiquer après sa mort.

Guéshé La est décédé le lundi 27 septembre, mais il a délivré un ultime enseignement auquel je ne m’attendais pas. Ce qu’il faut savoir avec la tradition tibétaine, c’est que le corps d’un moine n’est pas du tout traité par les pompes funèbres, pour ne pas troubler le défunt et l’aider à obtenir la meilleure renaissance possible. D’un point de vue bouddhiste, lorsqu’une personne ordinaire meurt, son corps se décompose très vite, mais pour un individu qui a atteint un haut degré de réalisation spirituelle, il en va autrement. Qu’on y croie ou pas, en Asie nombreuses sont les histoires de grands maîtres qui sont restés plusieurs jours ou semaines dans un parfait état de conservation.

Il se trouve qu’un moine tibétain, Guéshé Lobsang Yeshe, est venu spécialement pour Guéshé La afin de lui prodiguer les derniers rites bouddhistes. Guéshé Yeshe nous a annoncé que Guéshé La était en méditation, que son esprit subtil était encore présent… Or la loi française limite à sept jours maximum la conservation d’un corps dans une chambre froide. Cela signifie que le septième jour, Guéshé Yeshe a été contraint de réciter une prière pour dire à Guéshé La qu’il était temps de se libérer. Nous avons eu le droit de nous recueillir une dernière fois sur la dépouille de Guéshé La, de lui donner une kata (la fameuse écharpe blanche) ainsi qu’un bâton d’encens. Au moment de le voir, je fus stupéfait par le spectacle que je découvrais : nous avions l’impression que Guéshé La dormait. Son visage était serein, il n’avait pas été altéré par la décomposition, contrairement à ceux de certaines personnes ordinaires qui bénéficiaient pourtant de soins. Tandis que je psalmodiais machinalement des mantras, une paix profonde m’envahit, l’idée que Guéshé La dispensait son enseignement le plus important : la mort est un non-événement, parce que tout est impermanent.

Moi qui suis d’habitude si émotif, au point de pleurer devant un film, me retrouvais au moment de la cérémonie apaisé, en mesure de sourire afin de consoler certains amis. J’étais certain que si une personne sur Terre était préparée à sa propre fin, c’était bien Guéshé La. Je n’éprouvais pas le besoin de pleurer. Aujourd’hui, je suis persuadé que tant que ses enseignements continueront de vivre dans le coeur des gens qui ont eu la chance de croiser sa route, et généreront des actions positives, une partie de lui subsistera, parce que nous sommes tous liés.

Bon voyage à Tushita, et au plaisir de vous retrouver dans une prochaine renaissance, Guéshé La.

Om mani padme houng.

Published in: on octobre 8, 2021 at 11:45  Comments (17)  

Mon Dune, ma Jordanie

Avec le Seigneur des Anneaux, Star Wars et Elric, Dune est le cycle SFFF qui m’a le plus influencé. Je l’ai lu l’été de mes 14 ans, avec le sentiment de ne pas tout comprendre tant cet univers imaginaire était d’une profondeur inouïe, impression confirmée par le film mystique de David Lynch, que j’ai toujours défendu. Conspué par les critiques de cinéma, ce long-métrage maudit a pourtant bénéficié au fil des décennies d’un culte entretenu par les fans, qui se sont demandé ce qu’il serait advenu si Lynch n’avait pas été martyrisé par son producteur, Dino De Laurentis. À vrai dire, le livre de Franck Herbert a longtemps eu la réputation d’être, comme le Seigneur des Anneaux, une œuvre inadaptable. Je suis d’ailleurs probablement l’une des rares personnes à ne pas avoir été convaincu par le projet de Jodorowski qui avait écrit un scénario très éloigné des livres… qu’il disait vouloir « violer », pour reprendre ses propres mots dans le célèbre documentaire Jodorowsky’s Dune. À l’inverse, la mini-série produite par Sci Fi Channel était d’une fidélité absolue, mais manquait cruellement de moyens. Pendant des années, Dune est demeuré un fantasme qui ne trouvait grâce que dans les somptueuses adaptations en jeux vidéos sur Amiga….

En 1988, l’intéressante version longue de Dune fut rendue publique… mais aussitôt reniée par son réalisateur. La malédiction se poursuivait, implacable.

Et puis est venu le « prophète des sables », Denis Villeneuve. L’homme capable de magnifier des paysages désertiques (Incendies, Sicario), le cinéaste visionnaire auteur d’un chef d’oeuvre, Premier Contact. Malgré ces faits d’armes, lorsque j’ai appris qu’il allait réaliser la suite de Blade Runner, j’étais sceptique : comment pouvait-on désirer une telle hérésie ? Alors que 99 cinéastes sur 100 (Ridley Scott compris) auraient livré une bouse immonde, Villeneuve a accompli le tour de force de proposer une suite respectueuse et respectable, Blade Runner 2049.

Voilà pourquoi, en 2018, j’ai hurlé de joie quand j’ai appris qu’on avait confié au réalisateur canadien la lourde tâche d’adapter Dune sur le grand écran. Pari réussi ? Avant toute chose, je tiens à signaler que je suis peut-être la dernière personne à être objective, ayant travaillé un été… en Jordanie, le pays où a été tourné le Dune de Villeneuve, plus précisément sur le temple nabatéen de Khirbet Edh Dharih. Cette belle aventure, je la dois au professeur François (ça ne s’invente pas) Villeneuve, de l’École Normale Supérieure, dans le cadre d’une campagne de fouilles archéologiques organisée par le C.N.R.S. et l’I.F.A.P.O. Alors que je n’étais encore qu’un étudiant en Histoire de 22 ans, j’avais l’insigne honneur d’être le seul membre d’une université classique (Nice) à faire partie de cette équipe de l’E.N.S. triée sur le volet.

J’ai visité Pétra, dormi dans le désert du Wadi Rum, à l’ombre de ces montagnes qui ont inspiré les fameux sietch de l’univers imaginaire de Franck Herbert.

Dans le Sîq. Derrière moi, le Kahzneh

Je me rappelle très bien m’être dit à l’époque « s’il y a un coin sur Terre qui ressemble à Dune, c’est bien cet endroit ». J’avais le sentiment de vivre littéralement sur Arrakis, la planète que Franck Herbert avait imaginée, si bien que je n’ai pas été surpris que le choix du lieu de tournage se porte sur la Jordanie : Dune ne pouvait exister qu’au sein de ce désert magnifié dans le contemplatif Lawrence d’Arabie.

Un sanctuaire sacrificiel (si mes souvenirs sont bons…)

Il fallait en effet un univers mortel où le silence se transforme, n’ayant pas peur des mots, en expérience mystique. Je pense notamment à l’aube, lorsque de petites pierres dévalent la pente d’une montagne à un kilomètre de distance et qu’on a pourtant la sensation que le son est tout proche.

La nuit, le ciel est tellement clair que la lune devient énorme, jamais je n’ai vu une voute aussi étoilée. Il fait froid et, dans l’obscurité, le silence est écrasant, presque palpable, tout est sens. Le réveil à 5h00 du matin est toujours surréaliste, car non seulement on se réveille avec un pull d’hiver, mais il faut se livrer à une course contre la montre pour profiter de la fraicheur qui, à 8h00, n’est déjà plus qu’un souvenir.

Mes premières fouilles (en haut, mon matériel)
Le même site, quelques jours plus tard.

À dix heures, c’est l’heure du fatour, le traditionnel repas de pastèques du milieu de matinée. On peut engloutir des litres d’eau sans jamais être rassasié tant les conditions de travail sont extrêmes. Vers 11h00, lorsqu’on prend le temps d’observer le site archéologique, l’air se déforme comme sur un aéroport sous l’effet de la chaleur, avec l’impression de voir la sueur s’évaporer des corps autour de soi.

En fin de matinée, tout le monde travaille au ralenti, comme dans un film monté par un réalisateur sadique. L’état de fatigue est tel que des incidents peuvent survenir, preuve en est avec ce collègue archéologue marocain qui fut piqué au doigt par un scorpion. Contrarié à l’idée de mettre en retard l’équipe, il fut obligé, la mort dans l’âme, de prendre un jour de repos à cause de la fièvre (la même mésaventure m’arriva un an plus tard, à Carthage).

En journée, sous l’effet de la déshydratation, avaler sa salive peut se révéler être une expérience aussi douloureuse qu’une angine, la température peut monter jusqu’à 40 degrés, 45 degrés dans le Wadi Rum. À la fin de ma première matinée de travail, je demandais au professeur Villeneuve si nous pouvions poursuivre les fouilles l’après-midi.

— Vas-y si tu veux ! me répondit-il, un sourire goguenard sur les lèvres.

À 14H00, je compris pourquoi ma question était aussi stupide. Nous étions dans un four, contraints de rester assis à l’ombre, guettant la fraicheur du soir, ce miracle quotidien. Les premiers jours, plusieurs Parisiens quittèrent la mission, trop malades pour prolonger l’aventure, j’avais moi-même, au début, un peu de mal à supporter la chaleur, au point d’être rapidement essoufflé. J’avais plus de chance, car comme j’habitais sur la Côte d’Azur, je m’étais préparé tout le mois de juin en allant… quotidiennement plusieurs heures à la plage, sans crème solaire, ce qui choquait ma copine de l’époque qui me traitait de malade mental.

Après plusieurs jours passés dans le désert, on se met à moins transpirer et l’appétit diminue : le corps finit par s’adapter. Dans ces conditions hors normes, boire une simple gorgée d’eau n’est plus seulement une question de survie, mais un moment transcendantal si intense, qu’on ne peut s’empêcher de fermer les yeux pour apprécier la fraicheur de l’instant. Encore aujourd’hui, il m’arrive de « déguster » un verre d’eau ainsi, ce qui fait rire les personnes autour de moi, comme si la soif, la vraie, ne m’avait jamais quitté. Fouler le sable du désert, c’est devenir un peu poète.

Je suis revenu à Nice avec dix kilos en moins et une violente angine. Ironie du sort, il pleuvait ce jour-là ! En sortant de l’aéroport, je sentais l’humidité dans l’air tout autour de moi, avec l’impression que les gens étaient gras, littéralement gorgés d’eau. Alors que les arrosages automatiques se lançaient sous la pluie, j’étais émerveillé par cette richesse qui m’entourait et horrifié par le gaspillage. Pour la première fois de ma vie, je réalisais la chance que j’avais de vivre dans un pays si riche en eau, et je n’ai jamais oublié la Jordanie.

Inutile de dire combien j’ai été très ému de redécouvrir à l’écran ces paysages que je connais si bien, comme par exemple les « djinns », ces trous dans la pierre qui donnent l’impression de voir les yeux de créatures démoniaques au sein de la montagne.

Les fameux « djinns » à droite sur la photo

Dès les premières secondes du film, j’ai été happé par l’image de ce sable, avec une seule pensée en tête : Villeneuve a cerné l’âme du livre. Le directeur de la photographie de Dune a en effet effectué un travail incroyable, presque « clinique » : l’univers est élégant tout en amenant, au niveau de l’ambiance, cette froideur des romans. Une froideur qui n’empêche pas une certaine sensualité dans la façon dont Villeneuve a de filmer ses personnages en gros plan, pour gagner en émotion… même si les dialogues, comme dans le livre, peuvent donner aux échanges un côté théâtral. C’est bien évident volontaire, car dans le monde de Dune chaque mot ou geste doit être analysé, parce qu’il s’agit d’une question de vie ou de mort. Pour répondre sans plus attendre à LA question, la version de Villeneuve est complémentaire de celle de Lynch : moins baroque, plus sobre… mais infiniment plus cohérente en ce qui concerne le world bulding : le gigantisme de la ville, le ver, effrayant… Tout est sublime dans ce film, qui n’oublie jamais d’être poétique, notamment lors des séquences de vol en ornithoptère, d’un lyrisme absolu. L’architecture n’est pas sans rappeler la civilisation nabatéenne, comme le montre ma photo des tombes royales de Pétra.

Des tombes royales

De la même façon que Nolan, dans sa trilogie, a imaginé un Batman réaliste différent de celui, gothique, de Burton, Villeneuve nous livre une version épurée du livre de Franck Herbert, mais une version ô combien élégante, mention spéciale aux fameux boucliers, qui amènent une logique intéressante dans la chorégraphie des combats.

Même la musique de Zimmer, moins spectaculaire que le thème original de Toto, fait preuve de cette même sobriété, afin de se marier naturellement aux images.

Là où Villeneuve touche au génie, c’est dans le fait d’être, comme Franck Herbert, un visionnaire. Alors que l’écrivain imaginait Dune comme une métaphore écologique du Moyen-Orient (l’épice/le pétrole), Villeneuve amène une sensibilité féministe qui fait écho avec l’actualité, tant en Occident qu’en Afghanistan. Les immanquables « trahisons » que je redoutais par rapport au livre sont de franches réussites, je pense surtout à Lyet Kines qui devient, dans le film de Villeneuve, une fremen noire infiniment plus touchante (et intéressante) que le vieil homme de la version de Lynch. Il faut, à ce titre, songer à donner un Oscar au trio qui s’est chargé d’adapter le roman en film : j’avais très peur que le film soit incompréhensible sans avoir lu le livre, or ce n’est pas le cas… bien que les amateurs du roman prendront encore plus de plaisir à apprécier certaines informations implicites, cela va sans dire. Si je pinaille, je regrette un petit peu que certains rapports entre personnages ne soient pas plus approfondis, notamment entre Dame Jessica et le Docteur Yueh, les suspicions de Thufir Hawat ou l’ivresse de Duncan Idaho… mais ça reste du détail, sans parler du fait qu’il était très difficile d’adapter tout le roman en 2h30.

À l’heure où la Warner veut proposer en Amérique une sortie streaming simultanée sur HBO Max, suscitant des téléchargements illégaux qui risquent de tuer le film et hypothéquer une suite, aller voir Dune au cinéma devient un acte militant, une déclaration d’amour à un cinéma SF de qualité, adulte et poétique. Villeneuve est l’un des rares artistes à pouvoir réaliser, au même titre que Christopher Nolan, des blockbusters qui relèvent plus du cinéma indépendant que du divertissement. Dune est une oeuvre exigeante pensée pour le grand écran, à la photographie aussi recherchée qu’une peinture de la Renaissance… alors si vous désirez qu’il y ait une suite, il ne vous reste plus qu’à aller voir ce chef-d’œuvre au cinéma plusieurs fois comme je m’apprête à le faire !

EDIT : interview passionnante de Villeneuve

Published in: on septembre 17, 2021 at 10:44  Comments (15)