Le moine, le philosophe et le scientifique

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il y a quelque temps j’ai lu deux livres passionnants qui ont bouleversé mes certitudes. En tant que littéraire, j’ai toujours été interpelé par ce précepte humaniste de Rabelais : « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». J’ai suivi un enseignement chrétien, mais je nourris une profonde admiration pour les chercheurs, qu’ils soient physiciens ou mathématiciens. À mon humble niveau, l’histoire et la philosophie m’ont permis d’étudier les sciences et la religion. J’expliquais dans cet article que depuis quelques années, j’avais le pressentiment que la physique allait peut-être redevenir une métaphysique qui modifierait la frontière entre science et spiritualité. Depuis presque un siècle, les physiciens de la mécanique quantique ont découvert qu’à l’échelle des particules, non seulement le temps n’a plus aucun sens, mais qu’en plus la perception d’une expérience influe directement sur son déroulement : en effet, pour observer des particules, il faut de la lumière, et donc des photons… Le grand Albert Einstein lui-même s’est disputé avec Niels Borh à ce sujet, notamment en ce qui concerne le paradoxe EPR, le fait que la lumière et la matière ressemblent tantôt à des particules, tantôt à des ondes. Einstein affirmait que la mécanique quantique ne donnait pas une description complète de la réalité,  qu’il y avait des « variables cachées ».  Albert Einstein avait en fait tort et par la suite, jamais la science n’a pris en défaut cette curieuse mécanique quantique. Je dis bien curieuse, tant les physiciens quantiques eux-mêmes ont été déroutés… pour ne pas dire plus : à l’époque, les gens qui les écoutaient avaient parfois l’impression d’avoir affaire à des illuminés !

Les hippies de la mécanique quantique

 Lors d’une dispute mémorable, Albert Einstein dit à Niels Bohr « Dieu ne joue pas aux dés ! ». Bohr répond : « Qui êtes-vous Einstein, pour dire à Dieu ce qu’il doit faire ! »

Lors d'une dispute, Einstein dit à Bohr « Dieu ne joue pas aux dés ! ».Bohr répondit : « Qui êtes-vous Einstein, pour dire à Dieu ce qu'il doit faire ! »

Albert Einstein et Niels Bohr

 

Selon Niels Bohr : « notre description de la nature n’a pas pour but de révéler l’essence réelle des phénomènes, mais simplement de découvrir autant que possible les relations entre les nombreux aspects de notre existence ». Son expérience sur le fait que la lumière et la matière ressemblent tantôt à des particules, tantôt à des ondes, explique son blason mystique inspiré du yin et le yang, avec l’inscription latine contraria sunt complimenta, qui signifie que les contraires sont complémentaires. « Parallèlement aux leçons de la théorie atomique… nous devons nous tourner vers les problèmes épistémologiques auxquels des penseurs comme le Bouddha et Lao-tseu ont déjà été confrontés, en essayant d’harmoniser notre situation de spectateurs et acteurs dans le grand drame de l’existence ».

Le blason de Bohr : "les contraires sont complémentaires"

Le blason de Bohr

 

Vous allez me dire qu’il n’y a rien d’étonnant à ce qu’un scientifique ait des idées bizarres. Mais en réalité, c’était quelque chose de très répandu parmi cette génération de chercheurs. Pour Erwin Schrödinger, qui a entretenu une longue correspondance avec Albert Einstein, « il vaut mieux ne pas regarder une particule comme une entité permanente, mais plutôt comme un événement instantané. Parfois ces événements forment des chaînes qui donnent l’illusion d’être des objets permanents ». Pour lui, « les objets atomiques et subatomiques ne possèdent aucun attribut qui leur soit propre. Quand ils ne sont pas observés, il est impossible, même par la pensée, de leur attribuer une vitesse déterminée et une trajectoire le long de laquelle ils occuperaient à chaque instant un lieu précis. Nous n’avons donc pas le droit de considérer les objets quantiques comme étant constamment doués de propriétés mesurables ». Après son célèbre chat, Schrödinger a par la suite étudié l’hindouisme, qui lui a inspiré la possibilité que notre conscience soit la manifestation d’une conscience globale se répandant dans l’univers…

Vous ne trouvez pas qu’Erwin Schrödinger aurait fait un très bon Doctor Who ?

 

Werner Heisenberg, prix Nobel de physique et ami de Niels Bohr, affirme lui aussi qu’en « mécanique quantique la notion de trajectoire n’existe même pas ». Il ne s’agit plus d’étudier un objet, mais un événement donné,  qui forme avec les instruments d’observation un tout indivisible. Le but de la physique n’est plus la description de la réalité, mais la description de « l’expérience humaine communicable », c’est-à-dire celle des observations et mesures. Pour Heisenberg, « l’importante contribution du Japon à la théorie de la physique depuis la dernière guerre indique peut-être une certaine parenté entre les idées philosophiques traditionnelles de l’Extrême-Orient et la substance philosophique de la théorie quantique ».

Niels Bohr et Werner Heisenberg

Niels Bohr et Werner Heisenberg

 

Une pensée bouddhiste du moine Nagarjuna va dans le sens de ces scientifiques : elle affirme que « plus nous sommes loin du monde, plus il nous parait réel. Plus nous nous en rapprochons, moins il est saisissable, comme un mirage dénué de réalité tangible ». Vous l’aurez deviné, le bouddhisme, c’est précisément le thème du livre le moine et le philosophe que j’ai lu il y a peu, suivi de L’Infini dans la paume de la main, par (coïncidence !) l’un des auteurs de l’Univers élégant, l’astrophysicien Xuan Thuan Trinh. Dans le moine et le philosophe, un père et son fils débattent du sens de la vie : d’un côté, Jean-François Revel, philosophe athé et membre de l’Académie française, de l’autre Matthieu Ricard, un brillant chercheur en biologie qui a abandonné sa carrière pour devenir moine bouddhiste et porte-parole du Dalaï-Lama. Ces deux ouvrages sont surprenants à plus d’un titre. On s’attend à un débat classique entre un partisan de la science et un adepte de la religion, mais en réalité on découvre que le bouddhisme est une science contemplative, une philosophie rigoureuse qui dispose d’une logique : la vérification par l’expérience directe, la déduction irréfutable et le témoignage digne de confiance.

Ce qui m’a fasciné, c’est la différence culturelle entre l’Asie et l’Occident. Depuis la Grèce antique, notre civilisation a consacré l’essentiel de ses ressources intellectuelles à élaborer une science technique lui permettant de maîtriser la Nature, alors que l’Asie s’est focalisée sur une science contemplative visant à éveiller l’homme dans son cheminement intérieur, suivant ainsi une toute autre voie. Du coup, le bouddhisme est une sagesse d’une pertinence inouïe : grâce à 2500 ans de recherches continues, ses adeptes tentent via la connaissance d’échapper aux souffrances de l’existence, et développent des valeurs telles que la compassion. Le bouddhisme amène également une autre approche de la réalité, qui rejoint de manière frappante les physiciens de la mécanique quantique.

Interdépendance et indépendance

Pour les bouddhistes, il y a un lien entre tout : c’est « l’interdépendance », un vaste flux d’événements reliés les uns aux autres. À la manière des physiciens de la mécanique quantique, et de certains philosophes grecs, les bouddhistes ne croient pas qu’il y ait d’entités permanentes dans l’univers. De la même façon, ils réfutent également l’idée d’un dieu tout-puissant. Soit le créateur ne décide pas de créer, et alors il n’est pas tout puissant car la création s’est fait en dehors de sa volonté, soit il créé volontairement et il n’est pas non plus tout-puissant puisqu’il créé sous l’influence de son désir de créer. Un créateur ne peut être une entité permanente car il est différent avant et après avoir créé. Il devient en effet « celui qui a créé ». De plus, une « entité » réellement existante ne saurait naître ni disparaître : l’être ne peut naître ni du néant, car une infinité de causes ne sauraient faire venir à l’existence ce qui n’existe pas, ni de ce qui existerait déjà, car alors il n’aurait pas besoin de naître. Soit la cause disparait avant l’effet, soit la cause subsiste au moment de l’effet, ce qui interdit toute causalité dans la simultanéité. À notre échelle, on a une impression de cause à effet. La cause et l’effet coexistent comme la lumière du soleil et la plante qui l’absorbe, mais en réalité les rayons du soleil qui permettent à la plante de germer ne sont pas les mêmes que les rayons qui la chauffent par la suite.

Pour les bouddhistes, il n’y a pas d’entités indépendantes : de la même façon qu’une flamme n’existe que parce qu’elle est constituée des particules qui changent constamment dans des conditions données précises, c’est uniquement en relation et en dépendance avec d’autres facteurs qu’un événement peut survenir. L’interdépendance est synonyme de « vacuité », un terme qui ne remet pas en cause les phénomènes qui nous entourent, mais l’absence d’entités autonomes formant la réalité. On peut très bien faire l’expérience d’un phénomène sans lui allouer une existence propre, c’est le cas d’un arc-en-ciel. Une rivière ne peut pas être faite d’une seule goutte, une charpente d’une seule poutre : il est impossible qu’une chose existe ou naisse par elle-même. Ce qui explique, d’une certaine manière, le fait que l’ordinateur sur lequel je suis en train d’écrire cet article n’existe pas à proprement parler, il n’est qu’un assemblage d’événements reliés les uns aux autres.

Une troisième voie

Au-delà des points communs avec la physique quantique, j’ai été fasciné par l’idée d’une « troisième voie » entre la science et la religion : il n’y aurait pas de réalité cachée comme peuvent l’imaginer les scientifiques, de paradis chrétien, ou de monde platonicien des idées, mais pas non plus de réalité tangible telle qu’on la conçoit dans la vie de tous les jours. Dans cet article, j’expliquais que le physicien Brian Greene évoquait la théorie d’un univers mathématiques, puisqu’elles sont omniprésentes autour de nous. Le bouddhisme pourrait être la preuve définitive, et somme toute logique, que les mathématiques sont un produit de notre esprit, au point où nous les voyons partout. Cela expliquerait également pourquoi le temps n’a guère de sens en mécanique quantique. Nous vivrions dans un monde d’illusions qui n’existerait que par des liens d’interdépendance, aussi notre souffrance viendrait de notre insatisfaction. Il n’y aurait pas de condamnation et de châtiment, de Bien et de Mal, seulement le bien et le mal que nos actes engendrent : la priorité du bouddhiste est donc de se consacrer à l’essentiel, et de devenir un homme meilleur. Si la science contemplative qu’est le bouddhisme échappe par certains aspects à une démarche rationnelle telle que l’affectionne l’Occident (comment prouver scientifiquement que le bouddhisme est spirituellement bénéfique ?), l’enseignement du Bouddha n’est pas pour autant un dogme. Pour ma part, j’ai été impressionné par le fait que cette philosophie religieuse, ou religion philosophique, est avant tout une sagesse qui a fait ses preuves, comme j’ai pu moi-même le constater au Japon dans les temples zen : que vous soyez athée ou chrétien, les moines vous accueillent avec le sourire, vous laissent participer à leurs rites, et ne pratiquent aucun prosélythisme.

Les pétales de Lotus du piédestal du Grand Boudha (Nara). Les sept paires de pétales montrent une infinité d'univers. L'œuvre dans son ensemble ne représente pas des individualités, mais l'interconnexion entre elles.

Ma photo des pétales de lotus du piédestal du Grand Bouddha de Nara. Les sept paires de pétales montrent une infinité d’univers. L’œuvre dans son ensemble ne représente pas des individualités, mais leur interdépendance

Dans un article de l’Express, le moine Matthieu Ricard expliquait qu’en découvrant des grands maîtres tibétains fuyant l’invasion chinoise, il avait l’impression de rencontrer « 20 saints François d’Assise vivants ». Sans tomber dans l’angélisme, j’ai le sentiment que le catholicisme donne un modèle christique en fournissant une carte pour s’orienter, tandis que le bouddhisme serait plus un guide de voyage pour avancer jusqu’où bon nous semble dans notre propre cheminement intérieur.

« Se transformer soi-même avant de transformer le monde »

Si, depuis des millénaires, une multitude d’hommes et de femmes ordinaires réussissent à atteindre de manière non violente un certain degré de sérénité et de bonheur, et font preuve d’humanité et de compassion à l’égard des plus démunis, peut-être que notre propre civilisation doit reconsidérer ses priorités en matière d’éducation, d’écologie, d’éthique, voir même de spiritualité laïque puisque les religions n’ont pas le monopole du cœur. Plongé dans un scientisme effréné, l’Occident a oublié ses racines et ses richesses : la sagesse des philosophes grecs, l’idéal humaniste de la Renaissance. Pendant des années j’étais persuadé que l’Humanité était vouée à réconcilier foi et raison, mais jamais je n’ai pensé à une troisième voie entre science et spiritualité. Albert Einstein disait « la religion du futur sera une religion cosmique. Elle devra transcender l’idée d’un Dieu existant en personne et éviter le dogme et la théologie. Couvrant aussi bien le naturel que le spirituel, elle devra se baser sur un sens religieux né de l’expérience de toutes les choses, naturelles et spirituelles, considérées comme un ensemble sensé. Le bouddhisme répond à cette description… S’il existe une religion qui pourrait être en accord avec les impératifs de la science moderne, c’est le bouddhisme ».

Je suis vraiment d’accord avec cette analyse.

Published in: on avril 25, 2014 at 9:45  Comments (11)  
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Les Outrepasseurs

Une couverture magnifique

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Londres, 2013. Peter, un adolescent sans histoires, échappe de justesse à un attentat prémédité par de redoutables ennemis : les « fés ». Il rencontre alors les membres d’une société secrète, les Outrepasseurs. Ces derniers lui révèlent un héritage qui va changer le cours de sa vie…

S’il y a des livres qui ont réussi à me désarçonner, les Outrepasseurs en fait assurément partie. Au bout d’une soixantaine de pages, l’auteur de Au service des insectes nous propulse en plein Moyen-Âge ! Je ne m’attendais pas du tout à ça, et je dois avouer avoir été un moment perdu par les nombreux personnages, ainsi que les changements de point de vue. Etait-ce bien nécessaire ? me suis-je demandé à plusieurs reprises. Eh bien la réponse est oui : à mesure que l’intrigue se ressert sur certains protagonistes, le récit monte en puissance dans son dernier tiers, avec le personnage du Chasseur, un méchant d’anthologie absolument terrifiant (et sensuel), qui m’a un peu rappelé le démon Darkness du Legend de Ridley Scott.

 

Darkness

 

Si vous cherchez un conte de fées façon Walt Disney, passez votre chemin. Le roman de Cindy Van Wilder est une oeuvre sombre, une célébration des inquiétantes fables d’autrefois. Ses créatures se montrent impitoyables, et terrorisent des villageois qui ne peuvent s’en remettre qu’à eux-mêmes… et à un moine qui va mener son enquête. L’auteur dresse un tableau pessimiste de la nature humaine, à travers une vertigineuse plongée dans l’ignorance et le fanatisme. Ses personnages luttent contre de multiples antagonistes, coincés entre deux cultures destinées à se heurter violemment : chrétienté contre paganisme. Les Outrepasseurs sont influencés par le roman de Renart et ses figures animalières cathartiques qui transgressent les tabous de l’époque. Et c’est là où l’écrivain fait preuve d’une grande intelligence : à l’heure où une bit-lit anglo-saxonne parfois stéréotypée inonde les librairies, Cindy Van Wilder s’inspire du folklore européen pour livrer une fantasy francophone ambitieuse, une relecture du mythe du loup-garou.

Le procès de Renart

La romancière a accompli un travail minutieux pour nous restituer l’ambiance pesante qui pouvait planer sur une société traditionnelle du XIIIe siècle marquée par les interdits. Le personnage tragique de Niels, tout en contradictions, m’a interpelé. Ce père de famille, au prime abord détestable, est un homme de son temps : mis sous pression par sa communauté, il se retrouve confronté à un choix moral intenable… Le moins que l’on puisse dire, c’est que Cindy Van Wilder ne ménage pas ses personnages, avec notamment une chasse (au garou) particulièrement poignante.

Au final, ce tome 1 est une longue exposition, certes, mais une exposition nécessaire pour comprendre la psychologie de Peter, un héros schizophrène qui devrait enfin jouer son rôle de protagoniste principal dans le tome 2. Les derniers pages, riches en tension, laissent en effet présager une suite mouvementée !

D’autres avis : la bibliothèque de Glow, Earane, la Pile à lire, Esther, Aelys, À l’ombre des nénufars.

PS : cet article a été rédigé dans le cadre du challenge SFFF au féminin.

SFFF_au_feminin

Published in: on mars 21, 2014 at 8:50  Comments (22)  
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Les Foulards rouges épisode 1 : Lady Bang and The Jack

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bagne, planète-prison où le danger se cache partout, au cœur de chacun de ses sinistres habitants, et même derrière chaque goutte d’eau irradiée.

Lara est un Foulard rouge, une sorte de chasseur de primes qui est peut-être sur le point de réaliser un rêve fou : s’évader…

Après Fortune Cookies et Seuls, je continue mon exploration de la Galaxie Snark avec les Foulards rouges, la toute dernière œuvre de Cécile Duquenne, déjà auteur de Quadruple assassinat dans la rue morgue. Mon article est court car je n’ai eu le temps de chroniquer que le premier épisode de cette science-fiction qui s’annonce intéressante à plus d’un titre : comme il s’agit d’une série, elle bénéfice de plusieurs couvertures que je trouve toutes plus magnifiques les unes que les autres !

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Rassurez-vous, le texte n’est pas en reste : dès les premières lignes, on rentre dans l’ambiance de cet univers baroque, à mi-chemin entre le western et le planet opera, aux côtés de Lara. Une femme forte à la personnalité torturée, qui n’aime pas tuer, mais qui est obligée de cacher ses failles pour survivre. La survie, tel est le maître-mot de cette histoire désespérée :

D’un simple coup d’œil, au-dessus du garrot, il remarqua le trou dans la cuisse, littéralement ; une balle passée à quelques millimètres de l’os.
Sur Terre, une blessure heureuse.
Sur Bagne, un arrêt de mort.

Un monde rude, qui martyrise les corps et les âmes : au bout de quelques années passées sur cette sinistre planète désertique, les habitants de Bagne font plus que leur âge, la faute aux radiations. La quête d’une eau pure est donc essentielle…

J’ai beaucoup aimé l’aspect steampunk de ce premier épisode : les francs Newton, les parties de poker sordides, les Smith & Wesson… et le Hubb, un camion doté d’une benne habitable, capable de parcourir ces paysages désolés. Pour moi, il y a aussi une atmosphère post-apocalyptique étrange, un mélange improbable entre les Mystères de l’Ouest et Mad Max, ainsi qu’un suspens qui m’a rappelé Silo. Petit plus sympa : le premier épisode est gratuit ! Au final, les Foulards rouges est un page turner en puissance, en espérant que la suite soit de la même qualité. Seul bémol : pour la version papier, il faudra attendre que tous les épisodes soient sortis en numérique dans quelques mois.

Published in: on février 26, 2014 at 8:44  Comments (14)  
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Seuls

Mathieu pensait faire un aller-retour express en République tchèque : le temps de régler les affaires de son grand-père, tout juste décédé, et peut être de boire une bière dans une province typique de Prague avec son frère, son neveu et un ami. Mais à peine a-t-il mis le pied dans le village sinistre de ses ancêtres que l’escapade tourne au cauchemar.
De la Bohême profonde aux vieilles rues de Prague, de l’antique Sumer à la Vienne impériale, des Cathares aux armées nazies, Mathieu suivra un chemin jalonné d’épouvantables découvertes.
Un voyage avec pour compagnons la peur, la mort et une vieille paire de lunettes.

Après Fortune Cookies, je continue à découvrir la nouvelle collection de Bragelonne, Snark. Au programme aujourd’hui, Seuls, un premier roman de Mathias Moucha qui va basculer progressivement dans le fantastique… et le drame.

Dans ce thriller surnaturel, on plonge dans un univers à la fois familier et étranger. Familier parce que Prague est une ville européenne hors du temps qui a échappé aux bombardements des deux guerres mondiales. Étranger, parce que la langue tchèque, que l’on retrouve dans les dialogues ou les titres d’ouvrages ésotériques, amène beaucoup de dépaysement et de tension : les personnages, de plus en plus paranoïaques, sont confrontés à un monde occulte qui les dépasse. J’ai aimé Stéphane, véritable écorché vif, toujours sur le fil du rasoir.Pendant un moment, on s’attend à un huit clos dans une maison sinistre, jusqu’au moment où l’intrigue s’accélère façon Dan Brown. Cet aspect conspirationniste m’a beaucoup plu même si, comme souvent dans les thrillers de ce type, l’allusion aux Cathares et aux Nazis semble être un passage obligé. Mais l’histoire est tellement haletante qu’on pardonne facilement ces facilités, pour découvrir un final plein de suspens. L’auteur apporte dans les dernières pages des réponses à certaines questions, mais j’ai apprécié le fait qu’il conserve un certain mystère, et pour cause : il n’y a pas pire monstre que celui qui demeure invisible ! Cette paire de lunettes présente une ironie dramatique énorme, un objet anodin qui permet de mieux voir, mais qui pourtant plonge nos héros dans les ténèbres.

Un court récit aussi simple qu’efficace, une atmosphère glaçante, un style pulp clairement assumé… Seuls me rappelle certaines histoires de Poe et de Lovecraft, celles qui vous laissent un arrière goût amer une fois la dernière page tournée.

Published in: on février 1, 2014 at 4:04  Comments (15)  
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Fortune Cookies

Une coupure d’électricité, une Europe plongée dans le noir… Que se passe-t-il dans le Sud ?
Et si cette coupure d’électricité marquait le début de la dictature ?

J’avais découvert il y a quelques années la saveur des figues, une dystopie qui m’avait plu par son humanisme, sa dimension écologique et ses personnages attachants, et je dois avouer que je n’ai pas été déçu par ce nouveau livre de Silène Edgar, que j’ai lu en l’espace d’une soirée !

ATTENTION, SPOILER DE QUATRE LIGNES

Avec beaucoup d’audace, l’auteur fait l’impasse sur les antagonistes habituels (zombies, virus, aliens et autres robots) pour livrer un message fort : et si le pire des monstres était notre économie ?

FIN DU SPOILER

J’ai été agréablement surpris par le discours engagé de ce (court) roman : impossible de ne pas voir dans cette Europe privée d’électricité le triste reflet de notre monde actuel. Une idée originale, qui permet à Silène Edgar d’alterner sa narration entre deux périodes : les jours (post-apocalyptiques) juste après la catastrophe, et la dictature qui s’en suit. Les extraits de la constitution en début de chapitre sont glaçants, et posent des questions sur les limites de la démocratie : qu’est-ce que l’état d’urgence ? Et si la France se retrouvait dans une situation comparable à celle de la Grèce ? Serions-nous prêts à prendre les armes pour défendre nos libertés ? L’auteur tente de répondre à ces questions d’actualité en relatant le parcours de deux personnages à priori opposés : Blanche, une mère de famille fragile à la recherche de son enfant, et Bianca, la pasionaria d’une résistance qui fait écho à celle de la France occupée. J’ai aimé le regard tendre que porte la romancière à ses protagonistes, des êtres torturés qui possèdent des zones d’ombre. Si je regrette que la crise en elle-même ne soit pas plus développée (et plus complexe), ce qui rend les comparaisons avec l’Occupation parfois délicates, j’ai apprécié que les personnages se battent contre un ennemi intangible, une catastrophe silencieuse, sans pouvoir s’informer. Là encore, les passages sur Internet et la télévision remémorent la fermeture de l’ERT en Grèce, mais aussi les révolutions numériques du Printemps arabe et la guerre en Syrie.

Fortune Cookies est un bon livre d’anticipation car Silène Edgar arrive à s’approprier une thématique actuelle, en nous rappelant au passage que la dignité humaine n’a pas de prix. En choisissant un futur (très) proche, l’auteur n’en est que plus subversif, nous posant une terrible question : le moment venu, seriez-vous prêts à résister ? 

Published in: on janvier 25, 2014 at 10:42  Comments (20)  
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Hunger Games : du film au livre

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Oui, je sais, le titre de mon article est bizarre, mais il résume bien comment j’ai découvert les livres dystopiques de Suzanne Collins.

C’est en 2012 que j’ai vu pour la première fois le long-métrage de Gary Ross, que j’avais aimé sans non plus crier au génie. Et puis est venu Hunger Games : l’Embrasement (2013) qui, lui, m’a beaucoup plu comme vous avez pu le constater sur cette critique. Vos commentaires m’ont donné envie de me plonger dans l’oeuvre originale. Après avoir lu le tome 1 en seulement quelques jours, j’ai adopté une résolution pour 2014 : ne plus jamais voir un film avant d’avoir lu le roman.

Pourquoi donc ? 

Hé bien parce que je regrette vraiment d’être passé à côté de cette œuvre, bien plus forte que son adaptation. Dès les premières lignes, j’ai été happé par le récit de Katniss Everdeen, qui raconte sa propre histoire à la première personne. La narration, efficace, est dépourvue d’ellipses : Katniss est un chasseur sans états d’âme, rompue à la survie en milieu hostile, obligée de tuer des animaux afin de nourrir sa famille. Jusqu’au jour où elle se voit contrainte de participer aux Hunger Games : chaque année, le Capitole organise les fameux jeux de la faim, au cours desquels s’affrontent dans l’arène les « tributs », les représentants des 12 districts. Il ne peut rester qu’un seul candidat.

Alors que le premier film est un survival qui va à l’essentiel, le roman est beaucoup plus ambitieux en ce qui concerne la caractérisation de son protagoniste principal. Katniss ne laisse rien au hasard : dès les premières heures des Hungers Games, elle mâche une écorce de sapin pour éviter d’avoir faim, prépare des collets, cherche immédiatement un point d’eau… En l’espace de quelques pages, on se retrouve dans une ambiance à des années-lumières du film, plus politiquement correct, qui esquive les effusions d’hémoglobine (mention spéciale à la scène d’ouverture, quand Katniss loupe un cerf…). Comme bon nombre de critiques, j’avais reproché au long-métrage d’être édulcoré, très loin du cultissime Battle Royale. Dans le roman, Suzanne Collins ne nous épargne rien : un concurrent crache du sang sur Katniss, un autre agonise pendant plusieurs heures, attaqué par des bêtes sauvages… Sans tomber dans le gore, on est vraiment dans une histoire mature, servie par un message subversif.

L’audimat, le nerf de la guerre

Dans les Hunger Games, obtenir des sponsors est crucial car ils permettent de recevoir des cadeaux très coûteux qui sont, en temps normal, inaccessibles à la (miséreuse) population. Des médicaments miraculeux, des armes, de la nourriture… Tout est possible du moment que les tributs attirent la sympathie du public. Katniss le comprend bien, et en joue : dans le roman, elle est beaucoup plus cynique car elle regarde de temps en temps les caméras et sourit aux téléspectateurs… et donc à ses sponsors ! Suzanne Collins imagine ainsi une société du spectacle poussée à son paroxysme : les jeunes sont offerts en sacrifice sur l’autel de la télé-réalité, le gagnant devra incarner pour le restant de ses jours un rôle, celui du vainqueur appelé à assister les futurs candidats. Perversion suprême, le système transforme les anciennes victimes en complices de cette dictature du divertissement. 

Au final, si j’ai regretté que le livre connaisse, fort logiquement, les mêmes travers que le film (quand Katniss est contrainte de tuer, il s’agit uniquement des concurrents psychopathes, les tributs les plus sympathiques ne sont pas exécutés par elle, ce qui est à la longue une ficelle un peu facile), j’ai été agréablement surpris par ce premier tome, moins lisse que le film, clairement orienté grand public. Je suis bien forcé de reconnaître que c’est un roman coup de poing qui donne froid dans le dos et laisse songeur. À l’heure où la télé-réalité est plus que jamais inscrite dans notre paysage audiovisuel, qui peut affirmer que nous n’assisterons pas, un jour, au retour de la gladiature ? On trouvera toujours des raisons convaincantes, notamment dans une démocratie qui pratique la peine de mort comme les Etats-Unis. Les producteurs choisiront une cause humanitaire (le don d’organes ?) comme prétexte à ces jeux, en expliquant que les condamnés à mort seront de toute manière exécutés un jour ou l’autre. On proposera aux détenus de participer à un show télé faisant office de Rédemption : les candidats tués verront leurs organes prélevés pour sauver d’honnêtes citoyens atteints de maladies incurables. Le gagnant aura l’opportunité d’être gracié, et de recommencer une nouvelle vie.

Espérons que ce futur n’arrive jamais…

De l’autre côté du mur

Et en plus la couverture est somptueuse !

Sibel a toujours dansé. Sa vie bascule le jour où elle touche involontairement l’une de ses soeurs, brisant ainsi son lien à l’Art. Bannie de sa communauté, elle découvre que les Mères cachent des secrets. Que se passe-t-il de l’autre côté du mur ?

Il y a des livres qui m’ont diverti. Il y en d’autres qui m’ont enthousiasmé. Mais peu m’ont touché comme De l’autre côté du mur.
« Émotion », c’est le premier mot qui me vient à l’esprit en refermant ce livre qui va très loin dans ce registre. Je me prends une sacrée claque tant Agnès Marot maîtrise son premier (!) roman : dès le début, on est complètement avec Sibel, en partie grâce à cette écriture à la première personne, particulièrement immersive. Dans un style simple et fluide, l’auteur nous entraîne dans un ballet des sentiments à travers un univers claustrophobique extrêmement pesant. Lorsque l’histoire commence, on ne sait absolument rien du monde extérieur, le dépaysement est si total qu’à de nombreuses reprises je me suis demandé si l’on était encore sur Terre tant il y a peu d’éléments auxquels ont peut se raccrocher (je regrette d’ailleurs que le quatrième de couverture en dise trop, je vous déconseille de le lire !). Les filles sont isolées dans cet étrange couvent hors du temps dédié à l’Art, un force mystique aussi subtile que puissante. Les personnages sont très attachants (mention spéciale à Aylin) et on a envie de connaître avec eux les secrets de cet univers.

Une dystopie intelligente

C’est difficile d’écrire un tel article sans gâcher de surprises, mais j’ai apprécié la gestion des révélations : à la différence d’Hugh Howey dans Silo, je trouve que l’auteur distille les informations sur l’extérieur sans en dire trop, tout en prenant soin de conserver le point de vue d’une adolescente. J’ai adoré la poésie qui se dégage de ce regard qui ne connait pas les smartphones ou Internet, élevé dans un cadre exclusivement féminin. Sibel me donne parfois l’impression d’être une extra-terrestre, du coup ses questions naïves n’en sont que plus touchantes : comment ne pas s’émouvoir lorsqu’elle rencontre une « panthère », ou bien lorsqu’elle découvre pour la première fois une peinture ? L’auteur est si doué dans les descriptions que j’ai instantanément reconnu le tableau en question.

Coup d’essai, coup de maître

Comme vous l’aurez deviné, il s’agit d’une (première) œuvre atypique qui fonctionne indépendamment de ses twists. Une œuvre qui interpelle sur l’Humanité : sommes-nous uniquement des êtres de raison et de passion, ou bien plus que cette simple addition ? Mais aussi une œuvre parfois cruelle avec la fameuse séquence du fouet, insupportable. Si le roman n’est pas exempt de (petits) défauts (je trouve la résolution finale du dernier tiers un peu trop vite expédié), il n’en demeure pas moins que j’ai adoré accompagner Sibel et ses amis. En tant qu’auteur, j’avoue avoir pris une belle leçon au niveau de l’émotion, j’ai savouré cette écriture viscérale, à mille lieux des dystopies commerciales ciblées « ados ». Si vous aimez voir des personnages prendre vie au fil des pages avec sincérité, alors lisez De l’autre côté du mur, vous ne serez pas déçus du voyage.

Published in: on novembre 28, 2013 at 9:35  Comments (4)  
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La Stratégie Ender (roman) vs la Stratégie Ender (film)

Ender's game

Cette semaine, j’avais prévu de lire le monument d’Orson Scott Card juste avant de visionner le long métrage. Résultat : j’ai terminé le roman en deux jours, quelques heures avant d’aller au cinéma !

Un livre que j’ai découvert sur le tard

Pendant des années, j’ai culpabilisé d’être passé à côté de cette référence de la Science-Fiction. Pour prendre un exemple en rapport avec la Fantasy, c’est un peu comme si je n’avais pas lu le Seigneur des Anneaux ! Ignorant volontairement la polémique autour de l’homophobie revendiquée d’Orson Scott Card, j’ai donc commencé avec enthousiasme cette lecture. Et là, j’ai vécu un drame : pendant plus de la moitié du livre, l’auteur raconte un entraînement militaire qui m’a emmerdé laissé de marbre. Si j’ai apprécié la psychologie tordue des personnages (pour info, Ender et ses amis sont des gosses psychotiques de 5 ans qui pensent comme des adultes), j’ai beaucoup moins aimé les simulations de bataille, trop techniques à mon goût. Détail qui n’arrange rien, Ender est un personnage très froid, comme les autres protagonistes, ce qui donne le sentiment qu’on a limite affaire à des robots : pas évident de s’attacher à eux dans ces conditions. Je me suis quand même accroché, jusqu’au moment où quelques stéréotypes ethniques m’ont franchement irrité : les Juifs sont aux postes clefs, les Français ne sont que des « séparatistes arrogants », sans parler du traditionnel « honneur espagnol » et d’une blague raciste aussi drôle qu’un membre du Ku Klux Klan.

Bref, j’ai découvert par moi-même qu’Orson Scott Card était un beauf, rien de nouveau sous le soleil.

Encouragé par mes amis Cocyclics alors que je râlais comme un putois sur Facebook et Twitter, j’ai poursuivi ma lecture. Et je dois dire que je ne l’ai pas regretté : on gagne en tension, en émotion (Ender va-t-il survivre à cet entraînement hors-normes ?) jusqu’à cette révélation finale qui m’a époustouflé… Au-delà de ce twist, j’ai été forcé d’admettre que Card a fait preuve d’un génie visionnaire : en 1985, il a imaginé que ses personnages utilisaient des tablettes tactiles (les fameux « bureaux ») connectées au Net ! Sans parler de la place des réseaux sociaux, largement exploités par le frère et la sœur d’Ender. Si on oublie les références au Pacte de Varsovie et à la Guerre Froide, on a l’impression que le roman a été écrit hier : l’auteur avait déjà eu l’intuition que les jeux vidéos prendraient une place prépondérante dans le futur. Dans la seconde partie, Ender joue quotidiennement à un jeu de stratégie en temps réel pour se préparer à combattre une armée alien, mais les enjeux sont tels, que ses parties n’ont plus rien de ludique ! Le titre anglais, « Ender’s Game » entretient l’ambiguïté à travers son jeu de mot : « Game » signifie bien sûr « le jeu », mais aussi « la stratégie ». « Ender’s game », c’est moins « la Stratégie Ender » que « le dernier jeu », celui qui apportera la victoire totale à l’Humanité, une Humanité face à ses contradictions : peut-on commettre des actes de barbarie pour sauver une civilisation ?

C’est donc avec le cerveau en ébullition que je suis allé voir quelques heures plus tard le long-métrage, en me demandant comment le réalisateur allait bien pouvoir adapter un roman si complexe…

Mission impossible ?

Un film respectueux. Ce sont les premiers mots qui me sont venus à l’esprit quand j’ai découvert cette œuvre. Respectueux ne veut pas dire fidèle : exit la sous-intrigue intrigue Locke et Démosthène, l’histoire de Mazer Rackham est simplifiée… Le cinéaste s’est concentré sur le point de vue d’Ender car il était impossible de restituer la richesse du roman en si peu de temps. C’était le bon choix, mais on se retrouve devant un long-métrage plus lumineux : j’ai trouvé les gosses moins psychotiques que dans le livre, particulièrement sombre à ce niveau. Peut-être parce que le cinéaste a voulu davantage humaniser les personnages du roman ? Si on fait abstraction de ces remarques, le film est fidèle à la trame originale, servi par de magnifiques effets spéciaux. Mon unique regret concerne la motivation des Doryphores, un ennemi qui n’a jamais communiqué avec l’Homme : j’ai trouvé le long-métrage peu clair à ce sujet.

Et le gagnant est…

Orson Scott Card m’a irrité, passionné, intrigué. Je n’arrête pas de penser à ses personnages. Son œuvre, souvent aride, est loin d’être politiquement correcte, mais elle a le défaut de ses qualités et j’ai décidé de la prendre dans sa globalité (même si je me situe aux antipodes des idées de son auteur). Card a beau être un misanthrope au même titre que Howard Philip Lovecraft ou Louis Ferdinand Céline, cela n’enlève rien au fait que ce sont de grands auteurs, tout comme Richard Wagner fut un immense compositeur. Il serait toutefois injuste de réduire Card à sa dimension réactionnaire tant la Stratégie Ender est une œuvre au message intéressant : menace extra-terrestre ou pas, l’Homme est un loup pour l’Homme, une espèce dangereuse qui possède les germes de sa propre destruction.

Le film est plus lisse, les producteurs ont pris soin d’éviter qu’il sombre dans la controverse, mais paradoxalement c’est peut-être cette subversion malsaine qui manque le plus. Il n’en demeure pas moins que le long-métrage reste une passerelle agréable pour découvrir ce bouquin hors normes qui n’a pas pris une ride.

D’autres avis : RSF blog, Anudar, Vert

Published in: on novembre 7, 2013 at 10:25  Comments (27)  
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La Voie de la Colère

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Le général Dun-Cadal fut le plus grand héros de l’Empire, mais il n’est plus aujourd’hui qu’un ivrogne échoué au fond d’une taverne. Alors qu’il raconte à une historienne ses exploits, un assassin sans visage se met à frapper au cœur de la République.

Le roman d’Antoine Rouaud est un véritable événement dans la Fantasy francophone et pour cause : il s’agit du premier livre de ce genre à bénéficier d’une sortie mondiale ! Stéphane Marsan a dit « c’est la plus grande découverte que j’ai faite depuis dix ans ». « La Voie de la Colère » est-il ce grand roman dont tout le monde parle ?

L’histoire commence dans une taverne de Masalia au temps d’une république balbutiante : une historienne retrouve l’ancien général Dun-Cadal. Le vieux guerrier aurait caché l’épée de l’Empereur peu avant sa chute. Alors qu’un assassin rôde dans la cité, Dun-Cadal raconte ses aventures passées avec un orphelin du nom de Grenouille, un jeune garçon qui n’avait qu’une ambition : devenir le plus grand des chevaliers.

Il est toujours très risqué pour un auteur d’alterner entre deux histoires, une au présent et l’autre via des flashbacks, car il y a un risque que le lecteur préfère l’une des deux. Antoine Rouaud ne tombe pas dans ce piège car on est rapidement happé par les deux intrigues, intimement liées : comment l’Empire a-t-il sombré ? Qui est ce mystérieux assassin qui rôde ? Ces questions n’en finissent pas de hanter le lecteur, qui enchaîne les chapitres. Lors de la première partie, Dun-Cadal a clairement eu ma préférence, au détriment de l’impétueux Grenouille. J’attendais avec impatience le milieu du roman pour savoir comment l’intrigue allait évoluer, car généralement la dynamique s’essouffle. Et j’avoue avoir été bluffé :

ATTENTION, CE PASSAGE RÉVÈLE DES MOMENTS-CLEFS DU LIVRE

avec un culot monstre, l’auteur dévoile l’identité de l’assassin (!) et change de point de vue (dans les flashbacks) pour adopter celui de Grenouille. La prise de risque ne s’arrête pas là : Antoine Rouaud se permet de revenir sur les événements de la première partie sans se répéter. L’émotion est au rendez-vous, car on comprend mieux certaines zones d’ombre.

Au-delà de cette (poignante) histoire de vengeance (les adieux entre Laerte et Esyld sont déchirants), j’ai adoré la structure adoptée, qui rappelle dans une certaine mesure le film Rashōmon d’Akira Kurosawa : deux points de vue différents battent en brèche la notion même de vérité. L’Empereur était-il un despote ? Un révolté qui change d’identité au point de combattre ses propres alliés ne devient-il pas un traître à sa cause ? Le fait que le protagoniste principal s’appelle « Laerte » est tout sauf un hasard. On pense au « Laërte » d’Hamlet, personnage tragique obsédé par la vengeance, mais aussi à Lorenzaccio : le héros romantique qui joue un double jeu, la lâcheté hypocrite de certains « républicains », la question du pouvoir… Antoine Rouaud revisite avec brio Musset, la Renaissance italienne et le mysticisme de la Guerre des Étoiles pour nous livrer un drame épique dans lequel les questions morales prédominent.

FIN DES RÉVÉLATIONS

Si l’univers de cette œuvre demeure très classique (le seul point faible selon moi), il n’en demeure pas moins qu’à la fin de ma lecture, j’ai eu envie de relire immédiatement ce livre pour mieux apprécier l’intrigue. En ce qui me concerne, c’est un signe qui ne trompe pas, « la Voie de la Colère » est un grand (premier) roman. Il restera dans les mémoires, qu’on se le dise !

Published in: on novembre 6, 2013 at 7:45  Comments (9)  
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Silo version intégrale

 

Silo

J’ai enfin terminé de lire Silo. Est-ce que je suis aussi enthousiaste qu’à la fin de ma lecture de l’épisode 1 ?

ATTENTION, JE VAIS RÉVÉLER L’INTRIGUE DE SILO, CET ARTICLE EST DESTINÉ À CEUX QUI ONT LU LE ROMAN.

Après un premier épisode spectaculaire (Hower tue le protagoniste principal, il fallait quand même oser !),  on poursuit l’exploration du silo : les responsables s’en vont chercher un nouveau shérif et traversent les étages d’une société autarcique coupée du reste du monde, et gouvernée par le mystérieux DUT. Un épisode 2 assez long, mais avec deux personnages aussi crépusculaires que touchants (j’ai adoré cette vieille femme qui se livre à un bilan de sa vie : est-ce que son existence a eu un sens ?).  On visite un univers industriel fatigué, qui sent l’huile et la rouille.  Dans la troisième partie, on fait la connaissance de Juliette, le vrai protagoniste principal de l’histoire. Mécanicienne hors pair, elle est désormais le shérif, mais va se retrouver malgré elle prise dans un engrenage vertigineux : pourquoi les morts s’accumulent ? Quelle est la vérité à propos de l’extérieur ? Pourquoi le réseau informatisé est-il si coûteux à utiliser ? Cet épisode est captivant car Juliette est en danger. Du coup, la quatrième partie, bien qu’agréable à lire, manque de tension : le fait de découvrir un autre silo laissé à l’abandon ne m’a pas emballé plus que ça.  La révolution de l’épisode 5 est poignante, car les personnages, très attachants, meurent en pagaille,  mais la fin m’a laissé un léger goût d’inachevé : « tout ça pour ça ? » ai-je pensé. L’épilogue ne fait que confirmer ce qu’on présumait depuis un moment : une humanité répartie dans des silos.

Comme je le craignais, Hugh Howey, a mis la barre très haut avec un début extrêmement prenant que n’aurait pas renié les scénaristes de Lost. Et c’est justement là que le bât blesse : avec une intrigue si mystérieuse, l’auteur se livre à une fuite en avant puisqu’il est obligé de faire avancer son histoire tout en préservant le mystère, ce qui explique certaines longueurs et le fait que les parties se suivent et ne se ressemblent pas. Soyons clair, j’ai aimé ce livre, mais la fin est convenue, moins percutante que l’épisode 1, absolument génial. J’ai le sentiment que Juliette est bien chanceuse de survivre aux multiples épreuves qu’elle traverse, et que l’antagoniste est trop facilement vaincu. Au final je ne regrette pas d’avoir lu Silo, c’est un très bon bouquin, mais à la lumière des premières pages, j’ai l’impression qu’Hugh Howey est passé à deux doigts du chef d’œuvre…

D’autres avis : Doris

Published in: on octobre 17, 2013 at 12:05  Comments (10)  
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